Ce n’est qu’une question de jours avant que nos pelouses ne soient complètement vertes. La Fondation David Suzuki lance une campagne afin que nos espaces gazonnés aient moins de répercussions sur la qualité des eaux, de l’air et des sols. Elle a choisi Montréal, Laval, Sherbrooke et Saint-Jérôme pour inciter les citoyens à penser autrement leurs carrés verts. Et les municipalités à agir.

La pelouse dans tous ses états

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

On peut facilement transformer une partie de nos espaces gazonnés en ajoutant des arbustes, des plantes indigènes, des prés fleuris, etc.

Est-ce qu’on a trop de pelouse au Québec ? « On en a effectivement un peu trop », estime Maxime Fortin Faubert, un expert stagiaire en écologie urbaine de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui a collaboré à l’étude de la Fondation David Suzuki. Le rapport Partage ta pelouse, rendu public le 11 avril, est le fruit d’un travail de deux ans en collaboration avec l’organisme Nouveaux Voisins visant à identifier le potentiel vert de la province en transformant les pelouses. « On avait très peu de données sur les pelouses, c’est un écosystème très complexe. C’est vrai qu’on parle souvent du défi de la tondeuse et de laisser pousser les pissenlits au mois de mai. On pense qu’on peut facilement transformer une partie de nos espaces gazonnés en ajoutant des arbustes, des plantes indigènes, des prés fleuris et, pourquoi pas, en aménageant des aires de repos », explique M. Fortin Faubert.

Ne pas culpabiliser

PHOTO FOURNIE PAR LA FIHOQ

La pelouse représente la plus grosse monoculture au Québec.

Afin d’arriver à ces conclusions, des experts de la Fondation et de l’INRS ont entrepris de cartographier les surfaces végétales basses (donc, majoritairement des graminées) des municipalités de Montréal, Laval, Sherbrooke et Saint-Jérôme. Des analyses de résolution satellite ont été menées, les pixels décortiqués. Alexandre Huet est responsable de la mobilisation citoyenne et de l’engagement du public à la Fondation David Suzuki. Il explique que les quatre villes ont été choisies en raison de la diversité de la taille et de la population. « Notre objectif avec ce rapport n’est pas de culpabiliser les gens, mais plutôt de tracer un bilan. Lors de la COP15 [Conférence de Montréal de 2022 sur la biodiversité], il y a eu beaucoup d’effervescence autour des pelouses. Il s’agit de la plus grosse monoculture au Québec. Et dans le contexte des changements climatiques, où il faut réduire la consommation d’eau, des engrais et des pesticides, on croit qu’il était temps de tracer un bilan. »

Proportions de pelouse estimées pour les quatre villes

  • Sherbrooke : 8,2 % (28,9 km⁠2)
  • Saint-Jérôme : 13,0 % (11,8 km⁠2)
  • Laval : 14,7 % (35,5 km⁠2)
  • Montréal : 19,5 % (96,5 km⁠2)

Source : Fondation David Suzuki

Règlements municipaux

PHOTO ARCHIVES GETTY IMAGES

Les pissenlits ont des bienfaits pour la pollinisation des fleurs. En conséquence, les citoyens ne doivent pas sortir la tondeuse trop vite au mois de mai.

Forte de ces données, la Fondation David Suzuki estime que les municipalités ont un rôle important à jouer. Selon les experts qui ont participé à l’étude, les municipalités pourraient modifier des règlements. Par exemple, il est reconnu que les pissenlits ont des bienfaits pour la pollinisation des fleurs. En conséquence, les citoyens ne doivent pas sortir la tondeuse trop vite au mois de mai. Il faudrait « assouplir l’encadrement concernant la hauteur de la végétation », estime la Fondation. L’organisme rappelle que l’Union des municipalités du Québec (UMQ) proposait, en 2022 dans un rapport sur le climat, d’abolir les hauteurs maximums pour le gazon. Elle suggérait plutôt un minimum de 20 centimètres pour préserver la fraîcheur en été et éviter l’arrosage excessif. À la Ville de Sherbrooke, un règlement précise qu’un propriétaire ne doit pas laisser pousser la végétation sur son terrain à une « hauteur excessive », sans préciser la hauteur maximale. À la Ville de Laval, un vieux règlement a été modifié, en 2023, pour permettre d’adhérer au mouvement « Mai sans tondeuse », en retirant des limites de hauteur sur les terrains du 1er mai au 30 mai inclusivement.

Les pesticides

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Sur le territoire de la Ville de Montréal, il est interdit depuis 2022 de vendre et d’utiliser des produits qui contiennent au moins un de 36 ingrédients nocifs, dont le glyphosate.

Il reste toute la question des pesticides. À l’heure actuelle, près de 160 municipalités du Québec en réglementent l’usage. Sur le territoire de la Ville de Montréal, il est interdit depuis 2022 de vendre et d’utiliser des produits qui contiennent au moins un de 36 ingrédients nocifs, dont le glyphosate. La mesure vise à inciter les jardiniers et passionnés des belles pelouses à se tourner vers des pesticides moins toxiques ou, mieux, vers des biopesticides. Dans la même veine, la Fondation David Suzuki recommande aux municipalités de mieux encadrer les tondeuses. On cite l’exemple de la Californie, où la vente des petits équipements à moteur à essence (dont les tondeuses) est interdite pour prévenir la formation de smog. Enfin, les auteurs du rapport espèrent que les données sur les pelouses inciteront les entrepreneurs en aménagement paysager à proposer à leur clientèle des projets innovants intégrant la biodiversité.

Consultez le site et le rapport « Partage ta pelouse » de la Fondation David Suzuki