Pour mettre fin au népotisme dans ses rangs, le Syndicat des débardeurs du port de Montréal s’engage à dénicher de futurs candidats sur des sites de recherche d’emploi et à leur faire subir des tests psychométriques par une firme spécialisée. Les leaders syndicaux accusent maintenant l’employeur de « fabriquer des preuves » afin de les « faire passer pour des mangeurs d’enfants » en pleine négociation de convention collective.

Ce qu’il faut savoir

  • Depuis 2014, l’Association des employeurs maritimes du Port de Montréal conteste une clause de la convention collective des débardeurs qui l’oblige à considérer les candidats recommandés par le syndicat.
  • De façon historique, le syndicat a toujours favorisé l’embauche d’enfants de débardeurs ou de candidats ayant un lien de parenté avec ces derniers.
  • Le Tribunal d’arbitrage a imposé, en avril, un encadrement très serré forçant le syndicat à cesser d’exercer cette forme de népotisme illégale.

« On n’est pas des magouilleurs. La façon dont la liste de candidature fonctionnait depuis des années, c’était au vu et au su de l’employeur », assure Michel Murray, conseiller syndical et porte-parole du puissant Syndicat des débardeurs du port Montréal, affilié au SCFP (section locale 375).

La Presse a révélé au début de septembre que le Tribunal d’arbitrage du Québec a mandaté l’avocate Louise Viau pour s’assurer que le syndicat de 1200 membres cesse de favoriser les candidatures de membres de la famille de débardeurs. Le syndicat recommande 50 % des débardeurs embauchés au port en vertu d’une clause de sa convention collective.

Notre enquête a montré que la liste de référencement syndicale, en place depuis les années 1980, comportait autour de 20 % de noms de mineurs, dont des bébés âgés d’à peine 1 an. Plusieurs débardeurs, qui gagnent en moyenne 150 000 $ par année grâce aux heures supplémentaires et au régime de retraite, inscrivent le nom de leur enfant dès la naissance pour leur assurer un emploi très bien rémunéré à leur majorité.

Le plan d’action du syndicat pour éliminer le népotisme a été présenté le 10 juillet dernier à l’arbitre Nathalie Faucher. « Le recrutement n’étant pas un champ d’expertise du syndicat, le processus prend malheureusement beaucoup de temps », a réagi l’Association des employeurs maritimes (AEM), dans un courriel transmis à La Presse. « Le tout est maintenant entre les mains de l’arbitre pour déterminer si la solution proposée est conforme au jugement et absente de népotisme. »

Michel Murray reproche à l’AEM d’avoir émis certaines objections après avoir pris connaissance du mécanisme proposé pour améliorer le recrutement.

L’employeur a dit qu’on va forcer les gens à déposer leur candidature au bureau du syndicat des débardeurs, qu’on va les attendre à la porte avec des fiers-à-bras, et que les gens ne voudront pas rentrer.

Michel Murray, conseiller syndical

« C’est épouvantable de nous dépeindre comme ça. Ils nous méprisent, ces gens-là, de façon assez incroyable… et c’est réciproque », lâche le conseiller syndical.

« Fabrication de preuves »

Le syndicat soutient que l’AEM cherche injustement à dépeindre les administrateurs du syndicat comme des intimidateurs depuis quelques semaines. Les deux parties négocient pour le renouvellement de leur convention collective, avec le spectre d’une grève générale illimitée qui flotte pour le début du mois de janvier 2024.

L’AEM dit avoir mis en place une « politique de tolérance zéro » pour les propos violents. « L’important pour nous est d’en finir avec cette culture d’intimidation qui persiste encore », a réagi la porte-parole de l’AEM, Isabelle Pelletier.

Nous appliquons les lois canadiennes avec l’objectif d’offrir un environnement digne du XXIe siècle et absent de toute violence pour nos employés

Isabelle Pelletier, porte-parole de l’AEM

L’employeur reproche aux officiers syndicaux d’organiser régulièrement des « entrées massives » de travailleurs dans les installations du port lorsqu’ils sont mécontents d’une situation. Les 14, 15 et 16 août dernier, le président du syndicat, Martin Lapierre, accompagné d’une demi-douzaine de membres du bureau syndical, se serait présenté dans une salle de repos des débardeurs pour contester l’horaire de travail de certains membres. « Vous avez dit à un représentant de l’AEM de “décâlisser” », déplore l’employeur dans une lettre envoyée au président du syndicat. « RIEN ne justifie les abus de langage, la violence ou l’intimidation », écrit le directeur des relations de travail de l’AEM, Jean-Sébastien Barale, dans sa lettre adressée au président syndical.

« Je n’ai d’autre choix que de t’informer du pathétisme de ton Association », a répliqué le président du syndicat par lettre, accusant l’employeur de « fabriquer de la preuve » pour tenter de dépeindre le syndicat « comme des ogres mangeurs d’employeurs ». « C’est votre association qui fait violence et mépris envers les débardeurs que vous convoquez pour mesures disciplinaires de toutes sortes », ajoute le président du syndicat.

Michel Murray reconnaît que le ton employé par les syndiqués peut parfois monter « parce qu’[ils sont] passionnés », dit-il. « Mais l’intimidation, on ne mange pas de ce pain-là. C’est profondément insultant. J’insiste : si quelqu’un est victime d’intimidation ou de menaces, faites des plaintes à la police. »

Lisez notre dossier « Port de Montréal : des bébés sur la liste d'embauche »