Montréal veut faire démolir un ensemble de bâtiments de la fin du XIXe siècle et espère en sauver un autre, dans deux dossiers où les enjeux patrimoniaux sont confrontés à des impératifs de sécurité.

Ces immeubles sont tous en mauvais état, mais pourraient connaître des destins complètement différents.

La Ville s’est adressée à la justice l’hiver dernier afin de forcer la démolition d’un ensemble immobilier datant de 1875 situé au coin de l’avenue Viger et de la rue Saint-Hubert, aux frontières du Quartier latin et du Vieux-Montréal. Un hôtel les occupait depuis plusieurs décennies.

Ces bâtiments sont instables et menacent de s’effondrer, ont affirmé les avocats de la Ville, en tentant d’obtenir une injonction ordonnant leur démolition. La propriétaire des immeubles depuis 2020, une société à numéro appartenant au promoteur et courtier immobilier Kevin Hazout, abondait dans le même sens que les procureurs municipaux. Il veut d’ailleurs y construire un « projet de remplacement » depuis au moins 2021.

Seul l’ancien propriétaire et actuel résidant des lieux, un dénommé Jayantilal Modi, s’y opposait partiellement, demandant la sauvegarde de la partie de l’ensemble immobilier située avenue Viger. Certains rapports d’ingénieurs indiquaient d’ailleurs que cette partie de l’ensemble serait préservable. D’autres rapports la condamnaient.

Dans une décision rendue la semaine dernière, la juge Katheryne A. Desfossés a donné raison à la Ville et à M. Hazout, non sans émettre des réserves.

« Le bâtiment [de l’avenue] Viger est peut-être viable sur le plan structural, mais à quel prix ? », s’interrogeait la juge, soulignant que l’entreprise de M. Hazout se disait financièrement incapable de payer pour les travaux de maintien de cet édifice.

Il apparaît que la démolition de tous les bâtiments constitue le seul moyen réaliste d’effectuer la démolition des bâtiments [de la rue] St-Hubert qui menacent indéniablement la sécurité du public.

La juge Katheryne A. Desfossés

« On trouve ça déplorable »

Robert Beaudry, élu responsable de l’urbanisme à la Ville de Montréal, connaît bien le dossier. Ces bâtiments sont situés dans son district électoral.

« De voir qu’à cause d’un mauvais entretien, on perd ces bâtiments-là, c’est absolument triste », a-t-il dit en entrevue téléphonique. Il blâme directement le propriétaire précédent pour la dégradation de l’état des lieux.

On trouve ça déplorable. Notre objectif, c’est vraiment de bien faire les choses et que dans le projet de remplacement, on puisse récupérer des choses.

Robert Beaudry, élu responsable de l’urbanisme à la Ville de Montréal

Pour Héritage Montréal, ces démolitions annoncées soulèvent des questions importantes. Les bâtiments forment « un ensemble qui, malgré un manque de soins de longue date, participe des abords authentiques du Vieux-Montréal et plus particulièrement du square Viger », a dit son porte-parole Dinu Bumbaru. « N’a-t-on pas des ingénieurs capables de consolider ces bâtiments et les moyens d’amener leur réhabilitation ? »

« La Cour a donné raison à la Ville, que nous avons appuyée dans sa demande de démolir des bâtiments jugés dangereux pour la sécurité, a indiqué l’entreprise de Kevin Hazout dans une déclaration transmise par courriel. Nous allons sous peu déposer le plan de démolition ordonné par la Cour. Après émission du permis, nous procéderons à la démolition des bâtiments dangereux d’ici 45 jours, tel que prévu au jugement. »

La Cour supérieure s’est faite critique de l’entreprise, indiquant avoir « la nette impression qu’[elle] n’a pas les mains propres » dans cette affaire. Elle n’a toujours pas payé le plus gros du prix d’achat de la propriété à M. Modi, alors qu’elle l’avait achetée sans garantie légale.

Objectif préservation

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

La rue Sainte-Catherine est fermée entre l’avenue McGill College et le boulevard Robert-Bourassa, parce qu’un édifice menace de s’effondrer.

A contrario, la Ville tentera d’empêcher la démolition de l’édifice Jaeger, dont l’instabilité force la fermeture de la rue Sainte-Catherine Ouest depuis près de trois semaines. Le bâtiment, qui date des années 1880, est surtout remarquable en raison de sa façade néogothique construite trois décennies plus tard.

La structure de l’immeuble a été affaiblie par l’incendie de ses deux voisins – dont le Club Super Sexe – survenu en 2021.

Le mur latéral risque de s’effondrer et d’emporter la façade avec lui, selon un rapport d’ingénieur de la fin de mars.

« L’immeuble est trop dangereux pour effectuer des travaux, ni à l’intérieur ni à l’extérieur à proximité », a expliqué André Jude, qui représente les intérêts de l’entreprise qui possède le bâtiment. Il s’agit d’une société à numéro appartenant au milliardaire Ben Ashkenazy, magnat new-yorkais de l’immobilier.

M. Jude a indiqué qu’aucune décision finale n’était prise, mais qu’il ne s’attendait pas à voir l’édifice encore debout dans six mois. « Je peux avoir des espoirs, mais ça ne veut pas dire que mes espoirs vont se réaliser », a-t-il dit.

Mais Robert Beaudry voit les choses différemment. L’élu a indiqué que si les premiers échos de ses ingénieurs se confirment, Montréal compte pouvoir rapetisser la zone de sécurité autour de la façade et – à terme – sauver l’édifice. « C’est notre objectif », a-t-il dit.

« Notre premier objectif, c’est d’assurer la sécurité de la population, ça, c’est sine qua non. Et l’objectif en parallèle, c’est de travailler avec le [propriétaire] pour qu’il y ait des interventions qui soient faites sur le bâtiment. »