Avoir peur de se promener dans la rue ? C’est ce que ressentent des Juifs et des musulmans de Montréal depuis le 7 octobre. Et ils n’ont peut-être pas tort : à l’instar d’autres grandes villes du monde, les crimes haineux sont en hausse, ici aussi, dans la métropole.

« Il y a un niveau d’anxiété très élevé dans la communauté », se désole Eta Yudin, vice-présidente du Centre consultatif des relations juives et israéliennes.

Depuis un mois, un discours antisémite se fraie un chemin dans l’espace public, affirme-t-elle. Des étudiants juifs ont été bousculés à l’Université Concordia mercredi, un cocktail Molotov a été lancé sur une synagogue mardi, un appel à la mort des Juifs a été entendu dans une manifestation à la fin du mois d’octobre. Le slogan « Du fleuve à la mer », en référence à la disparition d’Israël, retentit de plus en plus.

Et les coups de feu vers deux écoles juives sont « un changement important par rapport aux menaces » que la communauté a connues, précise-t-elle.

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Eta Yudin, vice-présidente du Centre consultatif des relations juives et israéliennes

Il y a aussi ces gens qui détruisent les affiches des personnes kidnappées et toujours tenues en otages par le Hamas, ajoute Mme Yudin. La Ville de Hampstead impose d’ailleurs une amende de 1000 $ aux vandales qui détruisent ces avis de recherche, depuis la semaine dernière.

Cette idée que les gens arrachent ces affiches d’enfants, de femmes, d’hommes, c’est incompréhensible et ça blesse terriblement.

Eta Yudin, vice-présidente du Centre consultatif des relations juives et israéliennes

Kalman Emanuel, porte-parole du Conseil de la communauté juive de Montréal (CCJ), parle aussi de la peur qui gagne sa communauté depuis que le Hamas a perpétré un massacre dans le sud d’Israël et qu’Israël mène une riposte dans la bande de Gaza.

« Les gens sont vraiment inquiets. Ils sont craintifs. C’est une triste réalité, mais les gens ont peur de marcher dans la rue [à Montréal] simplement parce qu’ils ont l’air juifs », se désole M. Emanuel. Selon lui, la situation reste tout de même moins mauvaise au Québec qu’ailleurs.

Cette semaine, la Commission européenne a souligné que les évènements antisémites « ont atteint des niveaux extraordinaires, rappelant certaines des périodes les plus sombres de l’histoire ».

En France, les écoles juives sont surveillées par l’armée. En Angleterre, des hommes cachent leur kippa sous leur casquette de sport. Aux États-Unis, un Juif a été tué lors d’affrontements entre des manifestants pro-israéliens et pro-palestiniens.

Gestes haineux

Montréal n’échappe pas à la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Entre le 7 octobre et le 7 novembre, le Service de police de la Ville de Montréal a recensé 73 crimes ou évènements haineux contre la communauté juive et 25 contre la communauté arabo-musulmane.

« Mais oubliez les statistiques », nuance Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien. « Je peux vous assurer qu’une vaste majorité [des évènements ou crimes haineux] n’est même pas rapportée. En ce moment, ça atteint des niveaux affolants », dit-il.

M. Majzoub a été informé du cas d’Arabes et de musulmans qui ont été interpellés sans distinction dans les transports en commun, sur leurs lieux de travail ou même dans des écoles primaires. Pour les femmes qui portent le voile, la situation est encore pire : certaines se sont fait cracher dessus, rapporte M. Majzoub.

L’insulte qu’ils entendent le plus souvent ? « Espèce de terroriste », répond M. Majzoub, embarrassé.

Selon lui, le climat est encore pire qu’après les attentats du 11 septembre 2001. Après ces attaques, les politiciens avaient tenté de faire une distinction entre les extrémistes radicaux et les musulmans, explique-t-il. George Bush avait visité une mosquée pour expliquer que l’islam n’était pas responsable des attentats, raconte-t-il.

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Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien

Actuellement, il y a un flou. Les politiciens, et je dirais les grands médias, s’expriment différemment. Il y a 10 000 personnes tuées, dont 4000 enfants [à Gaza], mais le gouvernement refuse de se prononcer sur un cessez-le-feu. Ça envoie le message que les politiciens sont d’accord avec ce qui arrive.

Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien

« Et le public, ce qu’il risque de comprendre, c’est que les personnes à Gaza, elles ont ce qu’elles méritent », se désole M. Majzoub.

Travail policier

Samer Elniz, responsable des communications à l’Association musulmane du Canada, croise quotidiennement des dizaines de personnes qui participent aux cours d’aérobie, de couture ou d’art au Centre communautaire Laurentien, dans Saint-Laurent.

Pour lui, il n’y a pas de doute non plus : « Les gens sont plus vigilants lorsqu’ils sont en public », explique-t-il, précisant que le centre communautaire et la mosquée voisine n’ont heureusement reçu aucune menace.

« Les policiers font un bon travail », souligne M. Elniz. Tous les intervenants de ce reportage partagent d’ailleurs son opinion.

« On est en contact très régulièrement avec eux et on se rencontre avec les organismes et les mosquées. On partage nos informations, nos préoccupations, nos inquiétudes. On le dit si on a reçu des messages menaçants », explique M. Elniz.

Au moment de lui parler, mardi, il venait d’apprendre que des engins incendiaires avaient été lancés sur une mosquée et sur les locaux d’une association juive. De son propre chef, il a abordé le sujet et a dénoncé le crime haineux.

« On ne veut pas de problèmes entre les communautés, au Québec. On ne veut pas que les tensions au Proche-Orient se transportent ici », laisse-t-il tomber, d’une voix étouffée.