(Gatineau) La gestion des matières organiques est un défi pour les grands établissements. Plutôt que de trouver un fournisseur pour les valoriser dans un site externe, l’hôpital de Hull a décidé de les composter lui-même, sur place. Une solution simple, peu coûteuse et écologique.

Sitôt les repas terminés, les employés du service alimentaire de l’hôpital de Hull entreprennent le « débarras » des quelque 300 plateaux qui reviennent. La vaisselle d’un côté, les ordures à la poubelle et, depuis l’été dernier, les restants de table et autres matières organiques dans un bac.

Quand le bac est plein, il est vidé dans un « digesteur aérobie », installé dans la même pièce.

Distance totale parcourue par les matières organiques avant d’être « compostées » : environ deux mètres.

Les matières organiques provenant de la cuisine adjacente, comme des épluchures de légumes, y sont aussi envoyées.

« On a opté pour cette nouvelle technologie pour la facilité », explique Éric Ndandji, conseiller-cadre en développement durable et performance à la direction des services techniques et de la logistique du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais. D’autres solutions auraient exigé de coûteux réaménagements du bâtiment ou auraient imposé des contraintes logistiques, précise-t-il.

Avec des enzymes et de l’oxygène – d’où le terme « aérobie » –, l’appareil transforme en 24 heures les matières organiques en un digestat ressemblant à de la terre sèche, qui pourrait servir d’engrais (voir encadré).

« Ça fonctionne en continu, ça peut être ouvert en continu », explique Éric Ndandji.

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Éric Ndandji, conseiller-cadre en développement durable et performance à la direction des services techniques et de la logistique du CISSS de l’Outaouais

C’est un peu comme le corps humain : en tout temps, vous pouvez manger, puis votre intestin continue à digérer ce que vous consommez et, après ça, il extrait.

Éric Ndandji, du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais

Ce système, répandu en Europe et aux États-Unis, mais utilisé pour la première fois au Canada, évite de ralentir l’opération de débarras, souligne Lucie-Anne Derome, cheffe du service alimentaire de l’hôpital.

« Avant, ça prenait 45 minutes, maintenant, c’est encore 45 minutes », dit-elle.

Réduire les GES et les blessures

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Les restants de table et autres matières organiques sont placés dans un bac, le bac est versé dans le « digesteur aérobie ».

Valoriser les matières organiques, plutôt que les envoyer à l’enfouissement, permettra à l’hôpital d’éviter l’émission annuelle de 167 tonnes de gaz à effet de serre (GES), selon Synergie Santé Environnement, qui a accompagné le CISSS de l’Outaouais dans ses démarches.

C’est l’équivalent des émissions d’une voiture qui roulerait plus de 800 000 km, a calculé l’organisation (en se basant sur une consommation de 9 L/100 km).

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L’hôpital de Hull

En réduisant de 200 à 40 kg par jour la quantité de matières organiques qu’il génère, l’hôpital a aussi réduit les blessures de ses employés affectés à l’entretien.

« As-tu pensé au tonnage qu’on jetait ? », lance Yves Marinier, qui apprécie la réduction du poids des déchets que ses collègues et lui transportent.

Mais l’effet le plus remarqué aura été la diminution des mauvaises odeurs provenant des sacs d’ordures, dit-il, un constat que fait aussi Éric Ndandji.

Installé au printemps 2021 et pleinement fonctionnel depuis l’été, le digesteur de l’hôpital de Hull est donc entré sans trop de difficulté dans le quotidien des employés.

La redistribution des tâches « a demandé de se réhabituer un peu », mais l’adaptation a été rapide, raconte Marie-Ève Laroche, qui travaille depuis deux ans au service alimentaire. Jeter de la nourriture la désolait, mais la composter la console maintenant.

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Marie-Ève Laroche, employée du service alimentaire de l’hôpital de Hull, débarrasse les plateaux qui reviennent des étages après le repas.

On est rendus là.

Marie-Ève Laroche, employée de l’hôpital de Hull

Détourner les matières organiques de l’enfouissement permet aussi de réduire les coûts liés à la gestion des déchets – les économies sont toutefois difficiles à chiffrer pour l’hôpital de Hull, puisque les matières organiques ne représentent qu’une petite fraction de l’ensemble de ses déchets, explique Éric Ndandji.

Modèle pour les grands générateurs

La démarche de l’hôpital de Hull montre une solution au défi que représente la gestion des matières organiques pour les grands générateurs, alors que la Stratégie de valorisation de la matière organique du gouvernement québécois prévoit que les industries, commerces et institutions (ICI) devront les récupérer d’ici 2025.

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Le « digesteur aérobie » de l’hôpital de Hull

Le succès est tel que le CISSS de l’Outaouais a commandé une dizaine de digesteurs supplémentaires pour ses autres établissements. Il implantera la collecte des matières là où l’installation d’un appareil n’est pas possible ou pas optimale.

« On se demande pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt », s’exclame Éric Ndandji, qui estime que tout établissement qui génère plus de 100 kg de matières organiques par jour gagnerait à se doter d’un tel système, citant l’exemple des épiceries.

Inspirés par l’expérience gatinoise, six établissements hospitaliers de la région de Montréal installeront eux aussi un digesteur prochainement, à commencer par l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, en avril.

En attente de l’approbation du ministère de l’Environnement

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Le digestat

Le digestat produit par le digesteur de l’hôpital de Hull doit être reconnu comme « matière organique fertilisante » par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) du Québec avant de pouvoir être distribué. Si bien que l’hôpital doit pour l’instant le jeter ou l’envoyer dans un centre de compostage. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’autorisation arrive, croit Éric Ndandji, conseiller-cadre en développement durable et performance à la direction des services techniques et de la logistique du CISSS de l’Outaouais, qui voudrait donner cette matière aux habitantes et habitants de Gatineau. Un projet de recherche pour son utilisation dans le secteur agricole est aussi en cours. Le MELCC affirme quant à lui qu’« aucune donnée ou information ne [lui] a été transmise qui permettrait de statuer quant à la recyclabilité de ce type d’extrant », a indiqué à La Presse sa porte-parole, Caroline Cloutier.

En savoir plus
  • 100 718 kg
    Quantité de matières organiques générées annuellement par l’hôpital de Hull
    Source : Synergie Santé Environnement
    56 000 $
    Coût d’un digesteur d’une capacité de 200 kg par jour, comme celui de l’hôpital de Hull, en plus des frais connexes liés à son installation
    Source : Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais