Si la Ville de Montréal espérait voir les chantiers de ses futures usines de traitement du compost reprendre rapidement après 10 mois de paralysie, elle risque fort d’être déçue.

Alors que la Ville négocie toujours avec l’entreprise Veolia en vue d’une reprise des travaux, plusieurs sous-traitants ont carrément vidé les chantiers de construction de leur équipement et accumulent des millions de dollars de factures impayées, a appris La Presse.

Certaines menacent même de faire vendre les sites par des huissiers pour être remboursées.

Les deux projets, situés à Montréal-Est et à Saint-Laurent, doivent traiter des milliers de tonnes de résidus de table des Montréalais. Ils connaissent des problèmes importants depuis des années, mais ceux-ci ont atteint leur paroxysme en juillet 2022 : l’entrepreneur général EBC a alors quitté les chantiers, faute de paiement de la part de son partenaire Veolia.

L’entreprise française, qui détient les deux contrats municipaux, tente depuis de faire payer la Ville de Montréal.

« Avec tous les problèmes, tout le monde a crissé son camp », a résumé Tony Vasilakos, président d’Airex, un sous-traitant spécialisé en gestion de la poussière. M. Vasilakos estime sa créance entre 200 000 $ et 250 000 $.

Tout le monde dit : “La Ville de Montréal va payer, ne t’inquiète pas”, mais ça fait 10 mois…

Tony Vasilakos, président d’Airex

« Nous avons effectivement démobilisé depuis plusieurs mois, a expliqué par courriel Francis Roy d’Humaco, un sous-traitant spécialisé en acoustique. Nous sommes aussi en attente des sommes importantes dues depuis l’été 2022. » « On a sorti nos roulottes, on a récupéré l’outillage qui restait », a confirmé Éric Ladouceur, de Ventilabec, impliqué dans les deux chantiers. On lui doit « moins de 3 [millions de dollars], plus que 1 ».

La Presse a pu confirmer que d’autres entreprises avaient physiquement quitté les deux chantiers, notamment la firme d’automation Excelpro et l’entreprise de biotechnologie BEKON.

Des menaces de ventes aux enchères

Ces départs ne sont pas seulement symboliques : une éventuelle remobilisation entraînera des délais supplémentaires et des coûts supplémentaires. Certains équipements ou ouvriers spécialisés peuvent avoir été déployés sur d’autres chantiers, qui ont pris la place des usines de traitement du compost dans la liste de priorité.

Selon le Registre foncier du Québec, différentes entreprises de construction impliquées dans le projet se sont prévalues d’une douzaine d’hypothèques légales sur les deux chantiers de construction de la Ville de Montréal afin de protéger leur créance.

Certaines sont même allées jusqu’à déposer des préavis de vente en justice dans les derniers mois, informant la Ville de Montréal de leur volonté de faire vendre les chantiers de construction aux enchères pour se faire payer.

« Les négociations avec la Ville et avec EBC continuent et, en cas de conclusion positive, nous prévoyons pouvoir prendre le travail dans un délai acceptable pour toutes les parties aussitôt que possible », a indiqué par courriel Carrie K. Griffiths, responsable des communications pour Veolia.

EBC n’a pas voulu commenter nos informations.

« Sur le point de conclure une entente »

Le 15 avril dernier, l’administration Plante a fait voter par le conseil municipal une augmentation de 32 millions des budgets des usines de traitement du compost, après une première augmentation de 13 millions l’an dernier. Objectif : négocier une reprise des travaux avec Veolia. Le budget global des projets dépasse maintenant le tiers de milliard de dollars.

La somme débloquée il y a trois semaines vise à « s’assurer que l’entreprise paie dûment ses sous-traitants afin que les travaux reprennent le plus rapidement possible », a souligné Marikym Gaudrault, au cabinet de Valérie Plante. « Les échanges avancent bien et nous sommes sur le point de conclure une entente. »

Rien pour convaincre l’opposition à l’hôtel de ville.

« C’est un gouffre sans fin. Au bénéfice des Montréalais et des Montréalaises, j’aimerais bien qu’on arrive à une conclusion », a affirmé le maire de Saint-Laurent, Alan DeSousa, en entrevue téléphonique.

Il me semble que chaque fois qu’on parle de ce dossier, il y a deux choses constantes : les retards et les demandes additionnelles d’argent. J’ai hâte que ça se corrige et que les contribuables arrêtent de payer pour les erreurs de gestion de l’administration.

Alan DeSousa, maire de Saint-Laurent

M. DeSousa n’est pas le seul à être critique. Au dernier conseil d’agglomération de Montréal – qui regroupe l’ensemble des villes de l’île de Montréal –, un groupe d’élus a critiqué l’attitude de l’administration Plante dans ce dossier. Les représentants de Montréal-Ouest, de Côte-Saint-Luc, de Dollard-des-Ormeaux, de Beaconsfield et de Mont-Royal ont déploré le fait que Montréal augmente son budget de contingence sans entente préalable avec Veolia.

« Sans condition et sans entente, ce n’est pas raisonnable ou responsable de voter pour cette augmentation », a déploré Dida Berku, élue de Côte-Saint-Luc.

« Nous comprenons les préoccupations qui ont été exprimées, nous les partageons également, a répondu l’élue montréalaise Émilie Thuillier. Il y a des discussions. Tout ne peut pas être dit. »

L’histoire jusqu’ici

2019 : La Ville de Montréal accorde à SUEZ les contrats de conception, de construction et d’exploitation de deux centres de traitement des matières organiques. L’une produira du compost à Saint-Laurent, l’autre du gaz naturel à Montréal-Est. SUEZ est rachetée par Veolia l’année suivante.

Juillet 2022 : EBC, la firme de construction québécoise embauchée par Veolia pour les deux projets, quitte les chantiers en raison de problèmes de paiement. Les chantiers sont paralysés depuis.

Avril 2023 : L’administration Plante fait voter au conseil municipal une augmentation de 32 millions du budget d’imprévus des projets. Cette enveloppe avait déjà été augmentée de 13 millions en 2022.