Après 14 ans à la tête de Québec, Régis Labeaume s’apprête à quitter la politique. Dans une entrevue d’adieu, le maire au franc-parler légendaire en profite pour saluer Valérie Plante et Philippe Couillard, et revient sur ses plus importants combats.

(Québec) Régis Labeaume ne tarit pas d’éloges sur Valérie Plante, une femme « de cœur », « une amie », qui a beaucoup aidé la capitale dans son projet de tramway et qui « sera encore meilleure dans son deuxième mandat ».

Ces mots, qui ont tous les airs d’un appui, le maire de Québec les a prononcés dans une entrevue avec La Presse. M. Labeaume a fait une tournée médiatique dans les derniers jours, lui qui quitte la vie politique.

Fidèle à son habitude, Régis Labeaume n’avait pas la langue dans sa poche. En plus d’encenser Valérie Plante, il a tenu à saluer un seul politicien provincial, soit Philippe Couillard, « probablement celui qui a le plus cru » à son projet de tramway.

Régis Labeaume raconte que sa relation avec Valérie Plante a commencé prudemment. « Au début, Valérie était très méfiante parce que Denis [Coderre] disait toujours qu’on couchait ensemble quasiment ! », se rappelle l’homme de 65 ans.

Mais la relation entre les deux s’est vite réchauffée. « Je suis honnête. Moi, je considère que c’est une amie. »

Leur bonne entente s’est manifestée dans le complexe dossier du tramway de Québec. La capitale voulait 1,2 milliard d’un fonds fédéral pour les transports en commun. Mais les critères ne permettaient à Québec que de toucher 400 millions.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse sortante de Montréal

La mairesse de Montréal a accepté que les 800 millions manquants proviennent de l’enveloppe réservée à Montréal. Elle obtenait en échange certaines garanties de retrouver ces sommes pour la métropole.

Cette entente a permis de faire débloquer le projet de tramway.

« Je ne l’ai pas oublié, le tramway. Cette femme-là, ce qu’elle a fait, elle l’a fait avec bon cœur et équité. Moi, je n’oublierai jamais ça. Je n’irai pas nier le sentiment que j’ai envers cette femme-là après ce qu’elle a fait pour nous autres. Moi, je ne suis pas fait comme ça », a expliqué M. Labeaume dans son bureau de l’hôtel de ville, qu’il s’apprête à quitter pour de bon.

« Elle n’avait pas de grosses garanties. Je n’oublierai jamais ce que Valérie a fait pour nous autres et moi, je pense qu’elle va être encore meilleure dans un deuxième mandat. »

Lors de notre entretien, M. Labeaume n’a envoyé aucune pointe à M. Coderre. Les deux hommes avaient eu une collaboration fructueuse dans le dossier des régimes de retraite des employés municipaux.

Dans une entrevue avec Radio-Canada mardi dernier, le maire de Québec avait eu ces mots : « Denis, je n’ai pas eu de nouvelles depuis longtemps, donc je ne peux pas vous en parler. »

Le long combat pour les transports en commun

Régis Labeaume a fait couler beaucoup d’encre avec la construction du nouvel amphithéâtre. Mais au moment des bilans, c’est beaucoup de transports en commun qu’il est question.

Le maire croyait au tramway dès 2010. Mais à l’Assemblée nationale, le soutien n’y était pas.

Lors du premier projet de tramway, j’entendais du monde dire : “No way, tramway.” Ils se faisaient du capital politique. Sam [Hamad] était contre, Gérard Deltell était contre. C’était juste pour faire des gains politiques. Quand tu travailles là-dessus pendant des années, ça écœure.

