Bien qu’il ait annoncé un rattrapage en matière de protection des espèces animales, le gouvernement du Québec ignore encore au moins 11 recommandations de ses scientifiques, a appris La Presse. Ceux-ci demandent que l’on protège d’autres animaux en péril et, surtout, que Québec fasse preuve de plus de transparence.

De mars 2009 à octobre 2012, le Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables a recommandé que 34 espèces, sous-espèces ou populations soient protégées, selon un tableau obtenu en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Seulement deux d’entre elles sont aujourd’hui protégées par la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV).

Le volet faunique de ce qui était auparavant le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, aujourd’hui intégré au ministère de l’Environnement, a refusé de transmettre à La Presse les recommandations les plus récentes, datant de moins de 10 ans.

« S’il y a un engagement à la transparence, ce n’est pas là qu’il se manifeste, c’est certain », a réagi le biologiste Pierre Dumont, qui siège depuis 2014 au Comité, actuellement en reconstruction. « On ne peut divulguer ni les espèces ni les recommandations, ce qui est, on s’entend, complètement aberrant », a ajouté son collègue David Rodrigue, également biologiste, membre du Comité aviseur depuis 2001.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a annoncé le 5 décembre que 27 espèces additionnelles seront protégées, dont 24 qui figuraient parmi les recommandations datant d’il y a plus de 10 ans transmises à La Presse.

Cela signifie qu’au moins 11 recommandations visant neuf espèces ou sous-espèces et deux populations différentes restent lettre morte.

Parmi elles, le phoque commun des lacs des Loups Marins (Phoca vitulina mellonae) et deux populations de bélugas (Delphinapterus leucas) sont considérés comme menacés, c’est-à-dire que leur « disparition est appréhendée ».

Huit autres sont évaluées comme « vulnérables », c’est-à-dire que leur « survie est précaire même si la disparition n’est pas appréhendée ». Il s’agit de l’engoulevent d’Amérique (Chordeiles minor), du hibou des marais (Asio flammeus), du faucon pèlerin anatum/tundrius (Falco peregrinus anatum/tundrius), de la paruline du Canada (Cardellina canadensis), du quiscale rouilleux (Euphagus carolinus), de la grenouille des marais (Rana palustris), de l’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens) et de l’esturgeon noir (Acipenser oxyrinchus).

  • Hibou des marais (Asio flammeus)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Hibou des marais (Asio flammeus)

  • Paruline du Canada (Cardellina canadensis)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Paruline du Canada (Cardellina canadensis)

  • Esturgeon jaune (Acipenser fulvescens)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Esturgeon jaune (Acipenser fulvescens)

  • Béluga (Delphinapterus leucas)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Béluga (Delphinapterus leucas)

  • Engoulevent d’Amérique (Chordeiles minor)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Engoulevent d’Amérique (Chordeiles minor)

  • Grenouille des marais (Rana palustris)

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    Grenouille des marais (Rana palustris)

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Le cabinet du ministre Benoit Charette n’a pas expliqué pourquoi celles-ci n’ont pas fait l’objet d’une annonce, répondant simplement que « des démarches pourraient être entreprises afin de les désigner », sans fournir d’échéancier en ce sens.

Des recommandations gardées secrètes

Le tableau obtenu par La Presse indique que 55 espèces ont été évaluées au total depuis mars 2009, alors qu’aucune espèce faunique additionnelle n’avait été protégée depuis septembre 2009 au Québec. Cela signifie que jusqu’à 13 autres espèces pourraient faire l’objet de recommandations de protection que le gouvernement ignore et souhaite garder secrètes.

« La liste des espèces évaluées doit être publique, les recommandations de statut faites doivent être publiques, l’argumentaire derrière les recommandations doit être public et, surtout, l’argumentaire derrière le traitement que le ministre en fait doit être public », a réclamé M. Rodrigue, déplorant que les membres du Comité n’aient actuellement pas le droit d’en parler. « Tant qu’il n’y aura pas ça, ils vont pouvoir vous répondre ce qu’ils veulent. »

Malgré des demandes répétées en ce sens et bien qu’il ait récemment accepté de le faire pour les espèces floristiques, Québec refuse de rendre publiques les recommandations les plus récentes du Comité aviseur sur la faune.

« La liste de 2009 n’est plus à jour », a plaidé Mélina Jalbert, du cabinet du ministre Benoit Charette, en réponse aux demandes de La Presse. « Il n’est pas pertinent de publier ces listes avant que ce travail ne soit finalisé. » Un raisonnement qui n’a aucun sens, selon les membres du Comité consultés par La Presse.

Il semble que ce soit selon ces vieilles recommandations que le ministre a largement basé l’annonce du 5 décembre. Le Comité a recommandé dès 2010, par exemple, que la rainette faux-grillon de l’Ouest passe du statut « vulnérable » à « menacée ». Cinq des espèces qui doivent obtenir un statut de protection font l’objet d’une recommandation du Comité depuis mars 2009.

Mme Jalbert n’a pas fourni d’échéancier pour la publication des prochaines recommandations ni pour la formation du nouveau Comité, dont les trois membres actuels (sur sept sièges) se sont réunis lundi pour la première fois après un hiatus de cinq ans.

« C’est sûr que quand on parle d’une situation qui date de 2009, il peut y avoir des recommandations qui changent », a dit Pierre Dumont, membre du Comité. Certaines espèces pourraient avoir vu leur situation se dégrader, par exemple.

Mais dans tous les cas, « je pense que tout ça devrait être transparent, a ajouté le biologiste. Je ne vois pas pourquoi cette liste-là présente un danger. Elle va devoir être réévaluée […], mais je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas un processus transparent ».

Rectificatif
Une version précédente de cet article indiquait qu’au moins 10 recommandations faites par le Comité entre 2009 et 2012 étaient toujours ignorées du gouvernement, dont six pour des espèces ou sous-espèces à désigner comme « vulnérables ». Il s’agit en fait d’au moins 11 recommandations, dont huit pour des espèces ou sous-espèces à désigner comme « vulnérables ». Nos excuses.

En savoir plus
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    Au Québec, 20 espèces fauniques sont considérées comme menacées et 18 sont considérées comme vulnérables. Le ministre Benoit Charette a annoncé le 5 décembre la désignation prochaine de 27 autres espèces. On compte aussi 115 espèces « susceptibles d’être désignées » comme menacées ou vulnérables, mais qui n’ont pas encore de statut légal.
    Source : gouvernement du Québec