Sous-financés, les organismes communautaires peinent déjà à venir en aide aux Montréalais dans le besoin. Mais c’est maintenant eux qui sont en danger. Une cinquantaine d’organismes de la métropole ont reçu un avis d’éviction et doivent se trouver un nouveau toit, a appris La Presse. Ces évictions ne seraient pas sans conséquences : s’il disparaît, l’un des organismes menacés privera des centaines de familles d’Hochelaga-Maisonneuve d’aide alimentaire.

« Fermer, ça voudrait dire qu’environ 300 familles n’auront plus de soutien alimentaire. Ces gens ont besoin d’aide. Ils n’arrivent plus, ils ont des enfants, ils ont des loyers qui augmentent. Ce n’est pas le moment de couper. Ça serait une catastrophe pour le quartier », lance la directrice du Pavillon d’éducation communautaire (PEC) Hochelaga-Maisonneuve, Martha Ortiz.

Dans Hochelaga-Maisonneuve, son groupe dessert des centaines de résidants, avec une garderie, du dépannage alimentaire, des activités sociales pour aînés et des ateliers en tous genres. L’organisme héberge également huit autres organismes communautaires.

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Le Pavillon d’éducation communautaire Hochelaga-Maisonneuve dessert des centaines de résidants, avec une garderie, du dépannage alimentaire, des activités sociales pour aînés et des ateliers en tous genres.

Mais l’avenir du PEC est aujourd’hui compromis : un avis d’éviction lui a été signifié, avec ordre de quitter les lieux d’ici le 31 décembre 2023. La raison : le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) veut reprendre les locaux jugés trop « vétustes ».

En novembre 2022, La Presse révélait que le CSSDM, qui est le plus important centre de services scolaire de la province, ne veut plus gérer des immeubles qu’il n’utilise pas pour l’école. « Les garder dans notre parc, ça nous coûte énormément cher par année, simplement pour les laisser vides. […] Nous ne sommes pas des gestionnaires immobiliers », avait déclaré le directeur général adjoint, Stéphane Chaput.

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Depuis, une cinquantaine d’avis d’éviction ont été envoyés, révèle un mémoire de la Ville de Montréal présenté le mois dernier. Ces avis visent 13 bâtiments scolaires pour l’année 2023 qui appartiennent au CSSDM.

Le PEC et ses membres en font partie. C’est le cas de plusieurs autres, comme Solidarité Ahuntsic, dans le nord de l’île, par exemple. « On comprend que la mission du CSSDM est éducative et que c’est leur priorité, mais en même temps, je ne vois pas comment on pourrait déménager et se loger dans le marché privé. Ça prend une intervention gouvernementale », martèle Mme Ortiz.

« On ne se retrouverait avec rien d’autre »

« Si ce n’est plus là, pour moi, ça voudrait dire qu’il n’y a plus de possibilités d’activités. Je resterais chez moi, on ne se retrouverait avec rien d’autre. Et je ne serais pas la seule dans cette situation », s’inquiète Gabrielle Therrien, qui fréquente le PEC depuis des années.

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Gabrielle Therrien

« C’est ici qu’on peut avoir de l’aide de toute sorte, qu’on peut se défouler, parler, discuter. Et on en a tellement besoin, surtout depuis la COVID-19 », souffle de son côté Kim Ste-Marie, qui fréquente aussi les lieux sur une base régulière.

Mme Ste-Marie ne se fait pas de cachette : « rénover ces bâtiments, ça coûte cher ». « Mais le gouvernement n’a pas besoin de les retaper à neuf. Ce qu’on demande, c’est surtout de faire ce qui est urgent pour maintenir ces installations ouvertes. Ça serait la moindre des choses », dit-elle.

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Kim Ste-Marie

« On a besoin d’une enveloppe de financement récurrente pour nous permettre de rester dans nos locaux à long terme », affirme quant à lui Xavier Beauchamp, coordonnateur du collectif InterCEP. Ce dernier regroupe les six centres d’éducation populaire à Montréal, dont le PEC d’Hochelaga.

Une rencontre est d’ailleurs prévue entre InterCEP et le ministère de l’Éducation, le 29 août. Une manifestation se tiendra aussi ce jour-là. « On est tannés d’être dans une incertitude constante. Ce qu’on veut, c’est de la prévisibilité. Le gouvernement doit s’engager à un financement à long terme, plutôt que de nous remettre année après année dans ce climat d’incertitude », tonne M. Beauchamp.

« Tout le monde se renvoie la balle »

Au Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM), la responsable Marie-Andrée Painchaud milite depuis des années pour éviter le pire. « On essaie de mobiliser tout le monde, le CSSDM, la Ville et le gouvernement, pour trouver des solutions, mais tout le monde se renvoie la balle. »

C’est comme si personne ne voulait s’occuper des groupes communautaires.

Marie-Andrée Painchaud, responsable au Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal

Jusqu’ici, Québec prévoit allonger 9,3 millions d’ici 2027 dans un programme « d’accompagnement et d’accès à des locaux » pour les organismes communautaires. Cette aide représente toutefois « des miettes », soutient Mme Painchaud. « Juste pour nos locaux qu’on rénove, on en a eu pour tout près de 4 millions. Et là, on nous arrive avec une solution de 9 millions pour tout le monde ? Ce n’est pas sérieux », dit-elle.

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Marie-Andrée Painchaud, du Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal, devant ses locaux en rénovation

Pour Caroline Toupin, du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), il est aussi urgent « de trouver une alternative pour créer des bâtiments communautaires » à part entière. « Le problème est majeur partout au Québec, en particulier à Montréal. Les locaux commerciaux ne sont tout simplement plus abordables pour nous », note-t-elle.

« Il n’y a pas qu’une voie à prendre. Il y a des arrondissements, par exemple, qui achètent des édifices pour loger les groupes communautaires dans leur quartier. Une autre option, c’est un financement dédié de Québec au CSSDM pour maintenir ces espaces destinés à la communauté », ajoute de son côté Mme Painchaud.

La réalité montréalaise

À la Ville de Montréal, on juge également « crucial que le gouvernement […] garantisse un financement à la mission adéquat et récurrent, qui prend davantage en considération les réalités locales, par exemple le coût réel des locaux dans la métropole ».

Parlant d’une situation « extrêmement préoccupante », l’administration Plante réclame à Québec un fonds destiné à la construction de logements pour ces groupes. « La crise d’accès à des locaux abordables, accessibles et adaptés aux activités des organismes s’amplifie », affirme en ce sens l’attachée de presse de la mairesse, Béatrice Saulnier-Yelle.

Il est essentiel que le gouvernement du Québec mette en place rapidement des mesures de soutien et d’accompagnement ciblées.

Béatrice Saulnier-Yelle, attachée de presse de la mairesse Valérie Plante

Au cabinet de la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, on assure que ce dossier prioritaire est suivi. Selon l’attaché de presse de la ministre, Vincent D’Astous, des travaux sont « présentement en cours afin de livrer un programme d’accès à des locaux et d’améliorations locatives efficaces, le plus rapidement possible », pour le réseau communautaire.

« La ministre souhaite que ce programme crée un effet de levier pour les organismes communautaires, afin qu’ils poursuivent leur œuvre essentielle, en restant au cœur de leur milieu », conclut M. D’Astous.