Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dévoilera ce jeudi un rapport qui lui recommande de mettre fin à toutes les interpellations sans motif afin de lutter contre le profilage racial, a appris La Presse.

Il s’agirait d’un changement radical pour les policiers, qui en font actuellement des dizaines de milliers par année.

Le rapport, le deuxième commandé par le SPVM à une équipe de chercheurs menée par le professeur Victor Armony, conclut que les mesures de contrôle instaurées par la police au cours des dernières années n’ont eu qu’une efficacité très limitée. Par exemple, les Noirs auraient ainsi toujours de trois à quatre fois plus de risques d’être interpellés par la police que les autres Montréalais.

Le document recommande de « mettre en place un moratoire sur les interpellations qui ne sont pas justifiées par l’enquête d’un crime spécifique ou par le soupçon raisonnable d’une activité illégale ».

Le chef de police Fady Dagher fera la présentation du document ce jeudi à 14 h 30, selon une convocation de presse envoyée en début de soirée.

Une interpellation policière correspond à une interaction où un policier tente d’identifier ou de questionner un citoyen, sans que celui-ci soit ensuite arrêté ou mis à l’amende.

Un précédent

Mercredi, le SPVM n’a pas voulu commenter nos informations. « Le Service de police de la Ville de Montréal réserve ses commentaires pour la conférence de presse », a indiqué son service des communications dans un courriel non signé.

M. Armony n’a pas voulu commenter non plus, pas plus que le cabinet de la mairesse Valérie Plante.

En octobre 2022, le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure du Québec, avait déjà ordonné la fin des interceptions sans motif des automobilistes, parce que « ce pouvoir arbitraire » sert à certains policiers de « sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire ». « Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières », ajoutait le magistrat.

Le monde policier avait accueilli très défavorablement ce jugement, tandis que les organismes de défense des minorités s’en étaient réjouis.

Relation tendue

En février dernier, La Presse avait révélé que le SPVM disposait déjà d’un rapport préliminaire rédigé par M. Armony et son équipe, alors même que l’organisation se défendait contre une action collective en matière de profilage racial. Fady Dagher avait évoqué l’existence de ce document dans une réunion rassemblant des dizaines de cadres de la police.

La relation entre la police et les chercheurs était alors tendue en raison de différends dans l’interprétation des réponses données par les policiers. Les conclusions que les scientifiques en tirent seraient trop dures au goût du service de police.

« Les échanges entre notre organisation et les chercheurs se poursuivent de façon constante et productive », assurait la chargée de communications Caroline Labelle, du SPVM.

« Biais systémique très apparent »

Le premier rapport signé par Victor Armony et ses collègues en 2019 avait conclu à l’existence d’un « biais systémique très apparent » dans les interpellations effectuées par le SPVM.

« Les interpellations auprès de personnes arabes et noires sont disproportionnées, autant en tenant compte de leur poids démographique dans la population de Montréal qu’en considérant leur “contribution” relative aux infractions aux règlements municipaux et aux infractions criminelles », concluaient les chercheurs. Selon leurs calculs, un Noir a quatre fois plus de risques d’être interpellé qu’un Blanc, alors qu’un individu d’origine arabe a deux fois plus de risques de l’être.

Ils refusaient toutefois d’utiliser l’expression « profilage racial » en raison d’un manque de données sur les motifs des interpellations.

« On n’a pas de policiers racistes. On a des policiers qui sont des citoyens et qui ont des biais, comme tous les citoyens peuvent en avoir », avait réagi le chef de l’époque, Sylvain Caron, avant de commander un second rapport aux chercheurs.