Régis Labeaume, maire sortant de Québec

A suivi le projet de service rapide par bus (SRB) qui devait relier Lévis et Québec. Mais la ville de la Rive-Sud s’est finalement retirée du projet. « Les radios sont embarquées contre et les politiciens sont embarqués après. Lévis nous a trahis complètement. »

Il a finalement réussi à mettre en place le projet de tramway de 3,3 milliards, que quatre des cinq partis municipaux s’engagent à parachever s’ils sont élus le 7 novembre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe Couillard, ancien premier ministre du Québec

« Je rends hommage à Philippe Couillard. C’est probablement celui qui y a le plus cru, à ce projet-là. Il a cru que ce serait la modernité. Oui, c’est sûr qu’il voulait me faire plaisir, c’était payant politiquement. Mais il y croyait fondamentalement.

« Tous les autres ont toujours traité ça en termes de gain ou de perte politique. Ça m’a écœuré, ça m’a toujours écœuré. »

Le jour de cet entretien, jeudi, le ministre des Transports du gouvernement de François Legault a fait une sortie sur de possibles dépassements de coûts de 600 millions pour le tramway. Mais le maire ne veut pas aborder ce sujet lors de son entrevue d’adieu, au cours de laquelle il ne prononcera pas le nom de François Legault.

« Ma vie va super bien »

Sur un plan plus personnel, Régis Labeaume pense partir au bon moment. L’homme qui a combattu un cancer de la prostate veut profiter de sa retraite au maximum. La politique, c’est fini pour lui.

Tout ce qui s’en vient est heureux pour moi. J’ai deux petits-enfants. Ma vie va super bien. Je fais une belle vie. Je suis dans un beau bout de ma vie, à moins d’une bad luck comme un deuxième cancer.

Régis Labeaume, maire sortant de Québec

L’homme dit partir avec le sentiment du devoir accompli. Il est surtout fier des aménagements très terre à terre qui, selon lui, ont amélioré sa ville : les places éphémères et les écoquartiers D’Estimauville et de la Pointe-aux-Lièvres.

« Je pense que tout le monde s’entend pour dire que la ville va mieux. Elle est fière. Elle n’a plus ce complexe-là par rapport à Montréal, dit-il. Je pense qu’elle s’aime, qu’elle a une bonne estime d’elle-même. Je pense qu’elle est plus attrayante. La qualité de vie est encore meilleure. »

Québec ne sera jamais une métropole comme Montréal. C’est « un genre de ville qui n’est pas si grosse que ça ». Mais « on vit en français ici et on vit bien ». « C’est une ville très sécuritaire. Pour élever une famille, c’est fantastique. »

Régis Labeaume va d’abord s’offrir des vacances au soleil, puis partira pour Istanbul et les Balkans lors d’un voyage de plusieurs mois.

« Je suis équipé pour ne pas m’ennuyer. J’espère juste que je vais être capable de me calmer un peu ! »

Régis Labeaume se prononce…

Sur l’attentat à la Grande Mosquée de Québec

« Ç’a été le moment le plus intense, beaucoup plus que l’amphithéâtre. Humainement… Les gens ne le savent pas, mais les dirigeants ont passé la semaine à l’hôtel de ville. Ils ne savaient pas quoi faire. On a pleuré ensemble. Des affaires que je n’oublierai jamais. »

Sur les radios

« Radio X m’aimait bien au début parce que j’étais à contre-courant de ce qui existait. Mais aussitôt que je suis devenu maire, ils ont arrêté de m’aimer. C’était payant pour eux autres de m’aimer durant la campagne. »

Sur l’absence de scandales de corruption

« Je suis assez fier. Il y avait une culture d’honnêteté ici déjà. Et moi, j’ai dit non à ben du monde en partant. J’ai été intolérant. Le signal a été donné. Cette organisation-là a toujours été totalement honnête. On n’a jamais été pognés dans une flagosse. En 14 ans en politique, ce n’est pas évident. »

Sur sa décision de rester en politique municipale

« J’aime ça, être maire de Québec. Je ne me voyais pas ailleurs. Je suis un gars de l’est du Québec. Mes parents, leur rêve, c’était de déménager à Québec. C’est vrai ! J’ai habité le Lac-Saint-Jean, Sept-Îles… Québec, pour nous, c’était gros. Dans mon ADN, Québec, ç’a toujours été gros. »