Québec pourrait se retrouver avec une facture salée si la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) était condamnée pour expropriation déguisée dans au moins sept dossiers. À ce jour, le gouvernement Legault a été appelé en garantie pour presque 600 millions de dollars et la somme pourrait grimper encore.

Depuis avril, la CMM a appelé en garantie le gouvernement du Québec dans sept dossiers où elle est poursuivie pour expropriation déguisée. La somme totalise à ce jour 589 millions de dollars, a appris La Presse.

Un appel en garantie est généralement invoqué lorsqu’un défendeur estime qu’une autre entité doit lui être substituée face à d’éventuelles décisions défavorables des tribunaux. Dans les sept dossiers en cause, la CMM est poursuivie après avoir adopté deux règlements de contrôle intérimaire (RCI) pour protéger temporairement des milieux naturels et certains terrains de golf.

Le premier règlement, adopté en juin 2022, interdit toute construction dans les bois et les milieux humides d’intérêt sur le territoire de la CMM. Le deuxième, aussi adopté en 2022, vise à protéger six anciens terrains de golf présentant un potentiel de reconversion en espace vert. Les deux règlements ont été approuvés par le gouvernement du Québec.

À ce jour, une trentaine de poursuites ont été déposées contre la CMM. Certaines demandent seulement l’annulation pure et simple des règlements en cause.

Mais chaque fois que la CMM est poursuivie pour expropriation déguisée, le gouvernement du Québec est maintenant appelé en garantie, explique Marc-André LeChasseur, avocat au cabinet Bélanger Sauvé, qui représente la CMM.

Selon Marc-André LeChasseur, les villes ont les mains liées puisqu’elles doivent respecter les orientations fixées par Québec. Il rappelle que les villes et la CMM appliquent les orientations gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT). Le plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) doit respecter les orientations du gouvernement, et les règlements de zonage municipaux doivent être conformes au PMAD. Le PMAD, d’ailleurs, doit être approuvé par Québec pour être valide.

Protéger 30 % du territoire d’ici 2030

Le gouvernement Legault s’est engagé à protéger 30 % de son territoire d’ici 2030, afin de respecter les accords internationaux pour la protection de la biodiversité, dont l’accord de Kumming-Montréal, négocié dans la métropole en décembre 2022. La CMM s’est aussi donné comme cible de protéger 30 % de son territoire avant la fin de la décennie.

Québec va aller chercher son 30 % dans le nord [de la province], mais dans le Sud, le gouvernement utilise son bras exécutif, les villes, pour le faire à sa place.

Marc-André LeChasseur, avocat au cabinet Bélanger Sauvé

« Il va falloir trouver une façon de régler ces dossiers-là, plaide-t-il. Soit le gouvernement offre une protection juridique aux villes, soit il leur donne de l’argent [pour payer les indemnités]. » Selon lui, le monde municipal n’est pas dans la même position que Québec, qui n’a pas l’obligation de verser des indemnités en cas d’expropriation.

L’avocat donne en exemple la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, « où il est écrit clairement qu’aucun recours ne peut être pris si un terrain se retrouve dans une zone agricole [article 95] ».

Selon Jean-François Girard, avocat spécialisé en droit de l’environnement, le recours aux appels en garantie résulte de décisions récentes des tribunaux. « Les tribunaux nous disent maintenant que même si un règlement municipal est valide, ça peut constituer une expropriation déguisée. »

« Nos adversaires nous disent présentement la même chose : ton règlement est valide, mais c’est une expropriation déguisée. Ils ne contestent même plus la réglementation adoptée par les villes ! »

Selon les deux juristes, le projet de loi 22 sur l’expropriation pourrait apporter une solution à cette problématique. « Le projet de loi 22, c’est une loi antispéculation, qui vise les spéculateurs qui misent sur des changements de zonage [pour réaliser leurs projets] », affirme Marc-André LeChasseur.

« Attaque au droit de propriété »

Or, selon l’avocat Nikolas Blanchette, du cabinet Fasken, la réforme proposée s’inspire plutôt du communisme, a-t-il plaidé dans une publication récente sur le réseau LinkedIn. Selon le juriste, qui représente des clients expropriés, le projet de loi 22 « constitue une attaque en règle au droit de propriété ».

S’il était adopté, le projet de loi ferait en sorte que les propriétaires expropriés seraient dédommagés sur la base de la valeur marchande de leur terrain et non de la valeur au propriétaire, comme c’est le cas actuellement.

Marc-André LeChasseur estime que Québec comblerait ni plus ni moins son retard sur plusieurs provinces canadiennes et même sur les États-Unis, où c’est la valeur marchande qui est prise en compte lors d’une expropriation.

« C’est ce qu’on fait en Ontario et dans six autres provinces canadiennes. C’est le cas aussi aux États-Unis, qu’on ne peut certainement pas qualifier de régime communiste », lance MLeChasseur, en réponse à Nikolas Blanchette.

Québec procède actuellement à l’étude détaillée du projet de loi 22, après avoir reçu plusieurs mémoires cet automne.

Lisez une lettre de Marc-André Lechasseur
En savoir plus
  • 43 %
    Les montants des indemnités pourraient diminuer de 43 % si le gouvernement allait de l’avant en adoptant le principe de la valeur marchande.
    Source : Communauté métropolitaine de Montréal
    147 millions
    Budget annuel de la Communauté métropolitaine de Montréal, ce qui représente le quart des sommes réclamées dans les sept poursuites pour expropriation déguisées.
    Source : Communauté métropolitaine de Montréal