La présence d’un refuge d’urgence pour sans-abri au Complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal, a causé des milliers d’incidents criminels et de sécurité, selon un document fédéral obtenu par La Presse.

Ces informations viennent appuyer les inquiétudes exprimées à répétition par les résidants et les commerçants du secteur quant à l’insécurité grandissante qui y régnait.

Sur seulement huit mois, « entre le 1er octobre 2022 et le 30 mai [2023], 2243 incidents de nature criminelle et sécuritaire ont été signalés » en lien avec le refuge de 85 places, selon une note préparée à l’intention de Justin Trudeau en vue d’une rencontre avec Valérie Plante, en juin dernier. La Presse l’a obtenue grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

« Plusieurs usagers et locataires commerciaux du Complexe Guy-Favreau ont été témoins de ces incidents et ont exprimé leur inquiétude quant à leur sécurité », continue la note, préparée par le Bureau du conseil privé.

Avec la présence en grand nombre de fonctionnaires, des autres occupants et des nombreux citoyens présents à tous les jours, force est de constater que la présence d’un refuge dans cet édifice est incompatible avec la vocation du Complexe Guy-Favreau.

Extrait de la note à l’intention du premier ministre Justin Trudeau

Ouvert au paroxysme de la pandémie, en mai 2020, ce refuge a été fermé fin 2023. Après plusieurs renouvellements, Ottawa a repris possession des lieux pour y effectuer des « travaux prioritaires et majeurs pour assurer l’intégrité de l’immeuble » à la suite de la découverte de moisissures, explique la note. « Ces travaux d’importance ne peuvent être faits dans le local servant au refuge si des occupants s’y trouvent toujours. »

La Ville de Montréal a annoncé l’automne dernier que c’est une ancienne résidence pour aînés de Verdun, les Jardins Gordon, qui prend le relais de cette installation.

Violence, incivilités et drogue

L’entrepreneur Winston Chan, membre de la communauté chinoise de Montréal qui a souvent dénoncé l’insécurité autour du Complexe Guy-Favreau, a indiqué que le nombre élevé d’incidents ne le surprenait pas.

« Ça ne me surprend pas », a-t-il dit en entrevue téléphonique. « Sur le terrain, plusieurs commerçants nous en parlent [de l’insécurité] à cause de ce refuge-là. »

Dans les dernières années, des gens du quartier ont rapporté avoir été invectivés et même frappés par des utilisateurs présumés du refuge, en plus d’être fréquemment témoins de consommation de crack et de drogues par injection. En 2022, un itinérant est mort poignardé dans le quartier.

« Le refuge ouvrait à une certaine heure et les gens faisaient la file pour pouvoir entrer, donc ils se tenaient dans ce coin-là » une bonne partie de la journée, a ajouté M. Chan. « C’est vraiment une cohabitation pas agréable pour les résidants. »

La Ville de Montréal a fait valoir qu’elle avait fait de son mieux pour mitiger les impacts de la présence d’un refuge pour sans-abri au Complexe Guy-Favreau.

« Lors de la période où un refuge temporaire a été en activité, la Ville de Montréal a travaillé étroitement avec la Société de développement social (SDS) qui opérait la ressource et les gestionnaires de l’immeuble pour assurer une sécurité et une cohabitation harmonieuse entre les résidants, les travailleurs, les commerçants et les usagers du refuge », a fait valoir le relationniste Guillaume Rivest, dans une déclaration par courriel.

« La Ville de Montréal est toujours engagée à assurer la cohabitation sociale et la sécurité dans les espaces publics », a-t-il continué. « C’est pourquoi, entre autres, nous avons bonifié l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS) et ajouté des patrouilles du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans le secteur. »

Services publics et Approvisionnement Canada, le ministère qui gère les immeubles fédéraux, n’avait pas réagi au moment de publier ce texte.

« L’emplacement n’était pas idéal »

Le cabinet de la mairesse de Montréal n’a pas voulu commenter la situation.

« Le fait que le gouvernement fédéral souhaite faire des rénovations majeures [au Complexe Guy-Favreau], on comprend, mais c’est sûr que ça vient bousculer tout un écosystème, un milieu avec des gens très vulnérables », avait dit Valérie Plante, à la mi-août, au moment de l’annonce de la fermeture du refuge.

Vendredi, le porte-parole de l’opposition responsable du dossier de l’itinérance a tiré à boulets rouges sur la mairesse et son équipe.

« Je ne suis pas du tout surpris. On l’avait dit que l’emplacement n’était pas idéal », a dit Benoit Langevin en entrevue téléphonique.

[Le] plan de cohabitation a été, disons-le, inexistant. Ces chiffres-là, c’est la preuve que l’administration Plante n’a pas écouté le cri du cœur des résidants et des commerçants du Quartier chinois qui ne se sentaient pas en sécurité.

Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de lutte à la pauvreté et à l’itinérance

« Les ouvertures à la hâte de refuges, sans plan de cohabitation, ça a été la marque de fabrique de Projet Montréal dans les dernières années », a-t-il ajouté.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse