Québec veut combattre les changements climatiques sur le plancher des vaches. Une aide de 3,6 millions sera annoncée ce jeudi pour financer un projet avant-gardiste qui vise à réduire, d’ici 2028, les émissions de méthane des troupeaux laitiers de la province d’environ 14 % à 16 % pour chaque kilogramme de lait produit.

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, en fera officiellement l’annonce lors de l’assemblée générale des Producteurs de lait du Québec qui se déroule à Saint-Hyacinthe, a appris La Presse.

Ce projet « d’envergure » s’inscrit dans le cadre d’un objectif ambitieux annoncé l’an dernier par les Producteurs laitiers du Canada : atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il sera piloté par le centre d’expertise en production laitière Lactanet, en partenariat avec les Producteurs de lait du Québec.

Avec leurs éructations (et leurs flatulences dans une bien moindre mesure), les vaches émettent du méthane (CH4). Le méthane se forme dans le rumen – soit le compartiment avant de l’estomac des bovins – à l’issue d’un processus microbien qui se nomme fermentation entérique.

« Quand on regarde les gaz à effet de serre [GES] qu’une ferme laitière va émettre, le méthane qui vient de la fermentation entérique en représente de 40 à 45 %, donc c’est vraiment un gros levier qu’on a pour atteindre notre objectif [de carboneutralité] », a expliqué l’agronome Chantal Fleury, directrice adjointe à la recherche économique des Producteurs de lait du Québec.

Le méthane est un puissant GES qui possède un pouvoir de réchauffement planétaire près de 28 fois plus élevé que le dioxyde de carbone (CO2) sur 100 ans. Il est responsable d’environ 30 % du réchauffement de la planète depuis l’ère préindustrielle.

Un outil de mesure novateur

Le projet se déroulera en trois étapes. Tout débutera avec l’élaboration d’un modèle mathématique qui permettra de déterminer avec précision les émissions de méthane d’une ferme à partir de la composition moléculaire du lait qu’elle produit.

Une dizaine de fermes laitières seront d’abord sélectionnées pour peaufiner l’algorithme. Des capteurs de méthane seront installés dans les mangeoires des robots de traite. Pendant la traite, le capteur va mesurer les émissions de méthane issues des éructations des vaches.

Ces données seront ensuite comparées à des échantillons de lait. « Le méthane ne se trouve pas dans le lait », précise toutefois Daniel Lefebvre, chef de l’innovation chez Lactanet.

En analysant le lait avec une technologie infrarouge, il est possible de corréler le profil de différents acides gras du lait et l’ampleur des émissions de méthane de la bête, explique-t-il.

« L’étape suivante, au-delà de la vache, c’est de prendre l’échantillon du réservoir de la ferme qui est recueilli chaque jour puis d’avoir, en temps presque réel, une évaluation des émissions de cette ferme-là », explique-t-il.

« Nous, au laboratoire de Saint-Anne-de-Bellevue, on analyse déjà en moyenne 15 000 échantillons de lait par jour de toutes les fermes du Québec, donc c’est à très grand volume, à très faible coût. Alors que de mesurer les émissions de méthane, en vrai avec ces capteurs-là, c’est très onéreux. On le met juste dans une dizaine de fermes parce que chaque capteur coûte 10 000 $ au moins. »

Trouver les meilleures pratiques

Dans la deuxième partie du projet, 50 fermes du Québec seront sélectionnées à partir de données issues des échantillons de lait récoltés et analysés par Lactanet.

La moitié du groupe sera composée des meilleurs élèves et l’autre moitié, des fermes qui ont le plus grand potentiel pour s’améliorer.

M. Lefebvre souligne que des facteurs comme l’alimentation et la génétique de l’animal peuvent grandement influencer les émissions individuelles des bêtes.

Ça va nous permettre d’analyser le lien entre les pratiques de gestion de l’alimentation à la ferme et la génétique et la façon dont ça influence les émissions de méthane.

Daniel Lefebvre, chef de l’innovation chez Lactanet

Fait intéressant, il est possible depuis quelques semaines de choisir la semence d’un géniteur pour l’insémination des vaches laitières selon un critère d’émission de méthane.

Tout au long du projet, une campagne de sensibilisation et de formation sera menée auprès des agriculteurs et de leurs conseillers agricoles pour favoriser l’adoption de meilleures pratiques.

Avec les Pays-Bas et l’Espagne, le Québec serait l’un des premiers endroits dans le monde à effectuer une telle démarche.

Au Canada, l’agriculture est responsable d’environ 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Les 200 000 fermes du Canada ont généré, à elles seules, 73 mégatonnes (Mt) d’équivalents CO2 en 2019. De ce nombre, une quantité de 24 Mt provenait de la fermentation entérique.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, une réduction des émissions de méthane d’origine humaine de 45 % au cours de la prochaine décennie permettrait d’éviter un réchauffement climatique de près de 0,3 °C d’ici à 2045.

En savoir plus
  • 400 grammes
    Une vache laitière en lactation génère environ 400 g de méthane par jour. En un an, cela représente une quantité de méthane équivalant aux émissions d’une voiture moyenne qui parcourt 20 000 kilomètres.
    Source : Agriculture et Agroalimentaire Canada
  • 365 400
    Nombre de vaches laitières au Québec en 2021
    Source : Statistique Canada