Le GIEC multiplie les avertissements aux décideurs du monde entier face à l’urgence climatique. Les décisions prises aujourd’hui auront des impacts « pour des milliers d’années », préviennent les scientifiques dans leur sixième rapport d’évaluation.

Ce qu’il faut savoir

  • La planète s’est réchauffée de 1,1 degré depuis l’ère préindustrielle ;
  • L’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré d’ici 2100 est pratiquement hors de portée. La cible de 2 degrés est aussi menacée ;
  • Les risques liés aux changements climatiques sont jugés plus élevés qu’en 2014 ;
  • Les solutions existent, mais la volonté politique fait défaut.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a dévoilé lundi son sixième rapport d’évaluation depuis sa création, en 1988. Si plusieurs constats étaient déjà connus – le rapport fait la synthèse des six rapports publiés par le GIEC depuis 2018 –, le sommaire pour les décideurs sert plusieurs mises en garde aux élus.

Premier avertissement : l’occasion d’agir (window of opportunity) permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré se « referme rapidement », rappelle le GIEC. Pour y arriver, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent diminuer de 43 % d’ici 2030. Or, les engagements actuels ne permettent pas d’atteindre cette cible et rendent même « plus difficile de limiter le réchauffement en dessous de 2 degrés Celsius », prévient-on.

Autre mise en garde : les risques liés aux changements climatiques « seront de plus en plus complexes et plus difficiles à appréhender », indique le GIEC. C’est pourquoi les scientifiques signalent que chaque dixième de degré compte dans la lutte contre le réchauffement planétaire.

« L’humanité marche sur une couche de glace très fine, et cette glace fond rapidement », a illustré le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. « Notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts – tout, tout partout, tout à la fois », a-t-il ajouté, faisant référence au film du même nom, grand gagnant de la dernière cérémonie des Oscars.

Des risques plus élevés qu’en 2014

Les risques liés au climat sont d’ailleurs jugés plus élevés que ceux évalués dans le cinquième rapport du GIEC, publié en 2014. La science climatique s’est raffinée, et les modèles utilisés sont aussi de plus en plus performants. « Pour tout niveau de réchauffement futur, de nombreux risques liés au climat sont plus élevés que ceux évalués dans le RE5, et les impacts à long terme projetés sont jusqu’à plusieurs fois plus élevés que ceux actuellement observés », signalent les scientifiques.

Le rapport n’est pas tendre non plus envers les énergies fossiles, principale source d’émissions de GES à l’échelle planétaire. L’atteinte de la carboneutralité passe par une réduction substantielle des énergies polluantes, rappelle-t-on. Or, les financements publics et privés en faveur des combustibles fossiles sont encore supérieurs aux sommes investies pour réduire les GES et dans des mesures d’adaptation aux changements climatiques, notent les auteurs du GIEC.

Pour appuyer son message, le rapport fait d’ailleurs le rappel de plusieurs constats clés établis depuis 2018.

  • Entre 1850 et 2019, les émissions de CO2 d’origine humaine ont totalisé 2400 gigatonnes, dont 42 % ont été relâchées en seulement 29 ans, soit entre 1990 et 2019.
  • En 2019, la concentration de CO2 dans l’atmosphère totalisait 410 parties par million (ppm), soit la valeur la plus élevée depuis au moins deux millions d’années. Pour rappel, le GIEC estime à 350 ppm la limite à ne pas franchir pour contenir le réchauffement à 1,5 degré.
  • En 2019, les émissions de CO2 d’origine humaine ont totalisé 59 gigatonnes, soit 12 % de plus qu’en 2010 et 54 % de plus qu’en 1990. Plus des trois quarts (79 %) des émissions de 2019 proviennent des secteurs de l’énergie, des transports et des bâtiments.
  • Environ 10 % de la population mondiale a contribué aux émissions de GES dans une proportion de 34 % à 45 %.

Des changements déjà bien visibles

Les experts du GIEC rappellent par ailleurs que la planète s’est réchauffée de 1,1 degré depuis l’ère préindustrielle. Et que les conséquences des changements climatiques sont déjà bien visibles, partout sur la planète.

On évalue que de « 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique », particulièrement en Afrique, en Asie centrale, en Amérique du Sud et dans plusieurs petits pays insulaires.

Entre 2010 et 2020, les décès provoqués par des inondations, des sécheresses et des tempêtes dans ces régions du monde étaient aussi 15 fois plus élevés que dans les pays moins vulnérables.

C’est d’ailleurs un autre constat important du GIEC : le réchauffement planétaire va toucher de façon disproportionnée les populations les plus vulnérables. Triste ironie : ces pays sont ceux qui ont le moins contribué aux émissions polluantes depuis 1850.

Face à l’ampleur de la crise, des solutions existent, affirme pourtant le GIEC. Une rare bonne nouvelle, la croissance des émissions annuelles de GES a reculé au cours de la décennie 2010-2019 (1,3 %) par rapport à la précédente (2,1 %). Une baisse qui ne permet pas, cependant, de contenir le réchauffement sous les 2 degrés d’ici la fin du siècle. Pour y arriver, il faudra « des réductions rapides et profondes et, dans la plupart des cas, immédiates des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs au cours de cette décennie », martèle le rapport.

Le GIEC signale d’ailleurs que les coûts de production pour l’énergie solaire (85 %), l’éolien (55 %) et la fabrication de batteries pour les véhicules électriques (85 %) ont diminué considérablement au cours de la dernière décennie.

Un manque de volonté politique

Si les solutions sont connues, la volonté politique, elle, ne semble pas toujours au rendez-vous. Le sommaire pour les décideurs rappelle qu’il existe des écarts importants entre les promesses politiques et les cibles officielles de réduction de GES. Les sommes investies dans la transition énergétique sont aussi insuffisantes dans toutes les régions du monde.

« Nous avons le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières et tout ce dont nous avons besoin pour surmonter les problèmes climatiques que nous avons identifiés, a précisé le président du GIEC, le Coréen Hoesung Lee. Ce qui manque pour l’instant, c’est une volonté politique forte afin de les résoudre une fois pour toutes. »

Il reste à savoir si le passé sera garant de l’avenir, tel que le suggère l’organisation de l’ONU dans un communiqué de presse.

« En 2018, le GIEC a souligné l’ampleur sans précédent du défi à relever pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C. Cinq ans plus tard, ce défi est devenu encore plus grand en raison d’une augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre. Le rythme et l’ampleur de ce qui a été fait jusqu’à présent, et les plans actuels sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique. »

En savoir plus
  • 420,32 ppm
    Le 18 mars dernier, la concentration de CO2 dans l’atmosphère pointait à 420,32 parties par million (ppm). Selon le GIEC, celle-ci ne doit pas dépasser 350 ppm afin de limiter le réchauffement à 1,5 degré d’ici la fin du siècle.
    Source : National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA)
    1866 ppb
    En 2019, la concentration de méthane dans l’atmosphère s’est établie à 1866 parties par milliard, soit la valeur la plus élevée depuis au moins 800 000 ans. Le potentiel de réchauffement du méthane est beaucoup plus élevé que celui du CO2, mais sa durée de vie dans l’atmosphère est aussi beaucoup plus courte.
    Source : sixième rapport du GIEC