Une « faille importante » dans le plan de sécurité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Sûreté du Québec (SQ) a permis à Richard Henry Bain de commettre l’attentat du Métropolis le soir de l’élection du Parti québécois en 2012. Cette attaque sans précédent dans l’histoire moderne du Québec aurait pu être facilement évitée avec un meilleur plan des corps policiers, conclut la Cour supérieure, qui accorde ainsi 292 000 $ à quatre survivants dont la poursuite a permis de comprendre l’ampleur de la désorganisation policière ce soir-là.

« Par manque de communication et de coordination dans le déploiement de leurs effectifs, tant la SQ que le SPVM ont manqué à leur obligation d’assurer la sécurité du public, en l’occurrence celle des demandeurs, en exécutant un plan de sécurité qui n’assurait aucune protection policière à l’endroit même où devait être évacuée la nouvelle première ministre du Québec à la suite de son discours », écrit le juge Philippe Bélanger de la Cour supérieure dans sa décision de 105 pages obtenue par La Presse.

« Nous savions que le chemin serait long et difficile. Mais ce jugement est la preuve que de simples citoyens peuvent obtenir justice même contre des institutions gouvernementales », a réagi MVirginie Dufresne-Lemire, avocate des demandeurs.

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De gauche à droite : Dave Courage, Jonathan Dubé, Audrey Dulong-Bérubé et Gaël Ghiringhelli, en marge du procès de Richard Henry Bain, en juin 2016

Ce soir-là, Guillaume Parisien, Audrey Dulong-Bérubé, Jonathan Dubé et Gaël Ghiringhelli étaient techniciens de scène et se trouvaient derrière le Métropolis lorsque Richard Henry Bain a ouvert le feu, tuant Denis Blanchette et blessant grièvement Dave Courage, des amis et collègues des demandeurs.

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Guillaume Parisien, au palais de justice de Montréal en mars dernier, dans le cadre du procès civil de l’attentat du Métropolis

Ils ont par la suite souffert de troubles de stress post-traumatique, d’épisodes de dépression et d’abus d’alcool et de drogues, ainsi que d’autres problèmes de santé mentale et relationnels. Mme Dulong-Bérubé a fait trois tentatives de suicide. Ils attribuent cela aux contrecoups des évènements du 4 septembre 2012.

De l’avis du juge Bélanger, ces préjudices ont effectivement été causés par la faute des corps policiers.

Une demande de routine

« Dit simplement, il y a eu brèche dans le périmètre de sécurité, l’assassin s’en est prévalu et ses victimes étaient les premières personnes lui barrant la route », peut-on lire dans le jugement. « La présence d’agents normalement prudents et compétents aurait dérouté le plan de Bain avant qu’il ne puisse s’en prendre aux demandeurs et à leurs collègues », estime le juge.

En leur absence, le tueur a pu marcher 74 secondes entre sa voiture et l’arrière du Métropolis, alors qu’il portait cagoule, robe de chambre et arme longue, avant d’ouvrir le feu.

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Pauline Marois a été évacuée d’urgence du Métropolis en plein discours, le soir du 4 septembre 2012.

La preuve révèle que la SQ s’attendait à ce que le SPVM assure la surveillance autour du bâtiment, tandis que le corps provincial s’occupait de l’intérieur et de la garde rapprochée de Mme Marois. Or, la SQ n’a formulé qu’une demande de routine qui n’impliquait pas plus de ressources que lors des autres évènements partisans de la campagne électorale, et le SPVM n’a pas procédé à une analyse des effectifs requis pour sécuriser le périmètre.

Le SPVM « a essentiellement donné suite à la demande d’assistance de la SQ en affectant un duo de policiers et un véhicule de patrouille sans préciser le lieu exact où ils devraient se trouver aux abords du Métropolis », note le juge Bélanger. Ce plan n’a pas été mis à jour au courant de la soirée, qui s’est révélée victorieuse pour Mme Marois et sa formation, le Parti québécois.

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Policiers enquêtant aux abords du Métropolis au lendemain de l’attentat visant la première ministre Pauline Marois

« Il s’agit là d’une conduite qui relève d’une insouciance certaine » au regard de l’envergure de l’évènement et du contexte social, selon le tribunal, dans un Québec secoué depuis des mois par les manifestations étudiantes du printemps érable.

Des menaces

De plus, six menaces avaient été proférées juste avant la soirée électorale, a-t-on appris durant le procès. Cinq d’entre elles, publiées sur Facebook ou Twitter, visaient directement Mme Marois et contenaient des propos violents, y compris des menaces de mort. Au moins deux d’entre elles avaient été rédigées par des adolescents.

Lisez l’article « Procès de l’attentat du Métropolis : la SQ retrouve les menaces contre Pauline Marois »

Les menaces « furent promptement enquêtées » et « ne requéraient pas une réaction immédiate des forces de l’ordre, ni une réévaluation du plan de sécurité », ont plaidé les corps policiers. La cour ne remet pas en question les enquêtes menées à ce sujet, mais « la seule émission de ces menaces, même non fondées, contribue au contexte déjà tendu dans lequel s’est tenue cette soirée électorale », souligne-t-on.

