Les destructions illégales de milieux humides se multiplient dans toutes les régions du Québec même si ceux-ci sont essentiels à la biodiversité et à la lutte contre les changements climatiques. Entre 2018 et 2022, ce sont 3,3 millions de mètres carrés qui ont été rayés de la carte sans la moindre autorisation, a appris La Presse.

En quatre ans, c’est donc une superficie équivalant à une fois et demie celle du parc du Mont-Royal qui a été détruite sans aucune autorisation ministérielle, révèlent des données du ministère québécois de l’Environnement, obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Toutes les régions sont touchées, même Montréal et Laval, où les milieux humides sont de plus en plus rares.

Les milieux humides jouent pourtant un rôle essentiel dans un contexte de lutte contre les changements climatiques, puisqu’ils captent d’importantes quantités de carbone, en plus d’assurer de nombreux services écosystémiques.

Selon le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), l’ampleur des superficies détruites illégalement au Québec est un « désastre écologique ».

Cette superficie est importante : elle représente en effet 22 % des superficies remblayées en toute légalité avec l’aval du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) depuis 2017.

Depuis six ans, le MELCCFP réclame en effet une compensation financière aux promoteurs qui veulent remblayer des milieux humides pour réaliser leurs projets. Une destruction est illégale lorsqu’un promoteur n’a fait aucune demande préalable auprès du Ministère. Selon une récente enquête du Journal de Montréal, Québec accepte 98 % des demandes qui lui sont présentées.

Toutes les régions touchées

C’est dans la région des Laurentides (632 598 m⁠2) que l’on retrouve la plus importante superficie détruite, suivie de la Montérégie (606 882 m⁠2) et de l’Estrie (536 576 m⁠2). Au total, ce sont 3 283 468 m⁠2 de milieux humides qui ont été détruits illégalement entre 2018 et 2022. Les promoteurs délinquants ont reçu un avis de non-conformité du MELCCFP. La Presse n’a pas été en mesure de confirmer combien avaient fait l’objet d’une sanction administrative pécuniaire ou avaient été condamnés à payer une amende à la suite d’une enquête pénale.

Dans un rapport accablant dévoilé en avril dernier, le Vérificateur général du Québec relevait plusieurs lacunes dans la gestion du ministère de l’Environnement pour la conservation des milieux humides. Le rapport signalait entre autres que le Ministère ne possède pas toutes les informations concernant les milieux détruits illégalement, « telles que la superficie détruite et la remise en état des milieux par la suite ».

Ces milieux détruits s’ajoutent à ceux dont le remblayage a été autorisé par le MELCCFP en échange d’une compensation financière.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Vue d’un milieu humide restauré dans le parc de conservation du ruisseau de Feu, à Terrebonne

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, en 2017, Québec a autorisé la destruction de 14,9 millions de mètres carrés de milieux humides, dont 5,8 millions de mètres carrés ont été compensés par une contribution financière ou des travaux de restauration.

En date du 31 mars dernier, plus de 116 millions dollars avaient ainsi été versés au Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État.

Les sommes recueillies doivent servir à des projets de création ou de restauration de milieux humides.

Au 31 mars dernier, moins de 2 % des sommes recueillies avaient été dépensées pour créer de nouveaux milieux humides.

« Un désastre écologique »

« C’est intolérable. C’est un désastre écologique qui survient en pleine crise de la biodiversité », a réagi Marc Bishai, avocat au CQDE, en prenant connaissance des chiffres obtenus par La Presse. « C’est ahurissant comme chiffre, c’est énorme. Ça montre qu’il est urgent de renforcer la capacité d’action du Ministère. »

Selon MBishai, le MELCCFP doit absolument se donner les moyens de réaliser son mandat. « Il manque de ressources, d’inspecteurs. Le Ministère utilise-t-il tous les outils à sa disposition ? », demande-t-il aussi, faisant référence notamment aux poursuites pénales, sous-employées, selon lui.

« C’est pire que ça, en réalité », croit la biologiste Kim Marineau, présidente de la firme Biodiversité conseil, qui compte 30 ans d’expérience dans le milieu.

Selon Mme Marineau, les chiffres dévoilés par le Ministère ne représentent que la pointe de l’iceberg puisqu’ils tiennent seulement compte des infractions constatées par les inspecteurs du MELCCFP.

Kim Marineau ne s’est d’ailleurs pas montrée surprise par les chiffres obtenus par La Presse. « On le faisait autrefois [détruire des milieux humides], on le fait encore. La nouvelle loi sur les milieux humides [entrée en vigueur en 2017], ça n’a pas changé la mentalité des gens. Tout ce qu’ils veulent savoir [les promoteurs], c’est combien ça va leur coûter. Les compensations [exigées par le Ministère], ce n’est pas assez cher, ce n’est pas dissuasif. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Fossé de drainage creusé sans autorisation à Longueuil, en 2020, dans l’habitat de la rainette faux-grillon, une espèce menacée

De son côté, le directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, Alain Branchaud, persiste et signe : les contrevenants devraient être empêchés de soumettre de nouvelles demandes pour remblayer des milieux humides.

Les délinquants, il faut les restreindre dans leur capacité de faire des demandes. Ne pas pouvoir demander d’autorisation pendant deux, trois ans, ça fait réfléchir.

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

En réponse aux questions de La Presse, le porte-parole du MELCCFP, Frédéric Fournier, a précisé que « lorsqu’un manquement à la loi est constaté, plusieurs outils d’intervention sont disponibles et applicables selon la gravité des manquements. Parmi ceux-ci, notons les avis de non-conformité, les sanctions administratives pécuniaires, les poursuites pénales ou tout autre recours administratif comme les avis d’exécution ou les ordonnances ».

M. Fournier ajoute que le Ministère est aussi en mesure d’exiger plus rapidement des correctifs auprès des délinquants depuis l’entrée en vigueur, en avril 2022, de la Loi visant principalement à renforcer l’application des lois en matière d’environnement et de sécurité des barrages, à assurer une gestion responsable des pesticides et à mettre en œuvre certaines mesures du Plan pour une économie verte 2030 concernant les véhicules zéro émission.