Un des climatologues les plus réputés des États-Unis vient de remporter un procès en diffamation contre deux blogueurs qui l’accusaient d’avoir falsifié ses recherches sur le climat en le comparant à un agresseur sexuel. Une victoire qui pourrait refroidir les ardeurs des climatosceptiques qui s’en prennent régulièrement aux scientifiques.

On dirait un mauvais film de série B. C’est une histoire vraie ?

Tout à fait. Le climatologue Michael Mann vient de remporter un procès contre Rand Simberg et Mark Steyn, pour des billets de blogue publiés en 2012 considérés comme diffamatoires. Dans un verdict unanime, un jury de Washington les a condamnés jeudi à verser un peu plus de 1 million de dollars américains à M. Mann. Les deux hommes ont cependant indiqué qu’ils pourraient porter la décision en appel.

PHOTO PETE MAROVICH, THE NEW YORK TIMES

Le climatologue américain réputé Michael Mann quittant un tribunal de Washington après avoir remporté un procès en diffamation contre deux blogueurs, mercredi

Qui sont Rand Simberg et Mark Steyn ?

Rand Simberg est un ingénieur américain qui travaillait en 2012 pour un groupe de réflexion libertarien, le Competitive Enterprise Institute (CEI), reconnu pour ses positions climatosceptiques. Il a été condamné à verser 1000 $ à Michael Mann en dommages punitifs. Quant à Mark Steyn, un journaliste canadien controversé, le jury l’a condamné à une amende de 1 million de dollars pour des propos publiés en 2012 dans le magazine conservateur National Review.

Pourquoi s’en prendre à Michael Mann ? Ce nom n’est pas très connu du grand public.

Michael E. Mann s’est fait connaître en 1999, à l’âge de 34 ans, pour une étude parue dans la revue Geophysical Research Letters dans laquelle on retrouvait l’une de ses contributions les plus importantes à la science du climat : un graphique surnommé le « graphique en bâton de hockey » (hockey stick graph), représentant les moyennes de température mondiales des 1000 dernières années. Les données montraient une courbe en forme de bâton de hockey, illustrant une hausse soutenue du réchauffement planétaire à partir de la période préindustrielle. Le graphique est devenu très populaire et a été repris dans un rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) en 2001. En 2006, on le retrouvait également dans le documentaire de l’ancien vice-président Al Gore, Une vérité qui dérange (An Inconvenient Truth), lauréat en 2007 de l’Oscar du meilleur film documentaire.

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Le « graphique en bâton de hockey »

En 2009, Michael Mann s’est retrouvé, avec d’autres scientifiques, au cœur d’un scandale de piratage de courriels baptisé Climategate. Des climatosceptiques l’avaient alors faussement accusé de manipuler les données de ses recherches. M. Mann est aujourd’hui directeur de l’Earth System Science Center de l’Université d’État de Pennsylvanie. Il a aussi inspiré le personnage joué par Leonardo DiCaprio dans le film Déni cosmique (Don’t Look Up), sorti en 2021.

Que reproche-t-on à Simberg et à Steyn ?

« On pourrait dire que Mann est le Jerry Sandusky de la science climatique, sauf qu’au lieu d’agresser des enfants, il a agressé et torturé des données », a écrit Rand Simberg dans un billet publié sur le site du CEI en 2012. Jerry Sandusky est un ancien entraîneur de football de l’Université d’État de Pennsylvanie, déclaré coupable en 2012 d’avoir agressé sexuellement des enfants pendant une quinzaine d’années. En 2012, Michael Mann était professeur à cette même université, où il enseignait la science du climat. Même si le CEI a retiré la phrase de son site, la jugeant « inappropriée », Mark Steyn a repris plus tard le billet de Simberg dans une publication dans le National Review en ajoutant : « Je ne suis pas sûr que j’aurais étendu cette métaphore jusqu’aux douches des vestiaires avec le même zèle que M. Simberg, mais il n’a pas tort. »

Comment a réagi Michael Mann après le verdict ?

« J’espère que ce verdict enverra un message selon lequel attaquer faussement les scientifiques du climat n’est pas un discours protégé », a déclaré le scientifique dans un communiqué. « C’est une victoire pour la science et c’est une victoire pour les scientifiques », a-t-il ajouté. La décision a également été saluée par plusieurs scientifiques sur les réseaux sociaux. « Je ne suis pas un grand fan de Michael Mann, mais c’est un résultat fantastique dans la lutte contre la désinformation climatique. Deux de moins, des millions d’imbéciles sans connaissance à venir », a écrit le professeur de mathématique à la retraite Eliot Jacobson sur le réseau X, jeudi.

Un tel verdict pourrait-il aider de plus en plus les scientifiques dans la ligne de mire des climatosceptiques ?

Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM, croit que la décision en faveur de Michael Mann pourrait freiner les ardeurs de certains négationnistes. Mais il note du même souffle un regain du discours climatosceptique dans la sphère publique. « Michael Mann ne sera pas le seul à être attaqué. Plus on est visible, plus on est ciblé », avance-t-il. L’enjeu est important, souligne-t-il, rappelant un récent rapport du Forum économique mondial qui plaçait la mésinformation et la désinformation au premier rang des risques les plus sérieux pour l’année 2024. « On va devoir redoubler d’efforts. Les complotistes sont de plus en plus efficaces pour communiquer de fausses informations. »