Malgré leurs efforts, les grandes chaînes de restauration peinent toujours à se soumettre au règlement de la Ville de Montréal interdisant certains articles à usage unique. Pailles, ustensiles ou verres de plastique prohibés figuraient toujours au menu de la quasi-totalité des adresses visitées par La Presse à la fin du mois de juillet. L’Association Restauration Québec appelle à la patience : « la conformité s’en vient ».

Le règlement de l’administration Plante, adopté en septembre 2021, prévoyait une période de grâce de 18 mois, notamment pour permettre aux commerçants et restaurateurs d’écouler leurs stocks et d’implanter des solutions de rechange. La nouvelle réglementation est entrée en vigueur le 28 mars dernier.

Près de cinq mois plus tard, les 32 inspecteurs du Service de l’environnement ont constaté des « non-conformités » à 1151 reprises, selon des chiffres transmis à La Presse par la Ville de Montréal. Seuls neuf avis d’infraction ont été remis.

« Les inspections du Service de l’environnement ont commencé dès la prise d’effet du règlement, le 28 mars 2023, avec une approche progressive, explique la relationniste Kim Nantais, par courriel. Aucune pénalité n’est appliquée lors de la première visite pour tenir compte des enjeux d’adaptation pour les établissements concernés, sachant que plusieurs établissements ont encore des stocks à écouler. »

Cela fait pourtant presque deux ans que les quelque 8400 restaurants et commerces alimentaires de Montréal sont au fait de leurs nouvelles obligations. Sur la quinzaine de restaurants de grandes chaînes alimentaires visités par La Presse à Montréal, tous sauf deux – un Tim Hortons et un A&W – auraient pu être mis à l’amende par les inspecteurs.

Devant notre récolte de polymères, Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), fronce les sourcils. « Le règlement est en vigueur depuis plus de quatre mois, et il était connu à l’avance, dit-il. C’est peut-être normal d’avoir un peu de stock, mais on en voit encore beaucoup trop. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Derrière les comptoirs de succursales McDonald’s, Burger King, Second Cup, Jugo Juice, Bubble Tea Shop et Starbucks, plusieurs boissons froides ou glacées étaient encore servies dans des verres en plastique polypropylène (no 5), en contravention avec le règlement. Seuls un restaurant Tim Hortons et un comptoir Van Houtte servaient la totalité de leurs boissons dans des verres conformes.

Des efforts ont toutefois été faits par l’ensemble des chaînes énumérées ci-dessus : les ustensiles en bois ou en papier pressé et les pailles en carton respectaient la réglementation.

A contrario, des restaurants Subway, PFK, Sushi Shop, Cultures, Souvlaki Bar, Copper Branch et Thaï Express distribuaient par défaut au moins un ustensile de plastique lors de notre passage. Les entreprises de restauration peuvent fournir des fourchettes, cuillères et fourchettes en plastique no 5, mais uniquement sur demande et pour un repas à emporter.

Les ustensiles de plastique étaient eux-mêmes habillés de pellicule de plastique lors de notre visite dans un Sushi Shop, un Pok Pok et un PFK. Dans un Subway du centre-ville, des ustensiles de plastique côtoyaient des ustensiles compostables en bois. Tous étaient emballés individuellement dans un sachet de… plastique.

Honnêtement, je ne comprends pas les gens qui mettent ça sur le marché. C’est d’un ridicule absolu. C’est le genre d’emballage en plastique qui va se retrouver dans l’environnement parce que c’est petit, que ça vole au vent.

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Une paille blanche en polypropylène nous a aussi été fournie dans un Subway. À Montréal, toutes les pailles en plastique sont prohibées, sans exception. Celle offerte par Second Cup, dans une formule plastique qualifiée de « biodégradable », contrevenait tout autant à la réglementation municipale.

