Menacés de mort, exilés et sous protection policière, les proches d’un jeune criminel qui a offert à la police de Longueuil de devenir informateur dans une affaire d’armes à feu vivent dans la terreur depuis que la vidéo de son offre de collaboration s’est retrouvée sur les réseaux sociaux. Ils réclament plus de 220 000 $ à la Ville de Longueuil en raison de la négligence des policiers.

Depuis un an, les trois proches de l’accusé se terrent, terrorisés. Ils sont « sérieusement menacés », a conclu une juge en février dernier. Un « contrat » aurait même été placé sur leur tête. Ils ont d’ailleurs bénéficié du programme de protection des témoins du Service de police de la Ville de Montréal.

Ces trois personnes, dont l’identité est protégée, ont dû modifier leur apparence et changer de ville. Elles ne sortent plus de leur résidence seules. L’une d’elles allègue qu’elle a dû abandonner sa carrière prometteuse en raison des menaces.

« [Elles] ont dû faire de multiplies sacrifices pour protéger leur intégrité et sécurité », conclut une poursuite déposée au palais de justice de Montréal et rendue publique lundi.

Leur cauchemar a commencé l’an dernier lorsqu’un proche, un jeune criminel déjà endurci (Monsieur X), a offert à un enquêteur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) lors d’un interrogatoire filmé de devenir collaborateur de justice. Monsieur X, qui s’était fait arrêter en août 2021 au Quartier DIX30 avec une arme à feu, voulait dénoncer d’autres criminels en échange d’une réduction de peine.

« Je vais vous aider. Je vais vous ramener à eux parce que, moi, vous m’avez arrêté avec une petite arme à feu ce jour-là. T’en veux, cinq ou six armes à feu ? Tu veux pogner de vraies armes à feu ? Tu veux aller pogner les maisons où y a ça ? La coke ? », demandait-il à l’enquêteur, rapportait La Presse l’an dernier.

Lisez « Vidéo compromettante sur les réseaux sociaux : un proche du crime organisé arrêté, une avocate interpellée »

Quelques jours plus tard, la vidéo non caviardée de l’interrogatoire s’est retrouvée sur les réseaux sociaux, alors qu’elle venait d’être divulguée aux avocats de l’accusé et de son coaccusé. Un extrait compromettant de la vidéo affichant le mot « RAT », le nom et la date de naissance du jeune homme s’est retrouvé sur la plateforme TikTok.

La Presse avait révélé l’an dernier qu’un proche du crime organisé, Kevin St-Pierre, et son ex-conjointe, l’avocate criminaliste Noémi Tellier, faisaient l’objet d’une enquête en lien avec la publication de la vidéo. MTellier, l’avocate du complice de Monsieur X, avait été appréhendée par les policiers, puis relâchée sans accusation l’an dernier. Elle nie toute implication dans cette affaire.

Une juge écorche les policiers

Dans la requête civile, les trois parties demanderesses reprochent aux policiers du SPAL d’avoir omis de caviarder les renseignements sensibles de l’interrogatoire de Monsieur X avant la divulgation de la preuve.

En négligeant de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder l’identité de Monsieur X et le contenu de l’enregistrement de son interrogatoire [le SPAL] a gravement porté atteinte à la sécurité et à l’intégrité, non seulement de Monsieur X, mais également de [ses proches].

Extrait de la poursuite

Les demanderesses s’appuient sur une décision rendue en février dernier par la juge Louise Leduc de la Cour du Québec dans le cadre d’une requête en arrêt des procédures déposée par Monsieur X. La juge conclut en effet que l’État a commis des « fautes » en ne protégeant pas adéquatement l’accusé. Même s’il n’avait pas le statut d’informateur, il aurait dû profiter de la « protection des témoins consentie par la common law », conclut la juge.

La juge reproche à l’État le « manque d’attention » porté au dossier et la communication rapide de la preuve. Au lieu de divulguer la vidéo telle quelle, il aurait été possible de caviarder celle-ci ou de fournir un résumé de la déclaration aux avocats, suggère la juge. Le droit de la défense d’obtenir la preuve n’est pas absolu lorsque la sécurité de tiers est en jeu, rappelle-t-elle.

Cependant, malgré les fautes de l’État, la juge Leduc a conclu que l’arrêt du processus judiciaire réclamé par Monsieur X n’était pas justifié. La magistrate ne relève aucun « soupçon de mauvaise foi, de stratégie douteuse ou de motifs obliques » de la part de l’État, mais seulement un manque de « vigilance ».

De plus, l’État n’est pas l’unique responsable dans cette affaire. Sans nommer quiconque, la juge évoque que l’avocat du coaccusé de Monsieur X a agi comme « courroie de transmission à la dégringolade ». Aussi, Monsieur X, un homme « fortement criminalisé », connaissait bien le risque encouru à sa tentative de collaboration. D’ailleurs, le caviardage de sa vidéo ne l’aurait pas complètement mis à l’abri de représailles, selon la juge.

Le SPAL n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.