Les rejets polluants liés aux opérations d’extraction et de raffinage des sables bitumineux en Alberta sont beaucoup plus importants que ceux rapportés par l’industrie, conclut une étude de la revue Science. « Un problème grave » qui doit mener à des changements dans l’évaluation des émissions, estiment des experts.

20 à 64 fois plus que les données officielles

Des chercheurs d’Environnement Canada et de l’Université Yale ont publié jeudi dans la revue Science les résultats de leur étude sur les émissions polluantes liées aux sables bitumineux en Alberta. Entre les mois d’avril et de juillet 2018, ils ont mesuré les concentrations d’émissions de carbone organique dans l’air, qu’ils ont ensuite comparées aux résultats officiels rapportés par l’industrie. À noter que les données officielles sont comptabilisées à partir des directives d’Environnement Canada. Les résultats ont démontré que les concentrations réelles étaient de 20 à 64 fois supérieures à celles publiées dans l’Alberta Emissions Inventory Report et dans l’Inventaire national des rejets de polluants du Canada.

Plus polluant qu’à Los Angeles

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Circulation sur une autoroute à Los Angeles, aux États-Unis

« Les composés organiques volatils sont associés à des impacts considérables sur la qualité de l’air et sur l’environnement », signalent les auteurs de l’étude intitulée Les mesures du carbone organique total révèlent des lacunes majeures dans la déclaration des émissions pétrochimiques. Ces composés mieux connus sous l’acronyme COV regroupent des gaz et des vapeurs qui contiennent du carbone, comme les vapeurs et les solvants, et excluent le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4). Selon l’étude, les émissions associées à l’industrie des sables bitumineux en Alberta sont supérieures à celles qu’on retrouve à Los Angeles.

Un appel à faire mieux

Les chercheurs concluent notamment que « les rapports spécifiques sur les COV ne suffisent pas à eux seuls à capturer l’ensemble de la gamme des émissions de carbone ». Selon eux, « une couverture complète […] des émissions est nécessaire pour éclairer efficacement la science et les politiques ». « Cette étude met en évidence certains problèmes importants liés à la déclaration des émissions de carbone organique de l’industrie pétrolière. Compte tenu de l’ampleur des émissions concernées, ce problème est très grave et devrait entraîner des modifications dans la manière dont nous quantifions les émissions des différents acteurs », croit Alejandro Di Luca, professeur de climatologie au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM.

Une approche coûteuse

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Installations pétrolières près de Fort McMurray, en Alberta

En entrevue avec le magazine Nature, Nadine Borduas-Dedekind, chimiste atmosphérique de l’Université de la Colombie-Britannique, s’est dite « préoccupée par l’ampleur des chiffres ». « Vous voulez mesurer tout ce carbone. Pour la qualité de l’air, pour la santé, mais aussi pour le climat », puisque certaines molécules de carbone finiront par être oxydées en CO2, a-t-elle précisé. L’un des auteurs de l’étude, John Liggio, chercheur à Environnement Canada, a cependant précisé au réseau CBC que ce type d’analyse serait beaucoup trop coûteux à réaliser. Il dit néanmoins souhaiter que son étude aide l’industrie et le gouvernement à mieux suivre ces rejets de COV dans l’atmosphère.

L’industrie ouverte à améliorer ses « pratiques de mesure »

Les données pour cette étude ont été recueillies grâce à une trentaine de vols en avion au-dessus de 17 sites industriels de sables bitumineux en 2018. L’avion était équipé d’un appareil capable de mesurer les COV. Une approche nettement plus coûteuse que la méthode actuelle, basée sur des estimations d’émissions au sol, approuvée par Environnement Canada. « L’industrie des sables bitumineux mesure les émissions à l’aide des normes établies par ECCC [Environnement et Changement climatique Canada], et nous sommes impatients de travailler ensemble pour explorer les possibilités d’améliorer davantage nos pratiques de mesure », a déclaré aux médias Mark Cameron, porte-parole de la Pathways Alliance, qui regroupe les plus importantes sociétés pétrolières au Canada.

Consultez l’étude parue dans Science (en anglais)