La Cour supérieure tranche en faveur d’une petite municipalité visée par une poursuite par des propriétaires de terrains

Un règlement de zonage limitant les possibilités de développement sur un terrain constitue-t-il une expropriation déguisée ? Non, a répondu la Cour supérieure du Québec dans une décision récente reçue comme une bouffée d’air frais par le monde municipal.

Ce qu’il faut savoir

  • En septembre 2021, des propriétaires de terrains à Léry, sur la Rive-Sud de Montréal, ont déposé une poursuite de 3,1 millions de dollars pour expropriation déguisée contre la municipalité.
  • Les demandeurs alléguaient qu’un nouveau règlement de zonage limitant les possibilités de développement les privait de leur droit de propriété.
  • Le tribunal a rejeté leurs arguments dans une décision rendue le 19 octobre dernier.

La juge Catherine Piché, de la Cour supérieure, signale que « les demandeurs n’ont pas droit d’invoquer une “utilisation maximale” de leur terrain comme justification à une réclamation pour expropriation déguisée ».

Les demandeurs sont cinq propriétaires de terrains situés dans la municipalité de Léry, au sud-ouest de Montréal, dont Claude Sauvé et Jean-Guy David. Ils prétendaient qu’un règlement de zonage adopté par Léry et la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) avait pour effet d’enlever toute utilisation raisonnable de leurs terrains.

Ils réclamaient 3,1 millions de dollars à Léry et à la CMM pour expropriation déguisée.

Rappelons qu’en 2016, Léry a adopté un règlement d’urbanisme limitant les possibilités de développement dans le corridor forestier Châteauguay-Léry, où se trouvent les terrains des propriétaires Claude Sauvé et Jean-Guy David. Ce nouveau règlement visait à assurer la conformité avec le schéma d’aménagement de la MRC de Roussillon. La MRC, elle, devait se conformer au Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la CMM.

Concrètement, la MRC et Léry devaient identifier les zones situées dans les bois et corridors forestiers où l’on pouvait envisager un lotissement de faible densité afin de protéger ce corridor naturel à haute valeur écologique.

Un secteur protégé

Le nouveau règlement prévoit alors que 55 % des terrains des demandeurs devaient demeurer intacts alors qu’un lotissement de 0,5 habitation par hectare était possible sur les 45 % restants. Cependant, en vertu d’autres dispositions réglementaires, les propriétaires auraient pu proposer un projet avec une densité d’habitations plus élevée.

Il faut donc comprendre que les terrains des demandeurs sont situés dès 2016 dans un secteur protégé avec usages restreints et un déboisement minimal, tel que le stipulent le Schéma et le document complémentaire de la MRC [de Roussillon].

Extrait du jugement de la juge Catherine Piché

« Leurs terrains se voient donc imposer des restrictions quant au développement résidentiel. Ils considèrent que parce que la Ville n’offre pas de les compenser en achetant leurs terrains, ils subissent une expropriation déguisée », ajoute-t-elle dans sa décision de 37 pages.

Selon la juge Catherine Piché, « un simple changement de zonage ou une diminution de valeur actuelle ou potentielle de l’immeuble ne suffisent pas pour qu’il y ait expropriation déguisée ».

Les usages permis par la réglementation de 2016 de Léry étaient suffisants pour permettre une utilisation raisonnable des terrains. Il n’y a eu ni confiscation des terrains ni négation absolue de l’exercice du droit de propriété des demandeurs.

Extrait du jugement de la juge Catherine Piché

« Le fait que, dans le développement d’un projet éventuel, les demandeurs puissent avoir à surmonter des défis économiques et des coûts prohibitifs, ou encore qu’ils aient à effectuer des demandes de permission discrétionnaire pour permettre d’avoir des services sur les terrains en cause, ne rend pas la réglementation prohibitive », mentionne-t-elle.

L’avocat Éric Oliver, du cabinet Municonseil, qui représentait les demandeurs, a refusé de répondre aux questions de La Presse. « Je n’ai pas le temps. Je n’ai pas de commentaires à faire aux journalistes », a-t-il déclaré avant de raccrocher subitement.

Les villes soulagées

« On est très satisfaits de cette décision-là, indique Massimo Iezzoni, directeur général de la CMM. Ce qu’on retient surtout, c’est que la juge [Piché] a reconnu que les villes et la CMM sont tributaires des orientations gouvernementales [en matière d’aménagement]. On constate aussi que le jugement reconnaît la raisonnabilité de ces règlements [adoptés par les villes et la CMM]. »

« C’est une décision importante qui permet de clarifier comment le tribunal analyse les poursuites pour expropriation déguisée », estime pour sa part Marc-André LeChasseur, avocat au cabinet Bélanger Sauvé, qui représente la CMM.

[La juge Piché] n’a pas embarqué dans le discours alarmiste et la protection à outrance du droit de propriété.

Marc-André LeChasseur, avocat représentant la CMM

La juge Piché cite d’ailleurs dans sa décision un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec en 1993. « Enfin, même s’ils datent de plus de vingt ans, il y a lieu de reprendre les propos du juge [Jean-Louis] Baudouin dans l’arrêt Abitibi (MRC) c. Ibitiba ltée, lesquels sont toujours d’une grande pertinence dans ce contexte d’exploitation des boisés milieux humides. »

« La protection de l’environnement et l’adhésion à des politiques nationales est, à la fin de ce siècle, plus qu’une simple question d’initiatives privées, aussi louables soient-elles. C’est désormais une question d’ordre public. Par voie de conséquence, il est normal qu’en la matière, le législateur, protecteur de l’ensemble de la collectivité présente et future, limite, parfois même sévèrement, l’absolutisme de la propriété individuelle », a écrit le juge Baudouin.

« Le droit de propriété est désormais de plus en plus soumis aux impératifs collectifs. C’est là une tendance inéluctable puisque, au Québec comme dans bien d’autres pays, la protection de l’environnement et la préservation de la nature ont été trop longtemps abandonnées à l’égoïsme individuel », a conclu le magistrat en 1993.

Consultez la décision de la Cour supérieure