L’objectif de la COP15, c’est de conclure un accord pour un nouveau cadre mondial sur la biodiversité. Des centaines de négociateurs se rencontrent chaque jour pendant que de nombreux observateurs décortiquent les propositions. Que se passe-t-il en coulisse au Palais des congrès de Montréal ? Pendant toute une journée, La Presse a suivi Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat.

Jeudi 15 décembre, 10 h

La Presse rejoint Eddy Pérez dans la grande salle du Palais des congrès où se tiennent les séances plénières regroupant les délégués des 196 pays présents. Ce matin, c’est l’ouverture officielle du segment « de haut niveau » avec plus de 100 ministres arrivés à Montréal pour des négociations à teneur politique.

Tout de suite après l’allocution du ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, M. Pérez nous glisse à l’oreille que celui-ci vient de se poser « comme celui qui veut être le négociateur [broker] ». « Le Canada veut faire la différence à cette COP. »

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Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, lors d’une allocution jeudi

L’allocution du premier ministre François Legault, qui annonce le dépôt en janvier d’un projet de loi sur l’eau, le laisse perplexe. « Le public cible, ce sont les 130 ministres qui sont présents. C’est à eux qu’il faut s’adresser. S’il avait voulu se démarquer, il aurait pu par exemple annoncer que Québec débloquait des fonds pour les pays en développement, comme ç’a été fait pour le climat. Ça aurait parlé aux gens dans la salle. »

À quoi servent tous ces discours en plénière ? « Ça ne sert pas à rien. Ça peut permettre parfois aux ministres de donner un mandat plus fort aux négociateurs », explique Eddy Pérez.

11 h 20

Direction : le centre des médias, où Eddy Pérez doit rencontrer des journalistes en compagnie de Ruth Davis, qui conseille notamment le gouvernement du Royaume-Uni pour ses politiques en matière d’environnement.

Quand on a su que la COP15 se tiendrait finalement à Montréal, on a tous décidé [la société civile] de jouer un rôle plus important.

Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat

En dévalant les escaliers menant au deuxième étage, il nous montre son téléphone portable : « J’échange toute la journée avec plusieurs collègues qui participent aux différentes rencontres de négociation. On se tient au courant de ce qui se passe. Ça n’arrête pas ! »

Premier arrêt : un échange avec la journaliste Suzanne Götze, du magazine allemand Der Spiegel. Celle-ci a plusieurs questions afin de mieux comprendre les positions des différents pays de l’Union européenne.

Eddy Pérez aperçoit Li Shuo, qui est conseiller principal en politique mondiale chez Greenpeace Chine. « On se parle très souvent. On passe beaucoup de temps ensemble aux différentes COP. »

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Eddy Pérez échange avec Li Shuo, qui est conseiller principal en politique mondiale chez Greenpeace Chine lors de la COP15.

« Nos bureaux sont à Pékin. Ce n’est pas toujours facile en effet de faire notre travail en raison du contexte géopolitique mondial », répond Li Shuo à une question de La Presse.

Pendant une discussion avec des représentants du National Observer et du Toronto Star, Eddy Pérez explique que selon lui, « s’il n’y a pas d’argent sur la table, il n’y aura pas d’entente ».

« On ne peut pas demander par exemple aux 47 pays africains de mieux protéger la biodiversité sans leur donner les moyens d’y arriver », ajoute-t-il.

Il regarde sa montre : « Oh shit ! », s’exclame-t-il. Il doit participer à une rencontre de coordination et il n’a rien avalé depuis son déjeuner. Il est 13 h 15.

14 h

Rendez-vous au Pavillon du Québec pour une conférence sur le financement international pour la biodiversité. Plusieurs ministres de différents pays sont présents.

« Je viens ici pour écouter les discours, voir si les positions ont évolué sur la question du financement », explique-t-il.

Une déclaration du ministre français de la Transition écologique, Christophe Béchu, le fait sursauter. « Il vient de nous dire que le financement international va venir seulement avec de l’ambition. C’est très paternaliste. Tu ne vas pas dire ça à des pays africains. »

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Christophe Béchu, ministre français de la Transition écologique, à la COP15 jeudi

Pendant la conférence, Eddy Pérez reçoit un message : le Japon vient d’annoncer qu’il débloquait 800 millions de dollars pour le financement international. « C’est le genre d’annonce qui pourrait faire boule de neige », signale-t-il.

Malgré plusieurs discours, il n’y a aucune annonce concrète à cette conférence. « Je ne sens pas beaucoup de volonté, dit Eddy Pérez. Jusqu’à présent, c’est comme si on essayait de maquiller un cochon. »

16 h 09

Nous nous dirigeons vers le cinquième étage afin de suivre les discussions d’un comité de travail (contact group) sur « la mobilisation des ressources financières ».

Dans la salle, une trentaine de personnes sont assises autour de trois tables formant un U. Ce sont des négociateurs dépêchés par leur pays respectif. De nombreux observateurs sont également présents : des représentants d’ONG et des délégués de plusieurs pays.

À la COP15, il y a deux groupes de travail dont le mandat est de négocier les termes de l’accord. Quand les discussions n’aboutissent pas, des comités de travail sont formés avec un nombre restreint de participants.

C’est le président du groupe du travail qui choisit les pays qui pourraient faciliter un déblocage. On cherche un équilibre entre pays riches et pays en développement.

Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat

« Ici, les acteurs les plus actifs sont la Colombie, le Brésil, l’Argentine et la République démocratique du Congo », ajoute-t-il.

Au moment du passage de La Presse, des représentants de la Colombie, de la Malaisie, du Ghana, de la Norvège et du Canada ont demandé un tour de parole.

Les échanges portent sur des aspects très techniques. « On nettoie le texte », signale M. Pérez, faisant référence aux nombreux crochets qui encadrent des éléments qui ne font pas consensus. Le ton des interventions est calme et courtois. Ce n’est pas toujours le cas. « J’ai déjà vu des discussions assez violentes, entre autres à la COP27 [en Égypte] », se rappelle Eddy Pérez.

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Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat

17 h 56

Nous quittons le Palais des congrès pour nous rendre à la Maison du développement durable, rue Sainte-Catherine. Une rencontre de coordination avec le collectif COP15 est prévue à 18 h 30. M. Pérez fait le point sur le déroulement de la journée.

En levant la main gauche très haut, il indique que les ambitions sont là, mais de la main droite, il montre que le financement n’est pas encore à la hauteur des attentes.

19 h 56

Retour au Palais des congrès. Eddy Pérez a l’intention d’assister aux discussions du comité sur le financement, présidé par l’Allemagne et le Rwanda.

Au cours de la soirée, la République démocratique du Congo quitte la salle, insatisfaite des échanges sur le financement. La suite des négociations d’ici la fin de la COP15 s’annonce difficile.

23 h 50

La journée s’achève pour Eddy Pérez. Il rentre chez lui pour rédiger un rapport qui sera transmis à plusieurs groupes environnementaux qui suivent également les négociations. À 1 h du matin, c’est l’heure du dodo. Une autre grosse journée va commencer dans quelques heures.