Au moment où le déclin de nombreuses espèces d’oiseaux, d’amphibiens et de mammifères s’accélère au pays, Greenpeace Canada propose l’adoption d’une nouvelle loi plus contraignante pour protéger la biodiversité. L’organisation demande au Canada de donner l’exemple alors que Montréal accueillera en décembre prochain la Convention sur la biodiversité biologique.

Un dur constat

Actuellement au Canada, 1231 espèces sont protégées en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Un rapport préparé par Greenpeace Canada, dévoilé lundi, rappelle néanmoins que les populations d’espèces menacées au pays ont diminué de 59 % depuis 1970. En plus de 40 ans, les populations d’oiseaux des prairies ont diminué de 69 %, celles des oiseaux insectivores, de 51 % et celles des oiseaux de rivage, de 43 %. Quant aux mammifères (43 %), aux reptiles et amphibiens (34 %) et aux poissons (20 %), leurs populations ont aussi connu des reculs importants. Dans la majorité des cas, les activités humaines sont à l’origine de la destruction des habitats de nombreuses espèces.

Le cas des hirondelles

Au Québec, les populations de certaines espèces d’hirondelles ont diminué d’au moins 90 % depuis 40 ans. Un déclin qui illustre parfaitement une réalité qu’on pourrait comparer à un jeu de Jenga. La diminution des populations d’insectes serait l’une des principales causes de la disparition progressive des hirondelles. Les changements climatiques et l’utilisation massive de pesticides sont deux hypothèses avancées pour expliquer le recul des populations d’insectes. À l’image des pièces de bois du jeu Jenga, chacun de ces éléments vient affaiblir l’ensemble quand on retire un morceau. Jusqu’à l’effondrement complet d’une espèce, par exemple.

Des objectifs ratés, des lois défaillantes

Le rapport intitulé Protéger la nature, protéger la vie indique que plusieurs objectifs du Canada en matière de biodiversité n’ont pas été atteints au fil des ans. Par exemple, la cible de 17 % d’aires protégées terrestres en 2020 n’a pas été respectée à l’échelle canadienne. « Les lois canadiennes échouent systématiquement à protéger la biodiversité », conclut notamment Greenpeace. Les lois fédérales et la plupart des lois provinciales n’exigent même pas l’évaluation des impacts des projets d’exploitation minière, pétrolière et gazière, des barrages et d’autres ressources sur la biodiversité, à l’exception d’un nombre restreint de projets jugés majeurs. » Selon l’organisation, la LEP n’a pas permis de protéger adéquatement les espèces en péril au pays, et la Loi sur les espèces sauvages du Canada ainsi que la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs « sont désuètes et doivent être réformées ».

Une loi sur la nature et la biodiversité

« À la lumière de cette crise écologique sans précédent et de ce système législatif défaillant, nous croyons qu’une solution législative s’impose de toute urgence », conclut le rapport de Greenpeace. La loi suggérée s’inspirerait de la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité, qui force notamment la reddition de comptes du gouvernement fédéral sur les questions touchant les changements climatiques. « Ce qu’on veut, c’est un mécanisme pour suivre les objectifs et rendre des comptes au public chaque année », explique Salomé Sané, chargée de la campagne nature et alimentation chez Greenpeace Canada. « On souhaite que le ministre de l’Environnement [Steven Guilbeault] s’engage à promulguer un texte de loi au niveau fédéral. »

« Le temps pour agir est limité »

« Ce rapport est vraiment d’actualité. Il est au diapason des discussions actuelles sur la biodiversité », signale Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles à l’Université du Québec en Outaouais. À l’image des feuilles de route pour le climat, il croit que la biodiversité est mûre pour ce genre de proposition. Selon Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, « une loi similaire à la loi sur la carboneutralité faciliterait certes l’élaboration d’une stratégie pour l’atteinte des cibles de protection de la biodiversité et contribuerait à la mise en place d’une approche pangouvernementale tout en augmentant la transparence sur les actions fédérales ». Cependant, M. Branchaud juge qu’une telle loi ne pourrait se substituer aux lois existantes. « Il faudra éviter de perdre notre temps avec des mécanismes d’autoflagellation improductifs. Les gouvernements, les nations autochtones et les organisations du pays doivent avant tout travailler ensemble et avec détermination vers l’atteinte de résultats concrets. Le temps pour agir est limité. »

« Un rattrapage à faire »

« Les questions touchant la crise climatique ont une à deux décennies d’avance sur la biodiversité. Le climat prend beaucoup de place dans le débat public. Il y a un rattrapage à faire », rappelle Jérôme Dupras. L’expert en évaluation économique des services écosystémiques indique que les enjeux de diversité biologique sont souvent plus complexes que les questions climatiques. « La biodiversité, c’est mobile, invisible et silencieux », dit-il. Il n’en demeure pas moins, précise-t-il, que les deux enjeux sont intimement liés. « La biodiversité, c’est littéralement ce qu’on mange, ce qu’on boit et ce qu’on respire. Et la moitié des médicaments sur le marché viennent de la nature. »

En savoir plus
  • 25 %

    Moins du quart des populations de rainette faux-grillon qui subsistent à ce jour au Québec « seraient capables de se maintenir à moyen terme si les conditions demeuraient telles quelles ».
    Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
    80 %
    L’agriculture est responsable de 80 % de la déforestation dans le monde. Or, entre 75 % et 80 % de ces terres agricoles servent uniquement à produire des aliments pour le bétail.
    Greenpeace