(Sainte-Marie-Salomé) Des élus et citoyens de la petite localité de Sainte-Marie-Salomé, dans Lanaudière, vont manifester ce mercredi contre la présence de milliers de camions qui déversent des sols excavés sur nombre de chantiers de construction dans une sablière abandonnée. Des traces de contamination ont déjà été découvertes par le ministère de l’Environnement, qui souligne un risque à long terme pour les puits de certains résidants.

Ce qu’il faut savoir :

  • Les sols excavés sur de gros chantiers résidentiels sont enfouis massivement dans une ancienne sablière de Lanaudière depuis plus d’un an.
  • Le ministère de l’Environnement a trouvé des sols contaminés sur place.
  • Le gestionnaire du site a déjà été visé par une enquête criminelle sur la contamination de milieux agricoles, mais a bénéficié d’un arrêt des procédures pour délais déraisonnables.
  • La mairesse déplore que sa ville soit « prise en otage ».

« Je ne comprends pas comment une petite municipalité peut être prise en otage comme ça », s’est insurgée mardi la mairesse Véronique Venne, dans un appel à ses citoyens qui pourraient témoigner des activités de remblai sur le chemin Montcalm.

L’élue et certains conseillers de la petite municipalité de 1200 habitants se préparent à manifester aux abords de l’ancienne sablière locale où le ministère de l’Environnement dit avoir découvert des traces de contamination aux hydrocarbures pétroliers, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et au zinc lors de tests effectués en mai 2022. Le site était autrefois vierge de toute contamination liée aux activités humaines, selon les mêmes tests.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Sainte-Marie-Salomé, Véronique Venne

« La contamination des sols a été confirmée par les analyses de laboratoire », confirme Frédéric Fournier, porte-parole du Ministère, qui dit suivre le dossier de près à la suite de plaintes reçues concernant « quelques milliers de camions ». Le Ministère « n’exclut aucun recours pour faire respecter la loi », affirme M. Fournier.

« On a une route municipale qui devient une route de transport avec 100 à 300 camions par jour. Le va-et-vient est incessant sur notre territoire », s’insurge la mairesse en entrevue avec La Presse.

Risque à long terme

L’inspectrice du Ministère dépêchée sur les lieux il y a un an notait déjà à l’époque que plus de 100 000 m3 de sols avaient été déversés à cet endroit pour remblayer l’ancienne sablière, située à moins d’un kilomètre des puits de deux résidants du coin.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Des camions font le va-et-vient entre les chantiers de construction et la sablière de Sainte-Marie-Salomé.

Selon le rapport d’inspection obtenu par la municipalité, le propriétaire du site avait déclaré recevoir un montant d’argent comptant pour chaque chargement de sols, de la part du « contrôleur » qui gérait les opérations, un certain Martin Archambault, président de l’entreprise Démolition ATL.

« La qualité des sols entrants n’est pas vérifiée adéquatement », notait l’inspectrice. Vu le niveau de contamination constaté, il n’y avait pas de risque immédiat pour les puits des résidants, mais un risque « à long terme » existait bel et bien, selon elle.

L’inspectrice dit avoir demandé à Martin Archambault d’où venait l’argent comptant utilisé pour payer le propriétaire du site, afin de l’inscrire dans son rapport. M. Archambault aurait proposé d’inscrire le nom d’une entreprise tierce dont il n’était pas actionnaire, avant de se fâcher et de lancer : « Mets qui tu veux ! »

L’automne dernier, à la suite de l’inspection, le Ministère a imposé des sanctions administratives de 10 000 $ au propriétaire et de 2000 $ au contrôleur. Des sanctions de 5000 $ ont été imposées à deux entreprises de transport actives sur le site, Trans-Dan et KL Mainville, qui les ont toutefois contestées en faisant valoir que ce n’était pas à elles de caractériser la teneur des sols qu’on leur demandait de déplacer. La Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a aussi envoyé un avis de non-conformité au propriétaire puisque les conditions qu’elle a imposées pour le remblayage du site ne sont pas respectées, selon elle.

