La crise climatique est en train de devenir une crise financière.

Ce mois-ci, la plus grande compagnie d’assurance habitation de Californie, State Farm, a annoncé qu’elle cesserait de vendre des couvertures aux propriétaires. Et ce, non seulement dans les zones touchées par les incendies de forêt, mais partout dans l’État.

Les compagnies d’assurance, lassées de perdre de l’argent, augmentent leurs tarifs, restreignent leur couverture ou se retirent complètement de certaines zones, ce qui rend plus coûteux le fait de vivre dans sa maison.

« Le risque a un prix », a déclaré Roy Wright, ancien responsable des assurances à l’Agence fédérale de gestion des urgences, aujourd’hui à la tête de l’Institut d’assurance pour la sécurité des entreprises et des habitations, un groupe de recherche. « Nous commençons à peine à le voir. »

Dans certaines régions de l’est du Kentucky ravagées par les tempêtes de l’été dernier, le prix de l’assurance contre les inondations devrait quadrupler. En Louisiane, le plus haut responsable de l’assurance déclare que le marché est en crise et offre des millions de dollars de subventions pour tenter d’attirer les assureurs dans l’État.

Dans une grande partie de la Floride, les propriétaires ont de plus en plus de mal à souscrire une assurance contre les tempêtes. La plupart des grands assureurs se sont déjà retirés de l’État, renvoyant les propriétaires vers des compagnies privées plus petites qui s’efforcent de rester en activité – un aperçu possible de l’avenir de la Californie si d’autres grands assureurs s’en vont.

Une exposition croissante aux catastrophes

State Farm, qui assure plus de propriétaires en Californie que n’importe quelle autre compagnie, a déclaré qu’elle cesserait d’accepter des demandes pour la plupart des types de nouvelles polices d’assurance dans l’État en raison de « l’augmentation rapide de l’exposition aux catastrophes ».

La compagnie a fait savoir qu’elle reconnaissait le travail des autorités californiennes pour réduire les pertes dues aux incendies de forêt, mais qu’elle devait cesser de souscrire de nouvelles polices « pour améliorer sa solidité financière ».

Un porte-parole de State Farm n’a pas répondu à une demande de commentaire.

Les tarifs d’assurance en Californie ont grimpé après que les incendies de forêt ont été plus dévastateurs que prévu. Une série d’incendies qui ont éclaté en 2017, dont beaucoup ont été allumés par des étincelles provenant d’équipements de services publics défaillants, ont explosé en taille avec les effets du changement climatique. Certains propriétaires ont perdu entièrement leur assurance parce que les assureurs ont refusé de couvrir les maisons situées dans les zones vulnérables.

Un modèle brisé

Les difficultés de la Californie ressemblent à une version ralentie de ce qu’a connu la Floride après que l’ouragan Andrew a dévasté Miami en 1992. Les pertes ont entraîné la faillite de certains assureurs et le retrait de la plupart des compagnies nationales de l’État.

En réaction, la Floride a mis en place un système complexe : un marché basé sur de petites compagnies d’assurance, soutenu par Citizens Property Insurance Corp., une compagnie mandatée par l’État pour fournir une couverture contre les tempêtes de vent aux propriétaires qui ne pouvaient pas trouver d’assurance privée.

Pendant un certain temps, ce système a fonctionné. Puis est arrivé l’ouragan Irma.

PHOTO LUKE SHARRETT, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Maison effondrée sur la plage après le passage de l’ouragan Irma, à Vilano Beach, en Floride, le 14 septembre 2017

L’ouragan de 2017, qui a touché terre dans les Keys de la Floride en tant que tempête de catégorie 4 avant de remonter la côte, n’a pas causé de dégâts particulièrement importants. Mais il a été le premier d’une série de tempêtes, dont le point culminant a été l’ouragan Ian en octobre dernier, qui a brisé le modèle sur lequel les assureurs s’étaient appuyés : une mauvaise année de sinistres, suivie de quelques années calmes pour reconstituer leurs réserves.

Depuis Irma, presque toutes les années ont été mauvaises.

Les assureurs privés ont commencé à avoir du mal à payer leurs sinistres ; certains ont fait faillite. Ceux qui ont survécu ont augmenté leurs tarifs de manière significative.

De plus en plus de personnes ont quitté le marché privé pour Citizens, qui est récemment devenu le plus grand assureur de l’État, selon Michael Peltier, un porte-parole. Mais Citizens ne couvre pas les maisons dont le coût de remplacement est supérieur à 700 000 $ US (940 000 $ CAN), ou à 1 million US (1,3 million CAN) dans le comté de Miami-Dade et les Keys.

Ces propriétaires sont donc forcés de souscrire une assurance privée – et dans certaines régions de l’État, cette assurance est de plus en plus difficile à trouver, selon M. Peltier.

