Plus de déchets. Plus de matières recyclables. Le Québec génère toujours plus de matières résiduelles et s’est éloigné de son objectif de réduction en 2021, selon des données de Recyc-Québec obtenues en primeur par La Presse.

Le Québec s’éloigne de son objectif de réduction

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Québec s’éloigne de son objectif de 525 kg de déchets « éliminés » par habitant d’ici la fin de l’année 2023.

La quantité de déchets et de matières recyclables générés au Québec a augmenté en 2021, montre le plus récent bilan de la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec), qui sera publié ce jeudi. Aperçu, en chiffres.

5,8 millions de tonnes de déchets

Les ménages et entreprises du Québec ont envoyé 5 766 000 tonnes de déchets à l’« élimination », dans un site d’enfouissement ou dans un incinérateur, en 2021 – un chiffre qui exclut les boues des usines d’épuration et des papetières. Il s’agit d’une augmentation de 8 % par rapport au précédent bilan, en 2018, qui était lui-même en hausse. Les « résidus de construction, de rénovation et de démolition » sont les principaux responsables de cette nouvelle augmentation (voir texte à l’onglet 4), tandis que les déchets d’origine municipale ont enregistré une baisse de 5 %.

716 kg/habitant

La quantité de déchets « éliminés » s’est ainsi établie à 716 kilogrammes (kg) par habitant, incluant les boues, poursuivant une tendance à la hausse. Le Québec s’éloigne donc encore plus de l’objectif de 525 kg par habitant d’ici la fin de l’année 2023 que le gouvernement Legault s’est fixé.

1 million de tonnes de matières recyclables récupérées

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Centre de tri de Lachine, à Montréal

Le Québec génère non seulement plus de déchets, mais il génère aussi plus de matières recyclables dont il faut disposer : 1 058 000 tonnes en 2021, une hausse de près de 7 % par rapport à 2018. Recyc-Québec attribue cette augmentation à l’impact du télétravail et à « l’augmentation des achats en ligne avec livraison à domicile », qui génèrent beaucoup d’emballages.

Moins de la moitié des matières recyclées

Seulement 47 % des matières provenant des collectes sélectives municipales sont « envoyées aux fins de recyclage » après leur passage dans un centre de tri. Il s’agit d’une baisse par rapport au taux de 52 % de 2018. Ces taux sont probablement surévalués, étant donné que le tiers de ces matières sont exportées à l’extérieur de l’Amérique du Nord, où il est impossible de savoir ce qu’il en advient réellement.

Et 1 million de tonnes directement à la poubelle

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Un million de tonnes de contenants, d’emballages ou de papier ont été directement envoyées à l’élimination en 2021, estime Recyc-Québec.

Les matières recyclables ne sont pas toutes mises au bac de récupération : 1 million de tonnes de contenants, d’emballages ou de papier ont été directement envoyées à l’élimination en 2021, estime Recyc-Québec en se basant sur les conclusions d’une étude de caractérisation. Plus de la moitié provenait du secteur des institutions, commerces et industries (ICI). À cela s’ajoutent 3000 tonnes de matières recyclables qui avaient été récupérées, mais qui ont finalement été envoyées à l’élimination par les centres de tri pour différentes raisons, notamment le manque de main-d’œuvre.

4,6 millions de tonnes de matières organiques

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La quantité totale de matières organiques générées au Québec a diminué à 4,6 millions de tonnes en 2021, contre 5,2 millions de tonnes en 2018, selon Recyc-Québec.

Le taux de recyclage des matières organiques, par compostage ou biométhanisation, notamment, est en forte augmentation, à 56 % en 2021, contre 48 % en 2018. Mais de grandes disparités existent : le taux du secteur de la transformation agroalimentaire a frôlé les 100 %, tandis que le taux du secteur résidentiel a été de 47 %. La quantité totale de matières organiques générées au Québec a diminué à 4,6 millions de tonnes en 2021, contre 5,2 millions de tonnes en 2018, une baisse que Recyc-Québec attribue notamment à la fermeture de plusieurs lieux publics durant la pandémie et à une diminution de l’achalandage, depuis.

