(Maria, Gaspésie) Rue des Tournepierres, certains veulent rester. D’autres ont choisi de partir. Tous se demandent ce qui les attend. Pour beaucoup, « c’est vraiment un drame », lâche le maire de Maria.

Debout sur sa terrasse, Joanne Audet fait un geste vers la baie des Chaleurs privée de glace. « L’été, c’est un paradis ici. »

Le « paradis » en question s’appelle la rue des Tournepierres, à Maria. Imaginez une quarantaine de maisons le long de la baie, l’odeur de la mer, le bruit des vagues.

Joanne et son conjoint, Marcel, se sont installés ici en 2015 avec l’idée de couler leurs vieux jours. Mais tout s’apprête à changer.

Après un hiver durant lequel leur petite maison a bravé trois tempêtes majeures – du jamais vu ici –, ils ont reçu une lettre du gouvernement : leur propriété est menacée par un risque imminent. Sept autres propriétaires de la rue ont reçu la lettre.

Ils sont prêts à partir. Ils ne sont pas les seuls.

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Marcel Breton et sa conjointe Joanne Audet sur leur terrasse face à la mer. Leur petite maison a essuyé trois tempêtes majeures durant l’hiver.

Ç’a été le pire hiver de notre vie. La mer a débordé partout. C’est rentré de partout. C’était la panique.

Joanne Audet, 64 ans, résidante la rue des Tournepierres, à Maria

« La mer éclaboussait la porte-patio », se souvient Marcel Breton, 71 ans. Ils ont dû être évacués par les pompiers. « C’était notre retraite, ici », laisse tomber l’homme, d’un air dépité.

Quand les premiers habitants de la rue des Tournepierres se sont installés ici il y a plus de 40 ans, il y avait encore de la glace sur la baie des Chaleurs en hiver. Il y en avait encore un peu il y a 30 ans quand la municipalité a construit le réseau de distribution d’eau et les égouts de la rue.

Mais la glace sur la baie se fait de plus en plus rare. Et avec le réchauffement du climat et de l’océan, les experts s’attendent à en voir de moins en moins. C’était cette glace qui protégeait la rue des tempêtes hivernales.

Rue des Tournepierres, tous se demandent ce qui les attend. En octobre, lors d’une rencontre organisée par Maria et le ministère de la Sécurité publique (MSP), on a présenté aux citoyens des cartes qui prédisaient que la rue serait submergée dans 50 ans.

« Dans 50 ans, moi, je vais être morte », lâche Danielle Cyr, 76 ans, rencontrée pendant qu’elle faisait sa marche dans l’air salin du petit matin.

Mme Cyr fait partie de ceux qui veulent rester. Certaines maisons de la rue sont moins affectées par les tempêtes… pour l’instant.

On n’est pas les seuls. Tout le tour de la Gaspésie, il y a des gens sur le bord de la mer. Est-ce qu’ils vont exproprier tout le monde autour de la Gaspésie ?

Danielle Cyr, 76 ans, résidante la rue des Tournepierres, à Maria

Des millions pour sécuriser la berge

« En Gaspésie, ils ont perdu la morue, la crevette, le train, l’autobus et maintenant ils vont perdre leur maison ? », se demande, incrédule, l’un des propriétaires de la rue, Henri-Pierre Laridan. Ce néo-Gaspésien d’origine corse a bien l’intention de rester. Sa maison n’a pas connu de dégâts. Et il attend avec impatience une annonce sur des investissements pour protéger la rue.

Maria s’est fait promettre 10 millions de Québec pour aménager des protections côtières en 2022. La ministre de la Sécurité publique d’alors, Geneviève Guilbault, s’était même déplacée sur place pour l’annonce.

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Le secteur commercial de Maria est également jugé à risque.

Les ingénieurs du ministère de la Sécurité publique (MSP) et la municipalité de Maria sont en train de concevoir des solutions techniques pour protéger la rue, mais aussi le secteur commercial de la municipalité, qui est à risque et où se trouve l’unique épicerie.

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Gilles Savoie a passé un seul hiver rue des Tournepierres en tant que locataire, et ce sera son dernier. Il a dû évacuer la maison deux fois. « C’est une belle place. Les gens qui vont perdre ça vont perdre beaucoup. »

Mais l’océan n’attend pas les analyses. Les trois tempêtes de l’hiver ont décidé le MSP à envoyer d’urgence à huit propriétaires une lettre les informant que leur propriété est menacée par un « risque imminent ». D’autres lettres du genre pourraient suivre dans la rue des Tournepierres, selon nos informations.

