Il faut cesser de se déchirer sur le passé des personnes nommées pour lutter contre le racisme dans les institutions publiques et s’attaquer aux enjeux de fond, a plaidé lundi Bochra Manaï.

Deux ans après avoir été engluée dans une controverse quasi identique à celle qui entoure aujourd’hui Amira Elghawaby, la commissaire à la lutte contre le racisme et les discriminations systémiques de la Ville de Montréal a lancé un appel à passer du débat à l’action.

Face à la controverse en cours à Ottawa, « je me dis ce que je me disais il y a deux ans : il faut focaliser sur le travail à faire et il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail », a dit Mme Manaï en entrevue téléphonique avec La Presse. Ces scandales sur le passé de « personnes dont la trajectoire professionnelle les a amenées à militer ou à faire de la recherche » visent « souvent des femmes », a-t-elle souligné.

« On a besoin de toutes les volontés, toutes les bonnes âmes pour nous aider à travailler, a-t-elle ajouté. J’ai juste hâte qu’on puisse parler des problèmes d’incidents et de crimes haineux, de voir comment on pallie certaines réalités qu’on vit. »

Le choix de Mme Manaï comme commissaire la Ville de Montréal avait entraîné une levée de boucliers en janvier 2021.

Mme Manaï avait notamment publiquement affirmé que le « Québec est devenu une référence pour les suprémacistes extrémistes du monde entier » avec l’adoption de la loi 21 sur la laïcité de l’État. Le gouvernement Legault avait qualifié la nomination de Mme Manaï d’« erreur ».

La femme de 41 ans a affirmé qu’elle est demeurée « très sereine » dans cette tempête « extrêmement intense ». « Il n’y a pas eu une nomination qui n’a pas fait de bruit dans ces dossiers-là, donc moi, je m’attendais à ce qu’il puisse y avoir du bruit, a-t-elle dit. J’étais déterminée à commencer le lundi matin comme fonctionnaire municipale. J’étais centrée sur mon travail. »

« J’en ai vécu des choses, dans ma vie, et ça, ça ne m’a pas déstabilisée tant que ça, a-t-elle rapporté. C’était la commémoration de l’attentat de la mosquée de Québec [dimanche] et on parle de tragédie, on parle de réalités vécues extrêmement difficiles. Il faut revenir à ce pour quoi ces postes existent, c’est-à-dire contrer des problématiques que, socialement, on a vraiment besoin de changer. »

« Les deux mains dans le moteur »

Depuis, Mme Manaï travaille « les deux mains dans le moteur » de l’administration municipale afin d’y lutter contre la discrimination – notamment dans les dossiers de ressources humaines. « Moi, ma job, c’est de m’assurer que toutes les politiques, toutes les pratiques organisationnelles, tout ce qu’on fait comme positionnement, tout ça soit aligné avec nos engagements », a-t-elle résumé. « D’expliquer à ceux qui ne comprennent pas ce qu’ils doivent comprendre, de rédiger [des documents] avec certains [gestionnaires]. »

Chargée au début de 2021 d’élaborer un « plan d’action », son équipe a plutôt rédigé une série de 12 engagements, qui ont été dévoilés en mars 2022. L’administration municipale y promet notamment de renforcer la lutte contre les profilages, de mener une tournée de sensibilisation contre les crimes haineux et d’offrir aux policiers des formations sur la « désescalade ».

Le recrutement de personnes issues de la diversité culturelle et sexuelle est important, mais l’adaptation des milieux de travail à ces individus l’est tout autant, a souligné Mme Manaï, qui multiplie les formations pour les gestionnaires de l’appareil municipal.

Si on ne s’assure pas qu’il y ait une culture d’intégration et d’inclusion, tous nos efforts ne servent à rien.

Bochra Manaï, commissaire à la lutte contre le racisme et les discriminations systémiques de la Ville de Montréal

Bochra Manaï s’est dite particulièrement fière de l’intervention de son bureau à la centrale 911 du Service de police de la Ville de Montréal.

« Ce sont les personnes qui reçoivent les appels de citoyens qui sont en panique, qui ne savent parfois pas quoi faire. L’idée, c’était de les assister dans l’analyse des appels pour “déprofiler” les appels qui sont déjà teintés de biais et de préjugés », a rapporté Mme Manaï.

Les préposés doivent-ils transmettre à la police une allégation selon laquelle de jeunes Noirs dans un parc font partie d’un « gang de rue » ? Qu’un homme s’attardant dans une gare est « musulman » ? Ce sont des questions de ce genre qui ont été abordées avec les employés.

« J’aimerais parfois qu’on aille encore plus vite, mais je suis très consciente que c’est un paquebot qui est assez lourd, a-t-elle continué. Le défi que je vis, c’est d’avoir à faire avancer certains – de les tirer, mais sans les perdre – et, de l’autre côté, de répondre aux volontés citoyennes qui voudraient que ce soit déjà parfait. »

Avec Isabelle Ducas, La Presse