30 $

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le lieu d’enfouissement technique de la Régie intermunicipale des déchets de la Rouge, à Rivière-Rouge

Il en coûte plus cher depuis le 1er janvier pour envoyer des déchets à l’enfouissement ou à l’incinération. Québec a augmenté la redevance à l’élimination à 30 $ par tonne, une augmentation de 24 % par rapport à 2022. Cette redevance sera indexée de 2 $ par année. Québec a aussi introduit une redevance partielle sur l’utilisation de matières résiduelles comme matériau de recouvrement dans les sites d’enfouissement, notamment le verre, qui correspond au tiers de la redevance à l’élimination.

27

Nombre de centres de tri des matières recyclables provenant de la collecte sélective au Québec

74

Nombre de lieux d’élimination au Québec, dont 38 lieux d’enfouissement technique (LET) et 4 incinérateurs

Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)

Des défis qui dépassent la volonté citoyenne, selon Recyc-Québec

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente responsable de la performance des opérations de Recyc-Québec

Une réduction à la source et une meilleure conception des produits mis sur le marché sont nécessaires pour que le Québec parvienne à réduire la quantité de matières résiduelles qu’il génère, selon Recyc-Québec.

« Il faut absolument revoir notre consommation et notre production », affirme Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente responsable de la performance des opérations de la société d’État, dans une entrevue avec La Presse, en amont de la publication du bilan de la gestion des matières résiduelles du Québec pour les années 2019, 2020 et 2021.

Les produits doivent être « écoconçus » pour durer plus longtemps et être recyclables à la fin de leur vie utile, illustre-t-elle, reconnaissant que le Québec n’est pas sur la bonne voie.

« On devrait être vers des baisses » des matières résiduelles générées, alors que le bilan des trois dernières années est à la hausse, comme le précédent.

Récupérer, recycler, c’est bien ; mais réduire à la source, c’est mieux.

Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente responsable de la performance des opérations de Recyc-Québec

La volonté citoyenne est pourtant au rendez-vous, puisque 97 % des gens récupèrent systématiquement ou la plupart du temps les matières recyclables, souligne le bilan de Recyc-Québec.

La valorisation des matières organiques a aussi connu « un bond important » dans les dernières années avec la multiplication des services de collecte, souligne Mme Langlois, qui se réjouit que le taux de « recyclage » de ces matières, par compostage ou biométhanisation, s’approche de l’objectif de 60 % pour 2023.

Mais Québec ambitionnait à l’origine d’atteindre ce seuil… en 2008.

« Les citoyens font les bons gestes ; ils participent aux collectes, ils vont de plus en plus à l’écocentre, mais on voit des hausses pour ce qui est des quantités éliminées par les entreprises et le secteur de la construction, rénovation et démolition », observe Mme Langlois-Blouin.

Ce secteur représente « un défi important », dit-elle (voir texte à l’onglet 4).

Des changements possibles à court terme ?

Les constats de Recyc-Québec font écho à ceux du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui concluait dans son rapport sur la gestion des « résidus ultimes », en janvier 2022, que le recyclage ne suffit plus pour réduire nos déchets.

Les réformes de la collecte sélective et de la consigne sur les contenants de boissons adoptées par le gouvernement Legault devraient permettre de renverser la tendance à la hausse de la génération de matières résiduelles au Québec, croit Sophie Langlois-Blouin.

Mais ces changements ne se feront pas sentir dans le prochain bilan de Recyc-Québec, pour les années 2022 et 2023, puisque la réforme de la consigne doit entrer en vigueur en novembre 2023 et celle de la collecte sélective, en 2025.

Hausse du prix des matières recyclables

Le prix des matières recyclables a atteint en 2021 la valeur moyenne la plus élevée des 10 dernières années, après « une baisse historique entre 2018 et 2021 », montre le bilan de Recyc-Québec. Il a atteint 171,27 $ par tonne, après un creux de 43,89 $ en 2019. « C’est un marché d’offre et de demande, et, en 2022, on commence déjà à voir une baisse », souligne Sophie Langlois-Blouin. « C’est cyclique, la valeur des matières, d’où l’importance d’avoir des débouchés au Québec », ajoute-t-elle. L’augmentation de la proportion des matières recyclables qui trouvent preneur au Québec a d’ailleurs poursuivi sa hausse en 2021 pour s’établir à 61 %, contre un creux de 29 % en 2015.

