Avec ses rots et ses pets, une vache laitière émet chaque année une quantité de méthane équivalant aux émissions de GES d’une voiture qui parcourt 20 000 kilomètres. Ottawa vient d’autoriser la mise en marché d’un additif alimentaire qui risque de transformer la lutte contre le réchauffement climatique à la ferme. Le 3-NOP permettrait de réduire en moyenne de 30 % les émissions de méthane d’une vache laitière et en moyenne de 45 % celles des bovins de viande.

Qu’est-ce que le 3-NOP ?

Le nitrate de 3-hydroxypropyl, commercialisé sous le nom Bovaer, est un ingrédient alimentaire en poudre qui réduit les émissions de méthane à même l’estomac des bêtes. L’Agence canadienne d’inspection des aliments a approuvé sa mise en marché le 30 janvier dernier. Cet additif composé de nitrate et d’un alcool végétal était déjà autorisé dans 58 autres pays dans le monde.

L’entreprise européenne DSM-Firmenich affirme que le produit permet une réduction d’environ 1 tonne de CO2 par vache laitière chaque année. Il suffit d’ajouter ¼ de cuillère à café par jour dans la nourriture de l’animal.

« Ajouter Bovaer à la ration de trois vaches équivaut à retirer une voiture familiale de la circulation et ajouter Bovaer à la ration d’un million de vaches équivaut à planter une forêt de 45 millions d’arbres », indique l’entreprise sur son site internet.

Comment ça marche ?

Avec leurs éructations (et leurs flatulences dans une bien moindre mesure), les vaches émettent du méthane (CH4). Le méthane se forme dans le rumen – soit le compartiment avant de l’estomac des bovins – à l’issue d’un processus digestif qui se nomme fermentation entérique.

« Dans le rumen, on a des [millions de milliards] de micro-organismes. […] on est dans les 15 zéros après le 1 ! Donc il y en a vraiment des quantités astronomiques », explique Andréanne La Salle, agronome et enseignante en production animale au programme collégial du campus MacDonald de l’Université McGill.

Parmi ces micro-organismes se trouvent les archées (Archea en latin). Elles libèrent du méthane combinant des molécules d’hydrogène et de CO2 issues de la digestion.

« C’est à ce moment-là que la vache va roter le méthane et qu’il va être libéré par sa bouche dans l’environnement. Le 3-NOP va diminuer le [nombre d’archées ou les empêcher] de se développer », ajoute Mme La Salle.

Les Producteurs laitiers du Canada veulent atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cet outil changera-t-il la donne ?

C’est un outil intéressant, à condition que les entreprises agricoles aient les moyens de l’utiliser, estime Mme La Salle. Cette dernière évalue que le coût quotidien du 3-NOP tournera autour de 50 cents par vache.

« Cinquante cents par vache par jour, ça ne sonne pas beaucoup quand on le dit juste comme ça, mais si on regarde un troupeau laitier moyen au Québec, on parle d’environ 75 vaches en lactation à l’année, multipliée par 365 jours, faites le calcul : ça donne dans les 13 000 $. Et quand on parle d’une ferme de 75 vaches, on parle du revenu familial d’une famille », souligne-t-elle, ajoutant qu’il pourrait être intéressant de subventionner les producteurs qui décident de l’utiliser.

« De ce que je comprends de la stratégie de prix de DSM, c’est qu’ils ont établi le prix en fonction du prix de la tonne de carbone. Donc l’utilisation dépend de la capacité des producteurs à monétiser les réductions d’émissions de méthane », ajoute pour sa part Daniel Lefebvre, chef de l’innovation au centre d’expertise en production laitière Lactanet. Il évalue quant à lui le coût à 45 cents par animal par jour.

Est-ce que ça change le goût du lait ?

Non. « C’est une molécule qui a été largement étudiée à la fois pour son efficacité, mais aussi [son innocuité] du point de vue de la santé de la vache. Du point de vue de la qualité du lait, il n’y a pas de changement dans la composition ou les propriétés », explique Daniel Lefebvre.

Le Bovaer a notamment été testé lors d’une vaste étude de deux ans réalisés en Alberta sur 15 000 bovins de boucherie. Des réductions d’émissions allant jusqu’à 82 % ont été constatées. L’entreprise affirme que 65 essais sur des fermes ont été réalisés dans 20 pays générant 70 publications scientifiques.

M. Lefebvre affirme que les résultats mis de l’avant par l’entreprise sont crédibles. « C’est documenté par la recherche publiée et révisée par les pairs », souligne-t-il.

Pourquoi est-il important de réduire les émissions de méthane du bétail ?

Le méthane est un puissant GES qui possède un pouvoir de réchauffement planétaire près de 28 fois plus élevé que le dioxyde de carbone (CO2) sur 100 ans. Il est responsable d’environ 30 % du réchauffement de la planète depuis l’ère préindustrielle.

Au Canada, l’agriculture est responsable d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre. Les 200 000 fermes du Canada ont généré, à elles seules, 73 mégatonnes (Mt) d’équivalents CO2 en 2019. De ce nombre, une quantité de 24 Mt provenait de la fermentation entérique.

Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, une vache laitière en lactation génère environ 400 g de méthane par jour. En un an, cela représente une quantité de méthane équivalant aux émissions d’une voiture moyenne qui parcourt 20 000 kilomètres.

« Le méthane entérique, c’est 48 % des émissions de GES des fermes laitières », souligne Daniel Lefebvre.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, une réduction des émissions de méthane d’origine humaine de 45 % au cours de la prochaine décennie permettrait d’éviter un réchauffement climatique de près de 0,3 °C d’ici à 2045.