Préoccupés par l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs, une centaine de scientifiques ont lancé vendredi une mise en garde contre l’usage futur des « biotechnologies génétiques » dans l’agriculture.

Réunis lors d’un point de presse à l’occasion de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, leurs représentants ont demandé à la communauté internationale de s’opposer au déploiement dans la nature de cette nouvelle génération de produits de lutte contre les insectes ravageurs.

Deux types de « biotechnologies génétiques » sont dans la ligne de mire de ces experts : les « pesticides à interférence ARN » et les insectes génétiquement modifiés issus du « forçage génétique ».

« Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités », a souligné Dana Perls, de l’antenne américaine de l’organisme Les Amis de la Terre.

Alors que des biotechnologies de plus en plus puissantes sont créées, nous avons une responsabilité grandissante de poser les bonnes questions pour savoir si oui ou non quelque chose peut être relâché dans l’environnement.

Dana Perls, de l’antenne américaine de l’organisme Les Amis de la Terre

Mme Perls s’inquiète particulièrement des pesticides dits de « silençage génétique » qui utilisent le processus cellulaire de l’ARN messager pour atténuer l’expression de certains gènes d’insectes qui s’attaquent aux cultures. Elle donne en exemple un produit arrosé sur les plantes qui, une fois ingéré par l’insecte, met en sourdine un gène essentiel à sa survie et donc cause sa mort.

Pour l’instant, de tels produits ne sont pas commercialisés au Canada. Un produit « en vaporisateur » à interférence ARN est cependant à l’étude pour un usage expérimental par l’agence environnementale américaine, l’EPA. Plusieurs demandes de brevet ont aussi été déposées.

« Quand on n’en a jamais entendu parler, on a du mal à penser que ça existe, mais il y a beaucoup d’études scientifiques qui nous démontrent que c’est en cours [dans le domaine de la recherche] », explique Vanessa Mermet, de l’ONG française Pollinis et organisatrice du point de presse. « Ça agit vraiment comme des pesticides, mais ça agit sur le côté génétique et pas sur l’expression chimique comme le faisaient les pesticides chimiques de synthèse avant. »

En déclin

Les insectes pollinisateurs sont un maillon important de la chaîne alimentaire. Ils sont en déclin partout dans le monde. Plusieurs facteurs sont montrés du doigt comme les changements climatiques, l’agriculture industrielle et l’usage de pesticides.

Ce qu’on a commencé à regarder, évidemment, c’est : est-ce que ces nouvelles applications agricoles peuvent impacter la biodiversité qui est présente dans les champs, dont les pollinisateurs, comme c’était le cas pour les pesticides avant ? En fait, c’est le cas et c’est ça qui est problématique.

Vanessa Mermet, de l’ONG française Pollinis

Les scientifiques demandent à la communauté internationale d’appliquer le principe de précaution de l’ONU avant de faire passer cette nouvelle génération de produits de lutte contre les insectes ennemis des cultures des laboratoires aux champs.

« La communauté scientifique est alarmée de ces développements parce que ce n’est pas une réponse aux difficultés des pollinisateurs de qui nous dépendons pour produire notre nourriture », a expliqué Ricarda Steinbrecher, de la Fédération des scientifiques allemands.

« Si nous misons notre argent sur ces technologies, cela veut dire que nous allons davantage nous aliéner la nature au lieu de renverser la tendance et d’améliorer les choses. C’est aussi une fausse croyance parce que beaucoup d’entre elles ne fonctionneront pas », a-t-elle ajouté.

Avec la collaboration de Jean-Thomas Léveillé, La Presse

Guilbeault réagit à la présence du lobby CropLife

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

Des militants environnementalistes ont mené un coup d’éclat pour dénoncer la présence du lobby CropLife, jeudi, au Palais des congrès.

La présence de CropLife — puissant lobby qui représente l’industrie des pesticides — à la COP15 dérange les groupes environnementaux. Alors que les 196 pays membres de la Convention sur la diversité biologique débattent d’une proposition visant à réduire des deux tiers l’usage des pesticides sur la planète, des environnementalistes ont mené un coup d’éclat jeudi pour manifester leur inquiétude. Appelé à réagir, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a répondu que dans une démocratie, « tout le monde a le droit de participer. » « Dans nos démocraties, ces lobbies-là existent et […] ils ont le droit de faire entendre leurs voix. Ce qui est important, ce n’est pas qu’ils sont ici et puis qu’ils ne sont pas d’accord, c’est : qu’est-ce que nous faisons comme gouvernement ? Quels sont les engagements que nous prenons ? Sur la question des pesticides, vous avez vu que notre gouvernement s’est engagé à poser un certain nombre de gestes, peu importe ce qu’en disent les lobbies. »