La Cour suprême du Canada a rejeté jeudi la demande d’autorisation d’appel faite par la Ville de Mascouche dans une affaire d’expropriation déguisée. Une décision qui pourrait être lourde de conséquences pour le monde municipal, qui demande à Québec de modifier rapidement le cadre réglementaire pour permettre aux villes de continuer à protéger les milieux naturels sur leur territoire.

Une décision de la Cour d’appel contestée

La Ville de Mascouche contestait un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec, qui lui ordonnait de verser une compensation financière à une citoyenne, Ginette Dupras, pour expropriation déguisée. Une demande à être entendue par la Cour suprême du Canada avait été déposée le 13 mai dernier par les avocats Jean-François Girard et Steve Cadrin au nom de la municipalité. Le refus du plus haut tribunal au pays fait en sorte que la décision de la Cour d’appel servira de jurisprudence dans des affaires semblables à l’avenir. Comme toujours, la Cour suprême n’a pas donné les motifs de son refus.

Un terrain acheté pour 1 $

L’affaire débute en 1976, quand Ginette Dupras achète de sa tante un lot boisé d’environ 10 hectares pour la somme symbolique de 1 $ à Mascouche. À l’époque, 30 % du terrain est zoné « conservation », alors que la réglementation permet un usage « résidentiel » pour les 70 % restants. Mme Dupras et son conjoint, André Bergeron, ne visitent le terrain que 32 ans plus tard, soit en 2008, au moment où ils s’informent auprès de la Ville de Mascouche de son potentiel d’utilisation. C’est là qu’ils apprennent que le zonage a été modifié deux ans plus tôt et que leur terrain est dorénavant entièrement zoné « conservation ». En 2015, la propriétaire fait évaluer son terrain, qui est alors estimé à 4,5 millions de dollars. Mascouche refuse de l’acheter à ce prix.

Poursuite pour expropriation déguisée

Ginette Dupras intente finalement une poursuite pour expropriation déguisée en 2016. Dans une décision rendue en août 2020, la juge Judith Harvie, de la Cour supérieure, lui donne raison, et condamne la Ville à lui verser une indemnité de 436 000 $. Les deux parties sont alors insatisfaites de la décision et portent l’affaire en appel. Ginette Dupras conteste l’indemnité qui lui est consentie. La Ville de Mascouche, elle, juge qu’il n’y avait pas lieu de conclure à une expropriation déguisée. Dans une décision rendue le 16 mars dernier, la Cour d’appel du Québec donne encore raison à Mme Dupras et retourne l’affaire devant la juge Harvie, afin qu’elle réévalue à la hausse le montant de l’indemnité. La Cour d’appel conclut que bien que le nouveau règlement de zonage soit valide, il constitue une expropriation déguisée.

« Le pied sur le brake »

« On vient de reculer de 20 ans dans un contexte d’urgence climatique et de crise de la biodiversité », tonne l’avocat Jean-François Girard, qui a représenté la Ville de Mascouche. Selon lui, cette décision affectera en premier lieu la protection des milieux humides. « Toutes les villes vont mettre le pied sur le brake pour leurs plans régionaux de milieux humides et hydriques. Ça va tout stopper. » Il estime que Québec doit apporter « des corrections au cadre légal » pour permettre aux villes de poursuivre leurs objectifs de protection de l’environnement. À défaut d’une telle modification, les municipalités seront tout simplement incapables d’acquitter la facture, ajoute-t-il. « Pour la CMM, on parle d’une facture de 3,1 milliards de dollars pour protéger 17 % [de son territoire], soutient MGirard. Dans ce contexte, selon lui, les villes vont devenir très frileuses à prendre des mesures pour protéger des milieux naturels sur leur territoire.

Une victoire pour les uns, une défaite pour les autres

« Grande victoire pour les propriétaires privés en matière d’expropriation déguisée », a indiqué de son côté le cabinet De Grandpré Chait, qui a représenté Ginette Dupras dans ce dossier. « Cette décision est lourde de conséquences pour la protection des milieux naturels », a plutôt déploré un regroupement de groupes environnementaux, incluant entre autres Nature Québec et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). « Le maintien de la décision de la Cour d’appel du Québec confirme que des règlements de zonage servant à protéger des milieux naturels d’intérêt peuvent exposer les municipalités à devoir indemniser les propriétaires privés qui perdent la possibilité de faire un développement résidentiel sur leur terrain. » Par voie de communiqué, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a fait savoir que « ce jugement illustre l’importance de revoir le plus rapidement possible le cadre légal pour assurer une meilleure protection juridique des municipalités lorsqu’elles utilisent leurs pouvoirs d’urbanisme pour favorise la protection des milieux naturels ».

En savoir plus
  • 18
    Nombre de poursuites déposées contre la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) après que l’organisation supramunicipale a adopté deux règlements de contrôle intérimaire pour protéger des milieux naturels sur son territoire.
    Source : CMM
    30 %
    La CMM souhaite protéger 30 % de son territoire d’ici 2030. Actuellement, 22,3 % du territoire est protégé.
    Source : CMM