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Le ministère de la Sécurité publique a informé huit propriétaires de la rue des Tournepierres que leur résidence court un « risque imminent ».

Selon la valeur des propriétés, certains pourraient recevoir jusqu’à 385 000 $ en dédommagement s’ils choisissent de partir. Les fonds proviendront du Programme général d’assistance financière (PGAF) lors de sinistres du MSP.

Joanne et Marcel ont l’intention d’accepter l’offre du gouvernement et de quitter leur rue adorée. « On a beaucoup de peine, c’est dur, mais on sait qu’il faut partir », lâche Joanne. « On sait qu’on ne peut pas aller contre ça. La mer veut reprendre sa place. »

Ceux qui restent

Maria et le MSP vont organiser une rencontre en mai ou en juin pour présenter aux habitants les solutions techniques qui existent pour protéger les berges. Mais le maire de Maria ne s’attend pas à un miracle. « Si vous êtes assis dans votre cuisine et qu’il y a un mur de pierre en avant et vous ne voyez rien, ce n’est peut-être pas une solution », lâche Jean-Claude Landry.

Il faudra faire des choix. Et le temps presse : la décision de Québec d’offrir à huit propriétaires un dédommagement pour quitter la rue sans attendre cette rencontre en est la preuve.

« On ne voudrait surtout pas qu’il se présente un évènement comme à Baie-Saint-Paul au printemps, prévient le maire. Les pompiers ont dû intervenir. Deux sont morts noyés. »

Le maire indique que la municipalité veut créer un lotissement dans les terres où des habitants de la rue qui le souhaitent pourraient se reloger.

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Jean-Claude Landry, maire de Maria

Il y a des retraités là depuis 25 ans. Ils sont très attachés au milieu, à la baie des Chaleurs. Pour eux, avoir à déménager sera tout un deuil. C’est vraiment un drame.

Jean-Claude Landry, maire de Maria

Ceux qui veulent partir de la rue ne sont pas les seuls à se faire du mauvais sang. Ceux qui restent se demandent ce qui subsistera de leur milieu de vie quand de nombreux voisins seront partis.

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La maison du DPhilippe Aubin lui sert également de lieu de travail.

« Le pire qui puisse arriver, ce serait que la municipalité abandonne l’aqueduc, arrête d’entretenir la route et les citoyens qui sont là vont s’arranger », lâche le DPhilippe Aubin.

Ce médecin de famille nous accueille dans sa maison de la rue des Tournepierres, là même où il reçoit ses patients pour des consultations. La maison baignée de lumière est la plus haute de la rue. Le DAubin dit comprendre ceux qui font le choix de partir. Lui ne craint pas la montée des eaux. Il se prépare à rester.

Au cours de l’hiver, sa maison n’a pas subi de dégâts, mais a été entourée d’eau deux fois. Il a été forcé d’annuler une poignée de rendez-vous : les patients ne pouvaient tout simplement pas se rendre chez lui.

Le DAubin dénonce une communication alarmiste de la municipalité. Selon lui, « les émotions ont pris le dessus ».

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Si la maison du Dr Philippe Aubin a été épargnée lors des tempêtes de l’hiver, elle s’est tout de même retrouvée entourée d’eau à deux reprises.

La municipalité laissait croire qu’une catastrophe imminente allait se passer ici, comme un tsunami. Mais ce qui nous arrive ici, ce n’est pas un tsunami.

Le DPhilippe Aubin, résidant de la rue Tournepierres

« Les gens ici sur la rue ont compris que la municipalité voulait les forcer à s’en aller. »

Plusieurs sont de l’avis du DAubin et ont choisi de rester. D’autres rêvent de partir, mais se sentent coincés. Une dame rencontrée devant sa maison explique, dépitée, qu’elle n’a pas reçu la fameuse lettre du gouvernement. Comment vendre sa maison après les évènements de l’hiver ?

« J’ai 76 ans, penses-tu que je veux vivre le reste de ma vie à regarder la mer monter au mois de novembre ? J’ai d’autres choses à faire », lâche celle qui a demandé de ne pas être nommée.

La dame a appelé au MSP. Elle a demandé si elle allait aussi recevoir une compensation pour partir. Elle n’a pas eu de réponse satisfaisante. En attendant, elle dit se sentir « prise » dans une « espèce d’anxiété ». Si le gouvernement lui faisait une offre « raisonnable », elle partirait demain matin.

« Ça fait 18 ans que je suis là, 18 ans de belle vie. C’est beau ici, c’est magnifique, ça me crève le cœur de partir. »