Il faut faire attention aux « fausses bonnes idées » aux allures d’« écoblanchiment », avertit Karel Ménard, du FCQGED. Certains articles interdits que nous lui avons présentés, comme des ustensiles et des verres, affichent par exemple un pictogramme de recyclage. « Le ruban de Möbius [le fameux symbole des matériaux récupérables], ce n’est pas normé, explique-t-il. Je ne sais pas pourquoi ils en mettent un, parce que ces articles sont rejetés par les centres de tri, qui acceptent les contenants, les imprimés et les emballages, point. De la vaisselle, qui est souvent souillée, contaminée ou trop petite, ça ne va pas dans le bac de récupération. »

En matière de surconsommation, M. Ménard en a d’ailleurs plus contre les « articles à usage unique » que contre le « plastique », un matériau durable et peu coûteux s’il est utilisé à bon escient. « Si des ustensiles en bambou importés de Chine se retrouvent à la poubelle, tu fais juste déplacer le problème. »

Ce qui est interdit, peu importe le type de plastique :

  • Les verres
  • Les tasses
  • Les ustensiles pour consommation sur place
  • Les pailles
  • Les bâtonnets

Ce qui est autorisé, sauf pour le plastique polystyrène (n6) ou « biodégradable » :

  • Les assiettes
  • Les contenants
  • Les couvercles
  • Les barquettes (le polystyrène peut être utilisé pour la viande et le poisson)
  • Les ustensiles pour commandes à emporter ou livraison, sur demande

La réglementation ne vise pas :

  • Les organismes à but non lucratif d’aide alimentaire
  • Les établissements qui offrent uniquement un service de livraison à domicile
  • Les aliments préemballés à l’extérieur de l’établissement
  • Les tasses, verres et contenants de carton enduits de plastique

Source : Ville de Montréal

« Une question de temps »

Selon Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec, la réponse à nos observations est « simple » : « On permet aux exploitants d’écouler leur stock actuel, dit-il. Il y en a qui en ont beaucoup. D’autres sont liés avec un franchiseur qui n’a pas encore établi d’alternative. »

C’est une question de temps avant « que la transition se fasse et que l’industrie se conforme », assure-t-il. Est-ce possible que des restaurateurs aient pris soin de commander une grande quantité de couverts en plastique avant l’entrée en vigueur du règlement montréalais ? « Je ne pourrais pas vous dire ; ça dépend de chaque exploitant. »

Du côté du Groupe MTY, franchiseur qui possède notamment Sushi Shop, Bubble Tea Shop, Cultures, Thaï Express et Jugo Juice, le président-directeur général Éric Lefebvre indique que la Ville de Montréal accepte les « produits de plastiques réutilisables » utilisés par ses restaurants. « Il faut donc être vigilant avant de juger les produits seulement en fonction de la matière qui les compose », écrit-il dans un courriel à La Presse.

PHOTO DENIS GERMAIN, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Éric Lefebvre, PDG du Groupe MTY

Ces plastiques sont généralement constitués de polypropylène (no 5) et résistent à 100 cycles de lave-vaisselle, selon la définition du gouvernement du Canada, qui interdira la vente de certains articles de plastique à usage unique comme les ustensiles et les pailles à partir du 20 décembre prochain.

« Notre interprétation est que le règlement de la Ville est aligné avec le fédéral dans ce cas puisque la règle vise tout article qui est destiné à n’être utilisé qu’une seule fois ou pour une courte période de temps avant d’être jeté ou recyclé », plaide M. Lefebvre, qui recommande néanmoins à ses franchisés d’utiliser d’autres matières, « comme les ustensiles en bois ».

Est-ce que les inspecteurs de la Ville de Montréal font la même interprétation du règlement que MTY ? « La réglementation fédérale encadre les propriétés techniques de l’article, alors que la réglementation municipale encadre l’utilisation de l’article », explique la relationniste Camille Bégin.

En gros, il faut se demander si les ustensiles en plastique no 5 résistants au lave-vaisselle distribués par les restaurateurs atterrissent généralement dans une poubelle ou dans un bac de recyclage ou s’ils sont rapportés et réutilisés par les consommateurs.

La Presse a trouvé quelques pistes de réponse dans les cabarets qui reposaient sur les îlots de tri des restaurants et des aires de restauration.

Jusqu’à 4000 $

Les contrevenants au Règlement interdisant la distribution de certains articles à usage unique risquent une amende de 200 $ à 1000 $ pour une première infraction, et de 300 $ à 2000 $ pour une récidive. Les entreprises, elles, s’exposent à une pénalité de 400 $ à 2000 $ pour une faute initiale, puis de 500 $ à 4000 $ si elles ne se conforment pas.