Pas assez de richesse

La Floride, malgré ses difficultés, dispose d’un avantage important : un afflux constant de résidants qui restent, pour l’instant, désireux et capables de payer le coût croissant de la vie dans cette région. En Louisiane, l’augmentation du coût de l’assurance est devenue, pour certaines communautés, une menace pour leur existence.

Comme la Floride après Andrew, le marché de l’assurance de la Louisiane a commencé à s’effondrer après le départ des assureurs à la suite de l’ouragan Katrina en 2005. Puis, à partir de l’ouragan Laura en 2020, une série de tempêtes s’est abattue sur l’État. Neuf compagnies d’assurance ont fait faillite et les gens ont commencé à se précipiter vers la version de l’État du plan Citizens de Floride.

PHOTO SCOTT CLAUSE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Dégâts provoqués par le passage de l’ouragan Laura, à Cameron, en Louisiane, le 21 septembre 2020

Le marché de l’assurance de l’État « est en crise », a lâché le commissaire aux assurances de la Louisiane, James J. Donelon, lors d’une interview.

En décembre, la Louisiane a dû augmenter de 63 % les primes pour la couverture fournie par son plan Citizens, pour atteindre une moyenne de 4700 $ par an.

En mars, elle a emprunté 500 millions de dollars sur le marché obligataire pour régler les demandes d’indemnisation des propriétaires abandonnés à la suite de la faillite de leur assureur privé, a indiqué M. Donelon. L’État a récemment accepté d’accorder de nouvelles subventions aux assureurs privés, les payant essentiellement pour qu’ils exercent leur activité dans l’État.

M. Donelon a déclaré qu’il espérait que ces subventions permettraient de stabiliser le marché. Mais Jesse Keenan, professeur à l’Université Tulane de La Nouvelle-Orléans et expert en matière d’adaptation au climat et de financement, a affirmé qu’il serait difficile de redresser le marché de l’assurance de l’État. Le coût élevé de l’assurance a commencé à affecter le prix des maisons, a-t-il souligné.

Dans le passé, il aurait été possible pour certaines communautés – celles où les maisons sont transmises de génération en génération, sans hypothèque et sans que les banques n’exigent d’assurance – de se passer complètement d’assurance. Mais avec le changement climatique qui rend les tempêtes plus intenses, ce n’est plus une option.

« Il n’y a tout simplement pas assez de richesses dans ces communautés à faibles revenus pour continuer à reconstruire, tempête après tempête », a indiqué M. Keenan.

Vers une tarification basée sur le risque

Alors même que les propriétaires des États côtiers doivent faire face à une hausse des coûts de leur assurance contre le vent, ils subissent des pressions d’un autre ordre : l’assurance contre les inondations.

En 1968, le Congrès a créé le programme national d’assurance contre les inondations, qui offre aux propriétaires une couverture financée par les contribuables.

Comme pour les incendies de forêt en Californie et les ouragans en Floride, le programme d’assurance contre les inondations est né de ce que les économistes appellent une défaillance du marché : les assureurs privés ne voulaient pas couvrir les inondations, ce qui ne laissait aucune option aux propriétaires.

Le programme a atteint son objectif principal, à savoir rendre l’assurance contre les inondations largement disponible à un prix abordable pour les propriétaires. Mais à mesure que les tempêtes devenaient plus violentes, le programme a dû faire face à des pertes croissantes.

En 2021, la Federal Emergency Management Agency (FEMA), qui gère le programme, a commencé à fixer des taux équivalents au risque réel d’inondation auquel sont exposés les propriétaires, dans le but de mieux communiquer le véritable danger auquel sont exposées les différentes propriétés et de limiter les pertes pour le gouvernement.

PHOTO REBECCA BLACKWELL, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Secteur inondé de Fort Lauderdale, en Floride, le 13 avril dernier

Ces augmentations, qui s’échelonnent sur plusieurs années, se traduisent dans certains cas par des hausses de prix considérables. Selon la FEMA, le coût actuel de l’assurance contre les inondations pour les maisons individuelles s’élève à 888 $ US par an (1192 $ CAN). Avec la nouvelle tarification basée sur le risque, ce coût moyen s’élèverait à 1808 $ US (2430 $ CAN).

Selon Carolyn Kousky, vice-présidente associée chargée de l’économie et de la politique à l’Environmental Defense Fund, la meilleure façon pour les décideurs politiques de contribuer à maintenir l’assurance à un niveau abordable est de réduire les risques auxquels les gens font face. Par exemple, les autorités pourraient imposer des normes de construction plus strictes dans les zones vulnérables.

Les programmes imposés par le gouvernement, tels que le régime d’assurance contre les inondations, ou Citizens en Floride et en Louisiane, étaient censés servir d’appui au marché privé. Mais à mesure que les chocs climatiques s’aggravent, a-t-elle ajouté, « nous en sommes au point où cela commence à se fissurer ».

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Lisez l’article original du New York Times (en anglais, abonnement requis)