57 %

Proportion des fibres (papier et carton) vendues à des recycleurs québécois en 2021, en forte hausse

72 %

Proportion des métaux ferreux (boîtes de conserve) vendus à des recycleurs québécois en 2021, en forte baisse

63 %

Proportion des plastiques vendus à des recycleurs québécois en 2021, en légère baisse

Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)

Lisez l’article « Gestion des résidus ultimes : le recyclage ne suffit plus, dit le BAPE »

Secteur de la construction : les résidus plus souvent éliminés que recupérés

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Un centre de tri de matériaux de construction, à Saint-Hyacinthe

Les résidus provenant du secteur de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) envoyés directement à l’élimination en 2021 représentent à eux seuls 118 kg par habitant.

C’est 16 % du total des déchets par habitant, qui s’est élevé à 716 kg.

« Les générateurs de résidus de CRD semblent encore choisir davantage l’élimination à la récupération », peut-on lire dans le bilan de Recyc-Québec, qui rapporte que ce secteur a expédié directement au dépotoir ou à l’incinérateur 1 018 000 tonnes de matières résiduelles en 2021, une hausse de 21 % par rapport à 2018.

Quelque 339 000 tonnes de résidus de construction rejetés par des centres de tri spécialisés ont aussi été éliminées, une hausse de 161 %.

S’ajoutent enfin près de 650 000 tonnes de rebuts de construction jetés dans les collectes municipales ou les collectes privées desservant les institutions, commerces et industries (ICI).

« Il y a encore beaucoup trop de résidus de construction, rénovation et démolition qui vont directement à l’élimination, qui ne passent même pas par un centre de tri », affirme Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente responsable de la performance des opérations de Recyc-Québec.

Pour Recyc-Québec, le secteur [CRD] est prioritaire. Il faut s’attarder à ce secteur-là.

Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente responsable de la performance des opérations de Recyc-Québec

Comme pour les citoyens, l’amélioration de la gestion des matières résiduelles des entreprises du secteur de la construction passe par un accompagnement et un meilleur accès aux services, affirme Mme Langlois-Blouin.

« Les plus petites ou moyennes entreprises veulent faire des gestes, mais parfois ne savent pas par où commencer », dit-elle, ajoutant que certaines régions n’ont pas de centre de tri ou de débouchés pour les matériaux de construction.

Brûlées pour générer de l’énergie

Sur les 1 219 000 tonnes de matières du secteur CRD qui sont sorties d’un centre de tri en 2021, 53 % ont finalement été envoyées à des lieux d’élimination, où une petite fraction a été utilisée comme matériel de recouvrement ou de construction de chemins d’accès.

Les 47 % restants ont été « acheminés aux fins de recyclage et de valorisation énergétique ».

Ainsi, 232 000 tonnes de matières ont été brûlées pour générer de l’énergie, principalement du bois et, dans une moindre mesure, des bardeaux de toiture.

Seules 260 600 tonnes de matières, soit 21 % du total, ont été réellement recyclées, principalement des agrégats, comme du béton, et, dans une moindre mesure, du bois et des métaux.

Ironiquement, les entreprises de conditionnement et de recyclage de bois doivent importer une part importante des matières qu’elles utilisent, pour fabriquer par exemple des panneaux de mélamine ou d’insonorisation, souligne le bilan de Recyc-Québec, qui invoque le prix et « la qualité variable » du bois provenant des installations du Québec.

55

Nombre de centres de tri de résidus de construction, de rénovation et de démolition au Québec

Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)

Une version précédente de ce texte indiquait que 1219 tonnes de résidus du secteur de la construction, rénovation et démolition sont sorties de centres de tri spécialisés en 2021, or il s’agissait plutôt de 1 219 000 tonnes. Nos excuses.