Des pêcheurs du Québec et des provinces de l’Atlantique souhaitent électrifier leur flotte de bateaux.

« Le virage électrique est la seule issue. Notre planète se meurt. Notre pêche doit absolument devenir carboneutre, au moins pour la portion côtière », estime le directeur de la pêche commerciale de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, Guy-Pascal Weiner.

Sa communauté située à Cacouna, près de Rivière-du-Loup, est la première au Québec à avoir fait l’acquisition d’un bateau de pêche hybride. Tout juste de retour de la chasse au phoque dans le secteur des Îles-de-la-Madeleine, M. Weiner explique que la mécanique du bateau construit en aluminium est impressionnante, avec ses trois moteurs, deux au diesel, un entièrement électrique.

  • Bateau de pêche hybride, le CikTek fonctionne au diesel et à l’électricité.

    PHOTO FOURNIE PAR LA PREMIÈRE NATION WOLASTOQIYIK WAHSIPEKUK

    Bateau de pêche hybride, le CikTek fonctionne au diesel et à l’électricité.

  • Le CikTek fonctionne au diesel et à l’électricité.

    PHOTO FOURNIE PAR LA PREMIÈRE NATION WOLASTOQIYIK WAHSIPEKUK

    Le CikTek fonctionne au diesel et à l’électricité.

1/2
  •  
  •  

Le bateau a été baptisé CikTek, ou « celui qui est silencieux ». Il porte bien son nom puisque sa propulsion électrique produit moins de décibels qu’un lave-vaisselle.

C’est tellement silencieux qu’on touche le moteur pour s’assurer qu’il fonctionne. Pour l’instant, sa force n’est pas assez puissante pour se rendre au large à cause de la puissance des eaux de l’estuaire. Il y a des limites à la technologie. Mais il est parfait pour zigzaguer entre les cordages de nos zones de pêche.

Guy-Pascal Weiner, directeur de la pêche commerciale de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk

Au Canada, un virage électrique est amorcé en mer, particulièrement pour les grands navires. En raison des coûts, le défi est plus grand pour les pêcheurs aux homards, aux oursins ou pour les crevettiers.

Parlez-en à Stéphan LeBlanc, un homardier et ancien biologiste pour le ministère des Pêches du village côtier de Cap-Pelé, au Nouveau-Brunswick. Dans les dernières années, il a fait des pieds et des mains pour effectuer un virage électrique. Il estime que ça lui permettrait de réduire de près de la moitié sa consommation de diesel. Sauf qu’il a frappé un mur devant les coûts astronomiques.

« L’idée était d’ajouter un moteur électrique puisque le moteur diesel est déjà sur mon bateau, explique M. LeBlanc. Tout le monde était emballé par mon projet. On avait même découvert qu’il y avait de l’argent disponible du Fonds des pêches de l’Atlantique. On a demandé un estimé du coût à des fabricants. Au départ, on parlait de 150 000 $, mais à la fin, il était question de 350 000 $. »

Pierre Dupuis est ingénieur et directeur général chez Homarus, organisme à but non lucratif dont la mission est de veiller à la viabilité socio-économique de la pêche, et appuie le pêcheur dans ses démarches. Il fait remarquer que pour des raisons évidentes, il n’y a pas de bornes de recharge électrique au milieu de l’océan. Le virage est complexe. Idéalement, dit-il, les ports vont investir pour installer des bornes sur les quais. En attendant, il y a la technologie hybride, mais avec ses risques d’investissements.

100 000 $

Coût moyen d’un homardier au diesel de taille moyenne (de 25 à 34 pieds)

Sur papier, ça paraît très beau. Mais, dans la réalité, ce n’est pas tout à fait vrai. Ce qu’on entend dire, c’est qu’il y a des problèmes mécaniques et de fiabilité. La rentabilité est le principal obstacle pour nos pêcheurs. Ce n’est pas abordable. Il faudrait que les fabricants puissent démontrer que c’est viable financièrement.

Pierre Dupuis, ingénieur et directeur général chez Homarus

Moins de carburant, moins d’entretien

Au Nouveau-Brunswick, l’entreprise Aka Energy Systems a pour sa part décidé de confier l’essai de son bateau nommé Hybrid 1 à la communauté autochtone Passamaquoddy. On parle d’un bateau avoisinant le million de dollars.

PHOTO FOURNIE PAR AKA ENERGY SYSTEMS

Le bateau Hybrid 1 de la communauté autochtone Passamaquoddy, au Nouveau-Brunswick. Il a été développé par le fabricant AKA, dont les usines sont situées à l’Île-du-Prince-Édouard.

Lors de la mise à l’eau, la pêcheuse Dana Lavers, qui a testé le navire Hybrid 1 en 2023, a déclaré localement que « le mode électrique permet un amarrage fluide, entraînant des économies considérables en termes de coûts de carburant et une réduction de l’entretien moteur ».

La direction d’AKA Energy Systems, établie à l’Île-du-Prince-Édouard, n’a pas donné suite à plusieurs demandes d’entrevue de La Presse pour faire le point sur l’expérience pilote avec Hybrid 1. Et sur les avancées pour les petits pêcheurs.

En septembre, l’entreprise a annoncé « une étape historique dans l’industrie maritime chinoise » grâce à la fin des essais de son premier gros navire hybride diesel-électrique, le Fu Rui 688, qui est en mer à Zhoushan, dans la province du Zhejiang, dans l’est de la Chine.

Sébastien Duquette, chargé de projet en ingénierie électrique chez Innovation Maritime, travaille sur plusieurs projets technologiques avec le secteur maritime canadien. Selon lui, la différence de l’implantation hybride entre les petits et gros navires revient à comparer des pommes avec des oranges.

« C’est l’espace dans le bateau le défi avec les bateaux de pêche de style homardier. Il faut aussi tenir compte du poids, du profil de la coque et son efficacité. Mais il y a un intérêt. C’est en ligne directe avec le plan de décarbonation des voies maritimes Saint-Laurent/Grands Lacs. »

En attendant que le virage électrique soit abordable, Stéphan LeBlanc travaille à convertir une partie de la propulsion de son homardier au biocarburant. Grâce à l’essence végétale.

« Je tente de conclure des ententes avec des restaurateurs pour récupérer l’huile de cuisson. On pourrait se servir des résidus forestiers. Produire du méthanol. Sauf que j’aimerais ça quitter à quai au diesel pour ensuite sillonner mon territoire de pêche avec un moteur à propulsion électrique », ajoute le homardier.

En savoir plus
  • 30 %
    C’est le niveau d’augmentation de l’acidité des océans depuis le début de la révolution industrielle.
    Gouvernement du Canada