(Dubaï) De plus en plus isolés, l’Arabie saoudite, l’Irak et leurs alliés exportateurs de pétrole campent dimanche sur leurs positions hostiles à tout objectif de sortie des énergies fossiles dans l’accord final de la COP28, censée se conclure mardi à Dubaï.

Mais les pays pétroliers font face à la dynamique, inédite dans l’histoire des COP, des pays qui appellent à engager la fin de l’ère des fossiles, même si le calendrier, le rythme et les nuances d’un tel déclin restent encore largement à négocier.

Blocage saoudien

« L’échec n’est pas une option », a prévenu dimanche Sultan Al Jaber, le président émirati de la 28e conférence de l’ONU sur le climat, quelques minutes avant de réunir tous les ministres dans une séance traditionnelle musulmane, un « majlis ».

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Le président émirati de la COP28, Sultan Ahmed al-Jaber

Al Jaber, patron de la compagnie pétrolière Adnoc, leur avait demandé de venir avec des « solutions » plutôt que des « positions déterminées », lui qui répète vouloir un « accord historique » le 12 décembre, compatible avec « la science » climatique et le maintien en vie de l’objectif de réchauffement à 1,5 °C fixé par l’accord de Paris.

En public, le représentant saoudien lui a répondu en appelant les 194 pays plus l’Union européenne impliqués dans les négociations à prendre en compte les « perspectives » et les « inquiétudes » de Riyad, plaidant pour le développement des technologies, controversées, de captage du carbone.

Inclure dans le texte final un objectif de « sortie » ou même de « réduction » des énergies fossiles « bouleverserait l’économie mondiale et augmenterait les inégalités dans le monde », a abondé son homologue irakien.

Des ONG aux négociateurs, les participants expriment pourtant le même sentiment qu’un accord n’a jamais été aussi proche pour signaler le début de la fin du pétrole, du gaz et du charbon, dont la combustion depuis le XIXe siècle a permis l’essor économique mondial au prix du réchauffement de la planète.

Lors du « majlis » dominical, les ministres ont souscrit les uns après les autres à la sortie des énergies fossiles, « ce que je n’aurais jamais imaginé il y a seulement deux ans », a réagi Catherine Abreu, de l’ONG Destination Zero.

À la fin de la réunion, le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra, s’est dit sûr qu’il existait « une majorité, voire une supermajorité de pays présents qui veulent plus d’ambition ».

Puis, signe que les vraies négociations ne font que commencer, il s’est ensuite rendu au pavillon saoudien.

La Chine veut un accord

Une source de la présidence européenne confie même qu’à ce stade, les camps n’ont pas encore montré leurs cartes.

Autre indice que, malgré les postures publiques, tout le monde se parle : samedi, plusieurs diplomates (dont Chine, Émirats et Arabie saoudite) ont célébré l’anniversaire de l’émissaire américain pour le climat, John Kerry, qui aura 80 ans lundi, selon deux sources.

Un grand accord final dépend aussi des gages donnés aux pays émergents, comme l’Inde, qui produit encore les trois quarts de son électricité en brûlant du charbon… et aux pays en développement qui exigent des pays riches de l’aide pour installer l’énergie solaire ou les éoliennes dont ils auront besoin, ou pour s’adapter aux ravages du changement climatique (digues, bâtiments, santé, agriculture).

La Chine joue un rôle central dans les intenses pourparlers actuels.  

« Sur les énergies fossiles, la Chine semble vouloir un accord. En tout cas elle fait tout pour », a dit dimanche Agnès Pannier-Runacher, la ministre française chargée des COP.

De plus en plus isolée, l’Arabie saoudite est accusée de vouloir faire dérailler les discussions sur les autres sujets, pour bloquer l’ensemble du processus.

« Les Saoudiens ralentissent les négociations sur ces sujets clés pour les pays en développement, dans l’espoir que ceux-ci seront mécontents et les rejoindront pour s’opposer au texte final sur les énergies fossiles », décrypte un observateur impliqué dans les discussions auprès de l’AFP.

L’initiative revient désormais à Sultan Al Jaber, qui devra in fine trouver un consensus. Un nouveau projet de texte doit être publié lundi matin.

Prière du pape

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Le pape François pendant la prière hebdomadaire de l’Angélus, le 10 décembre au Vatican

Le pape, qui a dû annuler sa venue à Dubaï en raison d’une bronchite, a encouragé les négociateurs pendant la prière hebdomadaire de l’Angélus, demandant aux fidèles de « prier pour que l’on parvienne à de bons résultats pour la sauvegarde de notre Maison commune et la protection des populations ».

Manifestation contre l’OPEP

Des militants ont fait une brève irruption dans le pavillon de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui a fait scandale avec la révélation vendredi d’une lettre appelant ses membres à rejeter tout accord ciblant les énergies fossiles.

Une poignée d’activistes sont arrivés lors d’un évènement organisé au pavillon de l’OPEP à Dubaï, où ils ont été invités à s’asseoir avant de s’exprimer durant quelques minutes.

« Nous savons que l’OPEP a envoyé une lettre à ses membres pour leur demander de s’opposer à une sortie des énergies fossiles et nous pensons que c’est un mauvais signe », a déclaré Nicolas Haeringer de l’ONG 350.org devant des visiteurs du stand étonnés.

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Nicolas Haeringer (2e à gauche) de l’ONG 350.org et des activistes ont manifesté dans le pavillon de l’OPEP, le 10 décembre.

« Pour nous, avoir un pavillon de l’OPEP à la COP c’est comme avoir un énorme forage pétrolier dans les négociations », a-t-il dénoncé.

« Nous voulons une sortie totale, juste et rapide des énergies fossiles », ont ensuite scandé les militants avant de se retirer.

Alors que les négociations sont entrées officiellement dans les dernières 48 heures, plusieurs options sont encore sur la table, y compris celle de n’avoir aucune mention des énergies fossiles dans le texte de l’accord final, a souligné Nicolas Haeringer auprès de l’AFP en disant vouloir aussi « mettre la pression ».

« La seule possibilité acceptable eu égard à la réalité du réchauffement climatique est une sortie rapide », a-t-il poursuivi en appelant les pollueurs historiques occidentaux « à montrer l’exemple et assurer des financements aux pays du sud ».

L’empreinte carbone de la nourriture

L’énergie a sa feuille de route pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, rédigée par l’Agence internationale de l’énergie, mais jusqu’ici, l’alimentation n’en avait pas de comparable. L’Organisation des Nations unies pour l’agriculture (FAO) a comblé cette lacune dimanche pour atteindre la neutralité carbone sans compromettre l’alimentation mondiale.

En 2030, selon son scénario, les émissions de méthane du cheptel mondial devront avoir baissé de 25 %, par rapport à 2020. Dix ans plus tard, il ne faudra plus de déforestation dans le monde. Mais des ONG ont critiqué l’absence d’appel à réduire la consommation de viande.