L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), une organisation publique, utilise des consultants privés comme intermédiaires dans ses relations avec l’État québécois.

L’organisation vient de renouveler ses contrats avec deux conseillers externes en « affaires gouvernementales » payés jusqu’à 10 000 $ par mois pour leur travail « ponctuel ». L’ARTM plaide qu’elle a besoin d’expertise pour faire progresser ses dossiers dans un environnement politique complexe.

L’un des consultants, l’ancien député caquiste François Rebello, est aussi lobbyiste pour des entités privées du domaine du transport. Il tente notamment de vendre des équipements spécialisés à la Société de transport de Montréal (STM), un opérateur chapeauté par l’ARTM.

Son mandat pour l’ARTM a été exposé en pleine lumière, jeudi, lorsqu’il a révélé sur les ondes du 98,5 FM que son client considérait la possibilité de transformer le projet structurant de l’Est (PSE, ex-REM de l’Est) en réseau de tramway. M. Rebello est lui-même un partisan de ce mode de transport.

Intermédiaire

La Presse a pu confirmer qu’au cours des derniers mois, M. Rebello a servi d’intermédiaire entre l’ARTM et le cabinet du premier ministre. Il est un ami de jeunesse de Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault, et est un proche du premier ministre.

« Nous confirmons qu’il y a eu des communications entre M. Rebello et M. Koskinen concernant des dossiers de l’ARTM », a indiqué Manuel Dionne, directeur des communications du premier ministre. « M. Koskinen a aussi rencontré le DG de l’ARTM il y a quelques mois en compagnie de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault. »

Selon nos informations, François Rebello a aussi rencontré la présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, Dominique Ollivier, au nom de l’ARTM. C’est lui qui en aurait fait la demande. La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, s’est très récemment entretenue avec M. Rebello, mais sur le dossier du train Montréal-Boston, a indiqué son cabinet.

M. Rebello n’a pas voulu commenter le dossier.

Philippe Gabelier, l’autre consultant en affaires gouvernementales dont les services sont retenus par l’ARTM, a dirigé La Presse vers l’ARTM. M. Gabelier a travaillé au sein de la haute direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec entre 1989 et 2003.

Donner voix aux préoccupations

En entrevue téléphonique avec La Presse, vendredi, le directeur général de l’ARTM a défendu la décision de retenir les services de conseillers externes en affaires gouvernementales. L’ARTM voulait faire élargir le mandat gouvernemental pour la planification du projet structurant de l’Est.

« On a demandé à ces gens de nous aider à essayer de convaincre les différentes parties prenantes d’élargir le mandat en question », a dit Benoît Gendron. M. Rebello « fait des interventions pour essayer de bien comprendre les préoccupations et les avenues possibles [pour] avoir un mandat qui rallie tout le monde ».

Des équipes en affaires gouvernementales, « il y a ça dans l’ensemble des organisations », a dit le DG de l’ARTM.

« Moi, je n’ai personne [à l’interne] qui fait ça sur une base régulière, indique M. Gendron. D’ailleurs, je veux doter un poste en ce sens-là très prochainement pour arrimer les différents dossiers avec à la fois le secteur municipal et le secteur gouvernemental. »

Depuis octobre 2022, François Rebello a touché quatre fois un montant forfaitaire mensuel de 10 000 $, ainsi qu’une fois un montant forfaitaire mensuel de 5000 $, a indiqué l’ARTM. Philippe Gabelier, dont les services ont été retenus à partir de la fin de 2021, a d’abord touché un taux horaire de 150 $. Il a ensuite touché à sept reprises un montant forfaitaire mensuel de 10 000 $ ainsi que quatre fois un montant forfaitaire mensuel de 5000 $.

Des enjeux éthiques

Pour Danielle Pilette, professeure de l’UQAM spécialiste en affaires municipales et en gouvernance, la situation soulève des questions éthiques. Il faut toutefois les nuancer en prenant en compte la réalité des organisations comme l’ARTM.

« Il y a des considérations éthiques, mais en même temps il y a des considérations pratiques aussi », a-t-elle dit. Les très grosses organisations – comme la Ville de Montréal, par exemple – ont les moyens d’embaucher des employés à temps plein pour gérer leurs relations avec Québec. Mais l’ARTM est beaucoup plus petite.

Mme Pilette s’inquiète toutefois de la possibilité de conflits d’intérêts (ou d’apparence de conflit d’intérêts) entre les clients privés des consultants et leurs clients du secteur public.

Marie-Noëlle Saint-Pierre, responsable des relations médias du Commissaire au lobbyisme du Québec, n’a pas voulu se prononcer sur le cas précis de l’ARTM.

Elle a toutefois indiqué que les consultants externes qui tentent d’influencer une orientation ou un plan d’action gouvernemental doivent s’enregistrer au Registre des lobbyistes, même si leur client est une organisation publique.

« Un titulaire de charge publique peut aller chercher les services d’un lobbyiste-conseil [externe] pour le représenter, a-t-elle dit. Dès lors qu’un lobbyiste-conseil est rémunéré pour les activités de lobbyisme qu’il fait, il est embauché à titre de lobbyiste-conseil et doit inscrire toutes ses activités [au Registre]. »

Mme Saint-Pierre a toutefois précisé que toutes les communications d’un consultant avec l’État ne constituent pas automatiquement du lobbyisme.