En plus de se battre devant le Tribunal administratif du logement pour éviter d’être évincée, une famille affronte une nouvelle épreuve depuis l’évacuation de leur immeuble de Rosemont–La Petite-Patrie, samedi dernier, en raison de travaux d’excavation possiblement mal effectués.

Près de cinq jours après l’évacuation de leur immeuble, la famille de Farida et Rachid Benzai attend toujours l’autorisation de réintégrer leur logement, situé sur l’avenue De Lorimier, près de la rue Holt.

Des travaux d’excavation avaient cours depuis quelques semaines dans le sous-sol de leur bâtisse. Un ordre d’arrêt des travaux avait toutefois été donné la veille de l’évacuation.

« Une inspection de la Ville de Montréal réalisée vendredi en compagnie d’un ingénieur en structure mandaté par le propriétaire de l’immeuble a permis de constater que ces travaux n’étaient pas exécutés selon les recommandations techniques de l’ingénieur ayant conçu le projet, ce qui aurait mené à un affaissement partiel et localisé du plancher du rez-de-chaussée », a confirmé une porte-parole de l’arrondissement, Isabelle Rougier.

Samedi matin, un mur de béton situé au-dessus de l’accès au sous-sol a été démantelé à la demande de l’ingénieur en structure, puisque la section « présentait des risques », a précisé Mme Rougier.

C’est cette manœuvre qui serait à l’origine de l’évacuation. Après avoir senti son plancher vibrer, Farida Benzai a contacté les services d’urgence.

Sur place, des inspecteurs du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) ont observé des signes de risque d’effondrement. Par mesure préventive, ils ont procédé à l’évacuation de l’édifice et de deux immeubles à logements adjacents.

« L’excavation du sous-sol a été suspendue conformément à l’ordre d’arrêt des travaux émis vendredi », a souligné Isabelle Rougier.

Au total, 15 logements ont été évacués, soit environ 30 à 40 personnes. La plupart des locataires avaient réintégré leur logement en fin de journée. L’ingénieur en structure a cependant recommandé l’installation de supports temporaires sous le plancher du logement de la famille Benzai, qui est temporairement logée dans un hôtel.

En entrevue avec La Presse, le propriétaire de l’immeuble, Joseph Grossman, a soutenu qu’il n’y avait « aucune raison » pour que l’évacuation « crée un tel drame ».

« L’ingénieur est venu au bout d’une heure et il a tout expliqué correctement. Tout a été fait dans les règles », a-t-il expliqué.

« Précipitation » des travaux ?

Il s’agit d’une nouvelle épreuve pour le couple Benzai, qui se bat pour ne pas perdre le logement qu’il habite avec leurs quatre enfants depuis près de 20 ans.

La famille a reçu un premier avis d’éviction l’an dernier, qu’elle a contesté devant le Tribunal administratif du logement (TAL).

En mars, un second avis d’éviction lui a été remis. Le motif de subdivision du premier avis d’éviction a été changé pour un motif d’agrandissement, a précisé Joseph Grossman.

« Dans son état actuel, [l’immeuble] est très vieux. Il n’a pas été entretenu et doit être entièrement refait et agrandi », a-t-il fait valoir. Une audience concernant l’avis d’éviction émis l’an dernier est prévue jeudi.

Selon Farida Benzai, des travaux de rénovation ont cours dans leur immeuble depuis le 2 mars. Ce jour-là, la famille dormait lorsqu’elle a « subitement été réveillée » par le début du chantier.

Le couple affirme n’avoir jamais été prévenu des travaux, ce que nie Joseph Grossman. Depuis ce temps, Farida Benzai dit vivre un enfer. « Du matin jusqu’au soir, c’est le marteau piqueur, l’odeur du gaz… », lâche la mère de famille.

En janvier, Joseph Grossman a obtenu un permis de transformation visant l’excavation du sous-sol, le réaménagement du logement aux rez-de-chaussée et divers travaux de restauration de la façade du bâtiment.

L’avocate de Farida et Rachid Benzai, MKimmyanne Brown, reproche au propriétaire de vouloir pousser ses locataires vers la porte de sortie. Elle s’explique mal la « précipitation » de M. Grossman à lancer les rénovations alors qu’une décision du TAL n’a encore pas été rendue.

« Il apparaît que ces travaux sont faits dans le but de provoquer leur départ sans faire appel au TAL », dénonce-t-elle.

De son côté, M. Grossman soutient avoir lancé les travaux en raison d’une contrainte de temps. « Lorsque j’ai renouvelé mon permis, on m’a prévenu que si je ne commençais pas [les travaux] avant juillet, je pourrais le perdre complètement. Je n’avais pas le choix », explique-t-il.

Il a ajouté avoir « essayé à maintes reprises de négocier » avec la famille depuis l’an dernier, en vain. « Si vous voulez rester dans une maison jusqu’à la fin de votre vie et en profiter, vous devez l’acheter », a-t-il conclu en entrevue.

« Le visage de la crise », dit Gabriel Nadeau-Dubois

Le porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois tiendra un point de presse mercredi après-midi devant l’immeuble évacué en soutien à la famille Benzai.

Le député de Gouin avait été contacté par l’avocate des locataires dans les dernières semaines et l’épaule depuis dans ces démarches.

« Ça m’a jeté à terre. La triste vérité, c’est que des histoires comme celle-là, il y en a plus qu’on pense », a laissé tomber l’élu.

« Ce qui arrive à Rachid et Farida, c’est un des exemples les plus tragiques, un des cas les plus bouleversants que j’ai eu à m’occuper depuis que je suis député ici. C’est le visage de la crise qui sévit en ce moment à Montréal », a-t-il dénoncé.