Des montagnes de déchets s’accumulent chaque année au Québec après la traditionnelle période des grands déménagements. Dans nombre de foyers, c’est l’occasion d’acheter des électroménagers flambant neufs. Souvent des frigos.

(Bécancour) Contrairement à la croyance populaire, les fixatifs pour les cheveux des années 1980 ne sont pas les seuls grands coupables du trou dans la couche d’ozone. En catimini, les frigos jouent un rôle destructeur encore plus grand. Surtout les plus anciens. On peut les reconnaître facilement à leur couleur beige, jaune, verte, parfois avec du faux bois. Ils sont bourrés de chlorofluorocarbures (CFC).

Les CFC sont aujourd’hui bannis, mais les frigos contiennent encore des gaz fragilisant la couche d’ozone. Notamment du fréon, le nom commercial d’un gaz réfrigérant, et d’autres halocarbures : fluor, carbone, hydrogène, même du chlore. Près de Trois-Rivières, dans le parc industriel de l’ancienne centrale nucléaire de Gentilly, une usine unique en son genre en Amérique du Nord, PureSphera, a entrepris de recycler les réfrigérateurs.

Il faut absolument arrêter une fois pour toutes de broyer les réfrigérateurs chez des ferrailleurs. En écrasant la mousse isolante, les gaz nocifs s’échappent dans l’atmosphère.

Mathieu Filion, ingénieur et directeur de l’exploitation de PureSphera

La première chose qui frappe en arrivant à l’usine est la montagne de frigos, de congélateurs. Des centaines, empilés les uns sur les autres, de tous les modèles. Du plus récent, en inox, avec des tablettes numériques intégrées dans la porte, au plus vieux, jauni par les années. Il y a aussi quantités de frigos commerciaux – Häagen-Dazs, Nestlé, Red Bull, Heineken, pour ne nommer que ceux-là. Tous devront être soumis à cinq grandes étapes avant d’avoir une deuxième vie.

Débarquement

Quand un réfrigérateur arrive dans la zone de débarquement, il est déjà identifié par un code-barre pour en assurer la traçabilité. On s’affaire à noter le type de réfrigérant et l’isolation (mousse de polyuréthane ou laine minérale) qu’il contient. À cette étape, tiroirs, plastique, verre et ampoules sont enlevés. Un soin particulier est accordé au retrait des interrupteurs au mercure.

  • L’huile et les gaz sont séparés. Le gaz est entreposé dans des bonbonnes gigantesques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’huile et les gaz sont séparés. Le gaz est entreposé dans des bonbonnes gigantesques.

  • Les cadres des appareils sont récupérés. Ils seront plus tard déchiquetés.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Les cadres des appareils sont récupérés. Ils seront plus tard déchiquetés.

  • Un à un les frigos sont soumis à différentes étapes de démontage.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Un à un les frigos sont soumis à différentes étapes de démontage.

  • Les circuits électroniques sont démontés, les métaux, dont le cuivre, sont récupérés pour être réutiliés.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Les circuits électroniques sont démontés, les métaux, dont le cuivre, sont récupérés pour être réutiliés.

  • Des restes de frigos décontaminés, déchiquetés.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Des restes de frigos décontaminés, déchiquetés.

  • L’usine PureSphera récupère toutes les parties d’un frigo qui est hors d’usage. Dans l’atelier, des employés s’affairent à réparer des frigos usagés.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’usine PureSphera récupère toutes les parties d’un frigo qui est hors d’usage. Dans l’atelier, des employés s’affairent à réparer des frigos usagés.

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M. Filion affirme que près de 100 000 frigos passeront par son usine cette année. Un nombre en constante augmentation depuis l’entrée en vigueur, en 2022, de la réglementation sur les écofrais liés aux électroménagers neufs. À l’image des consignes sur les bouteilles, les écofrais financent la collecte et le recyclage des électroménagers. Pour un réfrigérateur standard, un congélateur ou un cellier, le montant est de 30 $.

Le nombre d’appareils récupérés à son usine ne représente qu’un quart des frigos en fin de vie, selon lui. Le reste ira à la poubelle. Chez des ferrailleurs.

« Les écofrais, c’est le principe du pollueur-payeur, dit-il. En ce moment, par exemple, on parle beaucoup des pailles en plastique. Ce que les gens ne réalisent peut-être pas, c’est qu’un frigo représente à lui seul l’équivalent d’au moins 25 000 pailles. Sans compter les gaz. »

La deuxième étape à l’usine consiste à procéder à la vidange des halocarbures. À l’aide d’un bras hydraulique, les appareils sont positionnés un à un, afin de vider leur circuit de refroidissement et leur compresseur. Un système d’aspiration permet d’extraire le gaz et l’huile.

M. Filion montre du doigt une série de bonbonnes ressemblant à s’y méprendre à celles servant à alimenter nos grils extérieurs au propane. Sauf qu’elles sont gigantesques. Elles servent à stocker les gaz. À ce jour, PureSphera est la seule entreprise au pays à capter les halocarbures dans la mousse isolante et la première au Québec à vendre des crédits compensatoires sur le marché du carbone en réduisant les effets des plus vieux appareils.

Broyage

À la troisième étape, c’est le broyeur. Les carcasses des frigos sont broyées sous aspiration pour prévenir des fuites toxiques. Des générateurs d’azote remplaçant l’oxygène servent à éviter les explosions. Un savant système de fraction sépare l’acier du fer, de l’aluminium ou du cuivre. La mousse sera ensuite transportée vers un genre de silo pour en faire une poudre très fine.

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L’usine PureSphera récupère toutes les parties d’un frigo qui est hors d’usage.

Métaux, absorbants industriels, résine ; la matière ainsi récupérée est entièrement revalorisée, affirme M. Filion. Les gaz excédentaires sont détruits de façon sûre.

« Je dirais qu’on récupère 97,8 % des frigos. » Les restes sont des résidus alimentaires, des cartons ou encore des cheveux entremêlés dans le grillage arrière ou sous les appareils.

Chez PureSphera, on pousse plus loin la récupération en commençant à offrir aux particuliers des pièces pour réparer les frigos. Les tiroirs, bacs, tablettes, paniers et accessoires de portes en bon état sont offerts à bas prix aux gens qui veulent « réparer au lieu de jeter ». M. Filion estime qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour instaurer une mentalité de « citoyens réparateurs au Québec ». À ce chapitre, dit-il, les Européens sont beaucoup plus en avance que nous.

En savoir plus
  • 76,5 kg
    C’est la quantité de plastiques, métaux et verre contenue en moyenne dans un réfrigérateur.
    Source : PureSphera