Des citoyens de l’Estrie implorent Québec et Ottawa de s’opposer à un projet pilote de prétraitement des eaux de lixiviation du site d’enfouissement de Coventry, au Vermont, craignant qu’il n’ouvre la porte à une reprise des rejets dans le lac Memphrémagog ; le gouvernement québécois y voit au contraire une bonne nouvelle.

L’Agence des ressources naturelles du Vermont a autorisé en décembre le propriétaire du site, Casella Waste Systems, à construire une usine ayant pour objectif de retirer des eaux de lixiviation les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS), communément appelées polluants éternels (voir encadré).

Jusqu’en 2019, ces eaux de lixiviation étaient envoyées à l’usine d’épuration de Newport, qui rejette l’eau qu’elle traite dans le bassin versant du lac Memphrémagog, mais un moratoire force depuis Casella Waste Systems à envoyer ses effluents à l’usine de Montpelier, la capitale de l’État, qui rejette l’eau qu’elle traite dans le bassin versant du lac Champlain. Or, aucune des deux usines ne peut éradiquer les PFAS.

« Nous nous attendons à une élimination supérieure à 90 % des PFAS ciblés, ce qui permettrait d’obtenir des niveaux inférieurs aux normes pour l’eau potable du Vermont », a déclaré à La Presse le directeur des communications de Casella Waste Systems, Jeff Weld.

Un « traitement expérimental »

L’organisation citoyenne Memphrémagog Conservation demande à Québec et à Ottawa de contester l’autorisation accordée à Casella Waste Systems, dont le site d’enfouissement est situé près de Newport, à la frontière du Québec.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Pourquoi est-ce qu’on subirait un traitement expérimental qui n’a pas fait ses preuves ? », demande sa présidente bénévole, Johanne Lavoie.

Elle préférerait attendre « un vrai traitement qui élimine tout », craignant que les eaux de lixiviation recommencent à être envoyées à l’usine de traitement des eaux de Newport, au terme de l’interdiction actuelle, en 2026.

C’est ça, la porte qu’on est en train d’ouvrir et qu’on ne pourra plus refermer. Pensez-vous vraiment que la multinationale va accepter de construire une usine temporaire de 10 millions [de dollars] et de la démolir ensuite ? Il faut appliquer le principe de précaution.

Johanne Lavoie, de l’organisation citoyenne Memphrémagog Conservation

Le lac Memphrémagog est la source d’eau potable de quelque 175 000 personnes en Estrie, dont les résidants de Sherbrooke et de Magog, souligne Mme Lavoie, rappelant que des traces de PFAS ont déjà été détectées dans la prise d’eau de Sherbrooke.

Québec favorable

Le gouvernement québécois voit d’un très bon œil la construction d’une usine de prétraitement au site d’enfouissement de Coventry.

« On ne peut pas être contre la volonté de retirer les PFAS du lixiviat, parce que retirer les PFAS du lixiviat, que ce soit à Montpelier ou ailleurs, c’est toujours une bonne nouvelle, ça fait moins de PFAS dans l’environnement », a déclaré à La Presse Nathalie Provost, directrice générale de l’analyse et de l’expertise pour le centre et le sud du Québec au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

« Peu importe où l’eau est traitée, elle revient au Québec », que ce soit dans le lac Memphrémagog ou dans le lac Champlain, souligne Mme Provost.

PHOTO FOURNIE PAR TERESA GERADE

Vue sur le site d’enfouissement de Coventry à partir du pont des Vétérans de Newport, en juin 2022

Et si Casella Waste Systems demande l’autorisation d’acheminer ses effluents prétraités à l’usine de traitement des eaux de Newport en 2026, le Québec pourra se prononcer, dit-elle.

Ce qu’on constate depuis 2011, c’est que le Vermont discute avec nous et prend des mesures pour assurer la qualité de l’eau du lac Memphrémagog.

Nathalie Provost, directrice générale de l’analyse et de l’expertise pour le centre et le sud du Québec au MELCCFP

Le ministère fédéral de l’Environnement et du Changement climatique a quant à lui indiqué que la question relève de la compétence du Québec et qu’Ottawa appuie sa décision de ne pas s’opposer au projet pilote.

Opposition au Vermont

Des citoyens du Vermont contestent officiellement l’autorisation accordée à Casella Waste Systems, comme le permet la législation de cet État pour les personnes ou organisations ayant participé préalablement au processus de consultation sur le sujet.

L’autorisation ne précise pas la méthode de traitement ni de norme à atteindre, des critères qui devront être établis et approuvés subséquemment, déplore Ed Stanak, de l’organisation DUMP, pour Don’t Undermine Memphremagog’s Purity (Ne sapez pas la pureté du Memphrémagog).

« Ils pellettent le problème en avant », s’insurge-t-il, craignant en outre que le projet soit le prélude à un nouvel agrandissement du site d’enfouissement, le seul du Vermont, dont la superficie atteint déjà quelque 89 acres.

« L’usine de prétraitement devrait être construite sur le terrain d’une usine de traitement des eaux municipale, pas sur un site d’enfouissement privé », estime M. Stanak.

L’Agence des ressources naturelles du Vermont n’a pas répondu aux questions de La Presse à propos du permis accordé à Casella Waste Systems, refusant « de commenter ou de conjecturer sur les procédures en cours », a déclaré sa porte-parole, Stephanie Brackin.

Que sont les PFAS ?

Les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS) sont des substances chimiques synthétiques qui peuvent repousser l’eau et les huiles. On les utilise dans divers procédés industriels, mais on les retrouve aussi dans de nombreux produits de la vie courante, comme les cosmétiques, les emballages alimentaires et les textiles. Le fait qu’ils subsistent dans l’environnement leur a valu le surnom de « polluants éternels ». « Les études chez l’homme ont montré que l’exposition [à certaines PFAS] peut affecter le foie, le poids à la naissance, le métabolisme et le système immunitaire », explique Santé Canada sur son site internet. Le Centre international de recherche sur le cancer considère que l’une de ces substances, l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), peut être cancérogène pour l’homme.

En savoir plus
  • 540 000
    Tonnes de matières résiduelles acheminées chaque année au site d’enfouissement de Coventry, dont 80 % proviennent du Vermont
    Source : Casella Waste Systems
  • 1 265 000
    Tonnes de matières résiduelles acheminées chaque année au site d’enfouissement de Terrebonne, le plus grand au Québec
    Source : Bureau d’audiences publiques sur l’environnement