Malgré cela, les défendeurs ont plaidé que l’attaque était « imprévisible et donc impossible à détecter » puisque Richard Henry Bain a agi en « loup solitaire », un argument que rejette le tribunal.

Les corps policiers ont le devoir de gérer les risques de manière générale et non uniquement ceux liés à des menaces annoncées ou éminemment prévisibles.

Le juge Philippe Bélanger, dans sa décision

Il reproche par ailleurs aux agents de la SQ d’avoir « été en quelque sorte aveuglés par leur devoir de protection de Mme Marois et de sa famille au détriment de la protection du public », un devoir dont la SQ ne pouvait se décharger sans s’assurer que le SPVM en prenne la responsabilité.

Des leçons à tirer

Les demandeurs dans cette affaire réclamaient chacun 175 000 $ à titre de dommages non pécuniaires aux corps policiers, en plus des dépenses liées aux thérapies et autres traitements suivis après les évènements. Le juge Bélanger leur accorde plutôt 70 000 $ chacun en dommages non pécuniaires et une partie des dépenses réclamées.

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Richard Henry Bain maîtrisé par des policiers du SPVM, après l’attentat du Métropolis

Ils demandaient également des dommages punitifs de 20 000 $ au SPVM et de 100 000 $ à la SQ, ce que le tribunal rejette puisqu’on « ne peut imputer aux corps policiers en l’espèce une atteinte intentionnelle » aux droits des demandeurs.

Quant au rapport exécutif préparé à la demande du ministre de la Sécurité publique pour faire la lumière sur les évènements de la soirée – au sujet duquel la SQ s’est battue en vain pour qu’il reste secret – le juge Bélanger parle d’une confection « bâclée » qui « ne constitue pas un véritable examen de conscience de la SQ ». Le corps policier a néanmoins tiré des leçons et mis à jour ses pratiques depuis 2012.

Lisez l’article « Attentat du Métropolis : le rapport caché de la SQ rendu public »

« Nous espérons que la Ville et le Procureur général prendront acte du jugement, feront preuve d’humilité et n’iront pas en appel afin de permettre aux demandeurs de passer à autre chose », a déclaré MDufresne-Lemire, qui a fait équipe avec MAlain Arsenault, MJustin Wee MImane Melab et Me M’Mah Nora Touré.

Le fil des évènements

4 septembre 2012

Après un printemps érable mouvementé, le Parti libéral de Jean Charest est chassé du pouvoir et Pauline Marois, alors cheffe du Parti québécois, est élue première ministre du Québec. Alors qu’elle et ses partisans célèbrent au Métropolis, Richard Henry Bain arrive derrière l’édifice et ouvre le feu. Il tue Denis Blanchette et blesse grièvement Dave Courage avant que son arme s’enraille.

23 janvier 2013

À la demande du ministre de la Sécurité publique, la Sûreté du Québec (SQ) produit un rapport sur la soirée électorale du PQ au Métropolis. Il n’est rendu public qu’en avril 2022, après que la SQ a tenté en vain de faire en sorte qu’il reste confidentiel. Le juge Philippe Bélanger, de la Cour supérieure, ne mâche pas ses mots et parle d’une confection « bâclée » dans sa décision du 30 novembre 2022.

2014

Le technicien Dave Courage, blessé par Richard Henry Bain en 2012, intente une poursuite de 295 000 $ contre l’Équipe Spectra – propriétaire du Métropolis – et le gouvernement du Québec. Une entente à l’amiable est conclue un an plus tard.

4 septembre 2015

Le technicien de scène Guillaume Parisien dépose une poursuite contre le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la SQ, qu’il tient responsables de ne pas avoir empêché l’attentat commis trois ans plus tôt. Audrey Dulong-Bérubé, Jonathan Dubé et Gaël Ghiringhelli se joignent à la poursuite de M. Parisien le 21 octobre 2015.

24 août 2016

Richard Henry Bain est reconnu coupable du meurtre non prémédité de Denis Blanchette et de trois tentatives de meurtre. Il est condamné à une peine de 20 ans de prison, peine que la Cour d’appel maintient en mars 2019.

28 mars 2022

Ouverture du procès intenté par les quatre techniciens contre le SPVM et la SQ. « On a été de la chair à canon ! », peste Audrey Dulong-Bérubé, dont la vie a depuis été pourrie par l’anxiété, l’alcoolisme et les tentatives de suicide.

30 novembre 2022

Le juge Bélanger conclut qu’une « faille importante » dans le plan de sécurité du SPVM et de la SQ a permis à Richard Henry Bain de commettre l’attentat du Métropolis. Il accorde 292 000 $ aux quatre techniciens, dont la poursuite a permis de comprendre l’ampleur du cafouillage ce soir-là.

Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse