Pour fertiliser leurs champs sans utiliser d’engrais chimiques, des fermiers vermontois avant-gardistes les aspergent d’urine humaine. La Presse est allée visiter ces collecteurs d’or jaune qu’on qualifie de « pee-cyclers ».

Nous retrouvons Jay Bailey, un agriculteur de Brattleboro, de bon matin. Sa Wild Carrot Farm n’est pas une ferme comme les autres. Il y a 10 ans, cet endroit sans histoire est devenu un véritable laboratoire. C’est ici, dans les vastes champs de M. Bailey, qu’Abraham Noe-Hays et Kimmerly Nace, fondateurs du Rich Earth Institute, ont testé les vertus de l’urine humaine.

« Abraham avait été stagiaire à notre ferme, raconte Jay Bailey. Puisqu’il nous connaissait, un beau jour, il nous a dit : “J’ai une idée. Voulez-vous l’essayer ?” Et nous lui avons répondu : “Bien sûr !” »

Depuis, les sols de cette ferme vermontoise s’enrichissent d’engrais fourni par l’Institut. Dans cette région, plusieurs autres agriculteurs utilisent gratuitement des réserves d’urine humaine pour arroser leurs champs. Des résidants s’en servent également pour abreuver leurs jardins.

Cette initiative s’est avérée un véritable succès, déclare Jay Bailey avec fierté. Après avoir couvert ses champs d’engrais chimique, très nuisibles à l’environnement, il s’est rapidement rendu compte des bienfaits de l’urine humaine.

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Jay Bailey, agriculteur

L’engrais commercial ne valait pas l’argent que j’ai dépensé. Il n’y avait plus d’insectes dans le foin. C’est signe que c’est mauvais. Avec l’urine, vous voyez les trois quarts des bénéfices la première année. Et l’année suivante, vous voyez encore où vous l’avez mise. Cela m’indique une chose : le sol aime ça.

Jay Bailey, agriculteur

Non seulement l’urine humaine contribue à la santé des sols, mais en plus elle constitue un choix conscient et écologique, soutient Jay Bailey. En effet, la majorité des nutriments que notre corps expulse se trouvent dans notre urine.

« J’aime prendre des choses qui sont considérées comme inutiles pour faire quelque chose de bien », explique le fermier, le sourire aux lèvres.

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Le projet s’est avéré un véritable succès pour sa ferme, se réjouit Jay Bailey.

La naissance d’une idée verte

C’est à quelques minutes de voiture des champs de Jay Bailey, chez Kimmerly Nace, que tout a commencé.

« En 2012, un groupe de personnes s’est mis à collecter de l’urine pour qu’on puisse faire des recherches », indique la chercheuse et cofondatrice du Rich Earth Institute.

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Kimmerly Nace, cofondatrice du Rich Earth Institute

L’idée de recycler l’urine humaine n’a pas été difficile à mettre en œuvre à Brattleboro. Au départ, la « Urine Brigade » (en français, la Brigade urinaire) recrutait des adhérents un peu partout.

« L’un des membres de notre conseil d’administration s’est même rendu à l’église, se rappelle Kimmerly Nace. Une fois sur place, il s’est levé pour dire : “J’ai lancé ce projet et j’aimerais que vous y participiez…” »

Des femmes qui chantaient dans la chorale ont également rejoint les rangs du mouvement.

« Encore aujourd’hui, elles sont de grandes donatrices d’urine », signale Kimmerly Nace.

La chercheuse nous montre le réservoir externe où son urine, et celle de toute sa famille, atterrit quotidiennement.

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Kimmerly Nace devant le réservoir familial

« Il faut environ six mois pour le remplir, explique-t-elle. Au printemps, l’institut de recherche vient avec un gros camion pour pomper l’urine. Même chose à l’automne. »

Participation populaire

Chaque année, plus de 200 personnes se rendent au dépôt du Rich Earth Institute et donnent leur urine. Là-bas, le liquide organique est pompé et acheminé jusqu’aux réservoirs, qui sont ensuite transportés vers l’Institut en camion.

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Kimmerly Nace, cofondatrice du Rich Earth Institute, devant le dépôt d’urine de l'organisme

Pour encourager les gens à participer au projet, Kimmerly Nace a créé un concours intitulé « Piss Off ».

« Les gens notent tout ce qu’ils donnent, et nous décernons des prix, résume Kimmerly Nace. Ils prennent ce concours au sérieux. »

Quant à l’Institut, également situé à Brattleboro, il étonne avec ses prototypes de toilettes, son laboratoire, ses réservoirs et, surtout, son système de pasteurisation d’urine.

  • Le laboratoire du Rich Earth Institute

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    Le laboratoire du Rich Earth Institute

  • Josie Rutherford, étudiante universitaire et stagiaire, manipule des fioles d’urine dans le laboratoire.

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    Josie Rutherford, étudiante universitaire et stagiaire, manipule des fioles d’urine dans le laboratoire.

  • Jamina Shupack et Arthur Davis, tous deux adjoints de recherche, devant des citernes où l’urine est recueillie.

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    Jamina Shupack et Arthur Davis, tous deux adjoints de recherche, devant des citernes où l’urine est recueillie.

  • Le système de pasteurisation de l’institut

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    Le système de pasteurisation de l’institut

  • Prototypes de toilettes environnementales en démonstration sur place

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    Prototypes de toilettes environnementales en démonstration sur place

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« Ici, on pompe l’urine non pasteurisée, indique Jamina Shupack, adjointe de recherche. L’urine qui provient du dépôt ou des maisons des gens est versée dans ces grands réservoirs et passe dans un pasteurisateur, où elle est chauffée à 80 degrés pendant 90 secondes. Du côté énergétique, c’est très efficace comme procédé. »

Coût élevé

Bien que l’énergie nécessaire au fonctionnement du système soit relativement faible, le coût du projet est particulièrement élevé.

« À notre échelle, cela coûte plus cher que d’utiliser des engrais chimiques, admet Arthur Davis, adjoint de recherche. Mais, si vous voulez fertiliser votre jardin avec de l’urine, c’est très bon marché. »

« Nous pouvons probablement remplacer au moins 25 % des engrais synthétiques en utilisant notre urine », croit Kimmerly Nace.