Connu des autorités

L’ancienne sablière appartient à Aurèle Collin, un agriculteur retraité de 83 ans qui souhaite remblayer le site pour pouvoir le vendre à un cultivateur plus jeune. « Il va faire des céréales bio », a expliqué le propriétaire à La Presse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Vue aérienne de la sablière

M. Collin croit que les craintes en matière d’environnement sont exagérées. « Qu’ils viennent nous prouver ça, on est prêts à se défendre. C’est Martin Archambault qui s’en occupe », assure-t-il.

Martin Archambault n’a pas donné suite à une demande d’entrevue de La Presse. En 2016, l’entrepreneur spécialisé en remblais avait été la cible d’une enquête criminelle de la Sûreté du Québec sur des terres qui auraient été polluées illégalement, selon la police. En raison de problèmes dans l’administration de la preuve, le Directeur des poursuites criminelles et pénales s’était dit incapable de porter des accusations criminelles dans ce dossier, baptisé « projet Naphtalène », avait révélé La Presse en 2018.

Des accusations pénales avaient bien été portées contre l’entreprise de Martin Archambault, pour avoir enfreint la Loi sur la qualité de l’environnement en contaminant une terre agricole. Un rapport déposé en preuve au procès soulignait que la terre était polluée à un tel point que les animaux risquaient de développer des mutations.

Mais en novembre 2018, le juge avait ordonné l’arrêt des procédures, car la Couronne avait été incapable de procéder dans un délai raisonnable. Pour sa défense, Martin Archambault avait par ailleurs expliqué qu’il n’était pas le seul à déverser des sols à l’endroit visé et que la pollution pourrait être l’œuvre d’autres acteurs.

Une entreprise se retire

Lors du passage de La Presse la semaine dernière, des camions faisaient la navette à un rythme effréné entre l’ancienne sablière et le chantier d’une tour de condos située devant la gare de Mascouche.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Lors du passage de La Presse, des camions faisaient la navette entre Sainte-Marie-Salomé et le chantier d’une tour de condos située à Mascouche.

Une entreprise de transport impliquée dans l’opération, Valosphère (anciennement KL Mainville), a déclaré à La Presse qu’elle cessera de déverser les sols à cet endroit à partir de mercredi. L’entreprise, qui se dit « à l’avant-garde de la traçabilité des sols non contaminés », souligne que l’échantillon le plus contaminé trouvé par l’inspectrice ne venait pas de Mascouche et n’avait pas été transporté par ses camions. Valosphère blâme le contrôleur du site de Sainte-Marie-Salomé, Martin Archambault, à qui elle dit avoir demandé une série de correctifs, sans succès.

« Dans ce contexte, nous avons pris la décision de résilier l’entente avec Démolition ATL et de ne plus effectuer de transport vers ce site jusqu’à ce que la régularisation du permis auprès de la CPTAQ soit confirmée », affirme MRita Magloe Francis, avocate de l’entreprise.

Toutefois, sachez qu’au moins quatre autres compagnies déposent des sols sur le site en question », dit-elle.

L’avocate de Valosphère, MRita Magloe Francis

« Aucune entreprise n’est à l’abri d’un déversement accidentel de sols faiblement contaminés. La caractérisation et l’excavation d’un terrain ne sont pas des sciences exactes », ajoute-t-elle.

Valosphère a recours aux services d’un consultant qui était lui aussi visé par l’enquête Naphtalène de la Sûreté du Québec. Il s’agit de Louis-Pierre Lafortune, qui travaillait alors pour l’entreprise Gestion OFA Environnement, laquelle avait aussi bénéficié d’un arrêt des procédures pour délais déraisonnables. En 2017, M. Lafortune avait été condamné pour complot en vue de recycler les produits de la criminalité, dans le cadre d’une autre enquête policière sur l’infiltration des Hells Angels dans l’industrie de la construction.

MRita Magloe Francis assure toutefois que le rôle de consultant externe est limité. « Monsieur Lafortune ne choisit pas les lieux de disposition des sols », dit-elle.