La Santé publique l’a recommandé deux fois plutôt qu’une, des citoyens inquiets le réclament, mais Québec refuse de mesurer l’ampleur de la contamination des sols à l’arsenic, au plomb et à d’autres métaux lourds dans l’ensemble du « périmètre urbain » de Rouyn-Noranda.

(Rouyn-Noranda) « Mon enfant joue dans la cour, ici », s’exclame Félix B. Desfossés, qui voudrait connaître le niveau de contamination de son terrain, dans le quartier Sacré-Cœur de Rouyn-Noranda.

La Fonderie Horne, qui rejette des contaminants dans l’air depuis près d’un siècle, n’est qu’à 500 mètres de chez lui, soit dans le quartier de Notre-Dame.

Cette pollution « ne s’arrête pas par magie à la track de chemin de fer » qui sépare les deux quartiers, lance Louis-Paul Willis, un autre résidant du quartier Sacré-Cœur, qui voudrait aussi savoir ce qui se trouve dans son terrain.

Mais le gouvernement Legault refuse de caractériser les sols dans l’ensemble de la ville, comme le lui a pourtant officiellement recommandé la Direction de santé publique (DSPu) de l’Abitibi-Témiscamingue, et se limite à ceux du quartier Notre-Dame — la caractérisation d’une centaine de terrains résidentiels est effectuée cet automne, sous la responsabilité de la Fonderie Horne.

PHOTO DOMINIC LECLERC, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie-France Beaudry et Louis-Paul Willis, résidants de Rouyn-Noranda

La DSPu faisait cette recommandation dans son Rapport de la caractérisation préliminaire des sols à l’arsenic, au cadmium et au plomb dans le périmètre urbain de Rouyn-Noranda, publié en 2020, et l’a réitérée dans l’avis qu’elle a déposé ce mois-ci lors de la consultation publique sur le renouvellement de l’autorisation ministérielle de la Fonderie Horne.

Le rapport de 2020 révélait que près du quart des 156 terrains résidentiels échantillonnés à Rouyn-Noranda excédaient alors le seuil prévu dans la réglementation québécoise pour le cadmium, 6 %, le seuil pour l’arsenic et 3 %, celui pour le plomb, et que la plupart de ces terrains se situent sur la rive sud du lac Osisko, au centre-ville, ainsi que dans le quartier Sacré-Cœur.

Question de priorités

Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) assume son refus de ne pas mener de caractérisation des sols dans l’ensemble de la ville, comme le lui recommande la Santé publique.

Après analyse des enjeux et de la pertinence de cette demande, il a été convenu [avec le ministère de la Santé et des Services sociaux] que le MELCC ne procéderait pas à une caractérisation exhaustive des sols du périmètre urbain de Rouyn-Noranda.

Ghizlane Behdaoui, porte-parole du Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

« Il faut considérer que la priorité demeure la réduction des émissions atmosphériques », a-t-elle ajouté.

Pourtant, mesurer la contamination des terrains est important parce que « l’ingestion de sol et de poussière représente un plus grand risque [d’absorber des contaminants] que par l’ingestion d’air », a expliqué à La Presse Stéphane Bessette, chef d’équipe en santé environnementale à la DSPu.

« Si la fonderie cesse ses émissions demain matin, on reste avec le problème », puisque la contamination des sols est le résultat de la contamination passée de l’air, ajoute celui qui est l’un des auteurs principaux du rapport de 2020.

Savoir pour agir

Une caractérisation des sols dans l’ensemble de la ville permettrait d’identifier les terrains contaminés à réhabiliter, souligne Stéphane Bessette.

Elle permettrait aussi au passage de rassurer certaines personnes, dont les terrains sont peut-être peu ou pas contaminés, pense Julien Rivard, qui habite le quartier Sacré-Cœur.

Lui-même n’est « pas vraiment inquiet », estimant que sa propriété ne se trouve pas dans le couloir des vents dominants, mais il voudrait avoir « les données pour le prouver ».

L’exercice révélerait néanmoins que des milliers de terrains doivent être réhabilités, croit-il.

Je pense que ni le ministère de l’Environnement ni la Fonderie ne veulent voir ça.

Julien Rivard, citoyen de Rouyn-Noranda

« Je pense qu’ils savent très bien quel serait le résultat », ajoute Félix B. Desfossés, qui est une figure connue dans la région pour y avoir animé jusqu’en 2021 l’émission du retour à la maison à la radio de Radio-Canada.

Préoccupé par la pollution générée par la Fonderie Horne, inquiet pour l’avenir de son fils et n’ayant plus confiance dans le ministère de l’Environnement, il a décidé de quitter le quartier qui l’a vu grandir pour aller s’établir à l’extérieur de la ville.

Des voix s’ajoutent

D’autres voix réclamant la caractérisation des sols dans l’ensemble du périmètre urbain de Rouyn-Noranda se sont ajoutées dans la foulée de la consultation publique sur le renouvellement de l’autorisation ministérielle de la Fonderie Horne, qui s’est terminée le 20 octobre.

Le Conseil régional de l’environnement de l’Abitibi-Témiscamingue en fait la recommandation dans son mémoire, se désolant que la caractérisation actuelle « concerne uniquement le quartier Notre-Dame ».

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement le réclame aussi, tout comme le comité Arrêt des rejets et émissions toxiques (ARET).

DOMINIC LECLERC, COLLABORATION SPÉCIALE.

Nicole Desgagnés, du comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET)

« Ce n’est pas normal qu’on n’aille pas plus loin », a déclaré à La Presse Nicole Desgagnés, porte-parole du comité ARET, accusant Québec de vouloir diviser la population en laissant entendre que le problème ne concerne que le quartier Notre-Dame.

Une caractérisation dans l’ensemble de la ville serait une tâche colossale, reconnaît Stéphane Bessette, de la Santé publique, mais elle donnerait un portrait complet de la situation.

« On sait tous que ça ne se fera pas du jour au lendemain, dit-il, mais si on avait un horizon, un plan, on serait déjà plus avancés que maintenant. »

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    Population de la ville de Rouyn-Noranda
    source : ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec