Un véritable bras de fer oppose les pays en développement aux nations les plus riches à deux jours de la fin de la COP15 à Montréal. Un blocage qui pourrait mettre en péril plusieurs des objectifs de prochain cadre mondial pour la biodiversité.

« Il est temps pour une fois que ce soit vous qui nous écoutiez », a lancé le représentant du Nigeria en séance plénière samedi matin.

« Ce sont les pays développés qui doivent assumer leur rôle en matière de financement, a-t-il ajouté, précisant que l’Afrique ressentait durement les effets de la perte de biodiversité.

Devant une salle comble, samedi matin, le président de la 15conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), le ministre de l’Écologie et de l’Environnement de la Chine, Huang Runqiu, a entendu les nombreuses doléances des pays du Sud.

Et comme à la COP27 sur le climat, en Égypte, le financement international pour les pays en développement est lui aussi au cœur des négociations à la COP15 sur la biodiversité.

« Nous avons le sentiment qu’il n’est pas possible de quitter Montréal sans un fonds pour la biodiversité », a d’ailleurs précisé l’Allemand Jochen Flasbarth dans son rapport à la présidence sur les travaux du comité pour la mobilisation des ressources financières.

On ne peut pas sortir d’ici si ces pays-là sentent qu’ils n’ont pas été écoutés.

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

« Nous n’avons pas l’impression de ne pas être écoutés, plutôt qu’il n’y a pas de volonté des pays pollueurs », a répondu Ève Bazaiba Masudi, vice-première ministre et ministre de l’Environnement et du Développement durable de la République démocratique du Congo à une question de La Presse.

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Ève Bazaiba Masudi, vice-première ministre et ministre de l’Environnement et du Développement durable de la République démocratique du Congo

« On a une entente, croit néanmoins Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat. Mais la qualité du deal dépendra de l’ambition sur le financement. »

Or, le Chili, le Sénégal, le Costa Rica, l’Argentine, l’Inde, la Bolivie, l’Indonésie et plusieurs autres nations ont tous réclamé la même chose : des investissements à la hauteur des ambitions pour un nouveau cadre mondial pour la biodiversité.

De son côté, le représentant de l’Union européenne a précisé qu’il n’y aurait pas d’accord « sans cible quantitative numérique ». « Il est temps de prendre une décision et le temps passe », a-t-il dit.

Quelques minutes plus tard, le représentant de l’Indonésie a pourtant affirmé que son pays s’opposait « à tous les éléments quantitatifs pour ce qui est des subventions néfastes [à la biodiversité] ».

De son côté, l’Inde ne veut pas de cibles chiffrées pour la réduction des pesticides. « Pour les pays en développement, l’agriculture est un moteur essentiel pour les collectivités rurales », a indiqué son représentant.

Une bonne nouvelle, cependant : l’objectif phare de la COP15 semble faire l’objet d’un consensus entre les 196 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique. La cible 3, qui prévoit la protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030, devrait en principe être adoptée.

« De l’ambition sur tous les fronts »

« Nous ne pouvons pas quitter cette ville sans un accord sur le financement. Il faut que ça soit clair », a dit la représentante du Chili, d’un ton ferme.

« Nous ne pouvons pas continuer ce jeu pervers qui consiste à avancer sans ambition [sur le financement]. Il faut de l’ambition sur tous les fronts », a-t-elle ajouté.

La Bolivie a signalé de son côté que les moyens financiers actuels n’étaient pas suffisants. « Nous devons remplir nos obligations et cela ne sera pas possible sans financement tangible. Nous n’avons qu’une seule option aujourd’hui, c’est de trouver un compromis en matière de financement pour le cadre mondial sur la biodiversité », a noté son représentant.

Selon le Nigeria, de 300 à 800 milliards de dollars par année seraient nécessaires à l’échelle mondiale.

Pour la Suisse, « certains des chiffres mentionnés ne sont pas réalistes [en matière de financement] ». « La mise en œuvre du cadre exigera des ressources additionnelles, et c’est vraiment là le défi. Mais on ne peut aller de l’avant si ce n’est pas réaliste », a soutenu sa représentante.

« J’ai la conviction que l’argent s’en vient », précise néanmoins Eddy Pérez.

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Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat

L’expert signale qu’un nouveau projet de texte sera rendu public ce dimanche matin par la présidence. Celui-ci devrait constituer la base du sprint de négociations finales des prochains jours.

« Nous faisons toujours face à des tâches immenses », a rappelé le président de la COP15, samedi matin. L’adoption du cadre mondial pour la biodiversité post-2020 doit absolument être adopté « dans les prochains jours », a-t-il insisté.

« C’est notre responsabilité, et cela exigera des efforts, chers amis », a affirmé Huang Runqiu.

La représentante de la Norvège a d’ailleurs lancé une mise en garde aux délégués, samedi. « Souvenez-vous que le monde entier nous regarde, et les jeunes aussi, et nous allons vous tenir responsables des résultats. »

En savoir plus
  • 66 %
    L’objectif 7 du projet d’accord propose de réduire de moitié ou des deux tiers l’usage des pesticides dans le monde d’ici 2030. Ces chiffres sont toujours entre crochets jusqu’à maintenant, ce qui signifie qu’aucune entente n’a été conclue à ce sujet.
    Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique
    500 milliards
    L’objectif 18 du projet de cadre mondial pour la biodiversité propose d’éliminer les subventions nuisibles à la biodiversité à hauteur de 500 milliards de dollars américains à l’échelle planétaire.
    Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique