Extinction des espèces, épuisement des sources d’eau, fonte des glaciers, canicules : le monde s’approche dangereusement de nouvelles catastrophes qui s’alimenteront les unes et les autres, prévient un nouveau rapport des Nations unies. Parmi les causes de ces catastrophes, une cause commune : les humains, qui ont donc aussi le pouvoir de renverser la vapeur.

Risques interreliés

L’humanité « s’approche dangereusement de multiples points de basculement des risques », soit le moment où un système socioécologique cesse de fonctionner et où le risque de catastrophes s’accentue, alerte le rapport Risques de catastrophes interconnectées 2023, publié mercredi par l’Université des Nations unies (UNU). Ces risques sont interreliés et pourraient au surplus provoquer un effet domino. Ils sont aussi tous causés par le comportement humain, « ce qui veut dire que toutes les solutions peuvent en fait venir d’un changement de comportement », a expliqué à La Presse Caitlyn Eberle, autrice principale du rapport et chargée de recherches principale à l’Institut de l’environnement et de la sécurité humaine de l’UNU.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DES NATIONS UNIES

Caitlyn Eberle, autrice principale du rapport Risques de catastrophes interconnectées 2023

Épuisement des nappes phréatiques

Plus de la moitié des plus grands aquifères du monde se vident plus rapidement qu’ils ne peuvent se régénérer, indique le rapport, qui souligne que 70 % des prélèvements sont destinés à l’agriculture. « C’est comme si on prenait une gigantesque paille pour siphonner ces aquifères, illustre Caitlyn Eberle. Les niveaux d’eau chutent de plus en plus bas et, éventuellement, ça baisse sous le niveau des puits. » L’impact est énorme pour les agriculteurs, mais aussi sur le système alimentaire qui dépend d’eux, comme c’est arrivé dans les années 1990 en Arabie saoudite, quand le pays est passé de sixième exportateur de blé à importateur après avoir épuisé ses aquifères.

PHOTO VICTOR CAIVANO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un affluent asséché du fleuve Rio Paraná, en Argentine, en juillet 2021

Fonte des glaciers de montagne

La fonte des glaciers de montagne peut elle aussi causer, paradoxalement, un manque d’eau. Le phénomène provoque d’abord des inondations, comme on le voit déjà dans l’Himalaya, « mais la sécheresse viendra ensuite », prévient Mme Eberle. Après avoir franchi la « pointe d’eau », soit le moment où la fonte atteint son maximum, la quantité d’eau fournie par le glacier décline durablement, affectant les systèmes d’irrigation, d’eau potable ou de production électrique en aval, ainsi que le rechargement des aquifères. La pointe d’eau « est déjà dépassée ou est attendue dans la prochaine décennie » pour différents petits glaciers du monde, dont ceux de l’ouest du Canada, indique le rapport.

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Le glacier Schneeferner, en Allemagne, en août dernier

Chaleur insupportable

La multiplication des canicules causées par les changements climatiques, qui est responsable de 500 000 décès supplémentaires dans le monde depuis deux décennies, démontre que les solutions nécessitent des changements de comportement plutôt que de repousser le problème à plus tard, indique le rapport. « L’air climatisé est une solution pansement », illustre Caitlyn Eberle. Il faut plutôt « repenser la façon dont on construit nos sociétés, dont on bâtit nos villes », dit-elle, se réjouissant que cette réflexion soit déjà amorcée dans beaucoup d’endroits. Cette approche permet en même temps une meilleure gestion de l’eau et la restauration des milieux humides, qui ont des effets bénéfiques sur les autres points de basculement des risques, souligne-t-elle.

PHOTO BRUNA PRADO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un homme se rafraîchit dans la douche extérieure d’une plage de Rio de Janeiro, au Brésil, en septembre dernier

Extinctions accélérées

Le manque d’eau et les canicules n’affectent pas que les humains, les autres êtres vivants en souffrent aussi. En raison des activités humaines, le taux actuel d’extinction des espèces est de 10 à 100 fois supérieur au taux naturel de la Terre, indique le rapport. Et l’extinction d’une espèce peut elle-même entraîner la disparition d’une autre, qui en dépend, ou la multiplication d’autres, dont elle était un prédateur, bouleversant durablement tout l’écosystème. « L’impact réel de l’extinction sur nos systèmes vitaux est largement sous-estimé », affirme le document, qui suggère de repenser nos approches de conservation, souvent axées sur une espèce à la fois.

PHOTO OSWALDO RIVAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une tortue olivâtre au refuge La Flor Wildlife, au Nicaragua, le 5 octobre dernier

Débris spatiaux

L’espace est tellement chargé de débris en orbite autour de la planète qu’une collision pourrait déclencher une réaction en chaîne qui rendrait impossible l’utilisation de satellites, s’inquiète le rapport, soulignant qu’une telle situation aurait de graves impacts sur la surveillance des phénomènes météorologiques, les alertes en cas de catastrophes et les communications, mettant des vies en danger. « La plupart des gens ne pensent pas que ces problèmes sont liés, parce qu’ils ont l’air si éloignés », indique Caitlyn Eberle. Elle souligne que les humains ont la même attitude sur Terre : « On pollue nos eaux, on pollue nos sols. »

PHOTO MALCOLM DENEMARK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Lancement d’une fusée de SpaceX le 21 octobre dernier, en Floride

Perte de couverture d’assurance

L’augmentation des catastrophes naturelles qui vient avec les changements climatiques pourrait rendre l’assurance indisponible ou inabordable pour de nombreuses personnes, privant ces gens d’un filet de sécurité économique. Ce pourrait être le cas d’ici 2030 pour un demi-million de personnes en Australie, indique le rapport. Pour éviter d’atteindre ce point de basculement des risques et les autres, Caitlyn Eberle dit qu’il faut travailler à « être de bons ancêtres » pour les générations qui suivront, en pensant à l’impact que nos actions d’aujourd’hui pourront avoir demain. « Ça change complètement la façon de voir le monde. »

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Inondations près de Sydney, en Australie, en mars 2021

2 milliards

Nombre de personnes approvisionnées en eau potable par des sources d’eau souterraines dans le monde

50 %

Proportion des glaciers du monde qui pourraient disparaître d’ici 2100

34 260

Nombres d’objets en orbite autour de la Terre qui font l’objet d’un suivi, hormis ceux trop petits pour être tracés, mais qui pourraient créer d’importants dégâts en cas de collision

Source : rapport Risques de catastrophes interconnectées 2023