(Québec) Vous voulez savoir combien de litres d’eau sont prélevés au Québec par les entreprises pour être revendus en bouteille ? C’est secret.

Des organismes environnementaux s’adressent au tribunal pour faire lever le voile opaque sur les millions de litres d’eau collectés par neuf entreprises, notamment par Coca-Cola, Pepsi, Naya, Eska, etc.

La Presse Canadienne a appris que la cause sera entendue le 1er mars.

Ces renseignements confidentiels pourraient relancer le débat sur les redevances touchées par l’État, jugées trop basses pas l’opposition. Dans le contexte des changements climatiques et des pénuries de plus en plus fréquentes, cela pourrait conduire aussi à un effort de réduction de la consommation.

La Commission d’accès à l’information avait auparavant refusé de divulguer ces renseignements, au nom du secret commercial.

Toutefois, les organismes Eau Secours et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) contestent la décision devant la Cour du Québec.

Il y a des « prélèvements massifs » d’eau un peu partout sans qu’on puisse connaître leurs effets sur les bassins versants dans chaque région, a fait savoir la directrice générale de l’organisme Eau Secours, Rébecca Pétrin.

« On fait face à des pénuries de plus en plus fréquentes d’eau. On voudrait s’attaquer aux problèmes, réduire la consommation, mais dans les faits, on ne sait pas vraiment qui consomme l’eau. […] Donc les prélèvements massifs mettent en péril la gestion responsable de notre ressource. »

Transparence

« Quand la population fait une demande d’accès à l’information pour obtenir les quantités d’eau prélevées par les grands préleveurs, l’accès lui est refusé, mais pour nous, c’est pourtant le gros bon sens, c’est pour ça que nous sommes devant les tribunaux », a résumé l’avocat Marc Bishai, partenaire du CQDE.

Les demandeurs estiment que la loi sur l’eau a préséance, avec ses principes de participation et de transparence.

Par conséquent, les organismes jugent que les citoyens ont le droit de connaître l’usage qu’on fait de cette ressource, une ressource « vitale, épuisable et vulnérable », comme le dit le préambule de la loi.

Il faut des données précises avant de pouvoir lancer un débat sur la viabilité des prélèvements ou la tarification de ces volumes d’eau.

« On pourra avoir certainement des débats sur cette question », a-t-il reconnu.

« Une fois qu’on aura cette information (sur les quantités d’eau prélevées), on pourra avoir plusieurs discussions intelligentes concernant les impacts sur l’eau, les possibles conflits d’usage, les redevances appropriées, etc. »

« Quand on parle de gestion responsable, c’est qu’il faut freiner notre consommation d’eau, a renchéri Mme Pétrin. C’est certain que ça va passer par un débat, donc qui va avoir priorité sur l’utilisation d’eau et qui va devoir se restreindre le plus. »

Un précédent

Si la Cour du Québec donne raison à Eau Secours et au CQDE, la décision créerait un précédent. C’est la première fois que le tribunal interpréterait l’article de la loi sur l’eau invoqué dans cette affaire.

La décision pourrait « s’appliquer ensuite à l’ensemble des grands préleveurs, non seulement aux entreprises d’embouteillage », a dit Me Bishai.

Les données seraient-elles automatiquement rendues publiques par la suite par le ministère de l’Environnement ? Non, il faudrait toujours formuler une demande d’accès à l’information, à moins que le ministère fasse une divulgation volontaire.

Tarification

La semaine dernière, le Parti libéral et le Parti québécois ont réclamé la révision à la hausse de la tarification pour l’utilisation de l’eau, inchangée depuis 2010.

La Coalition avenir Québec s’était engagée à revoir la tarification, mais le ministre Benoit Charette a refusé d’engager cette démarche dans le cadre de l’étude du projet de loi 102 actuellement en cours.

La grille actuelle est reconnue comme notoirement plus basse même que l’Ontario.

En 2018, on rapportait notamment que 2 milliards de litres d’eau embouteillée au Québec avaient généré moins de 150 000 $ de revenus au Trésor québécois. La même année, l’Ontario avait touché 23 millions pour l’eau prélevée, a fait remarquer la députée libérale Isabelle Melançon.

Le taux de la redevance est de 2,50 $ par million de litres d’eau, mais de 70 $ par million de litres d’eau pour, par exemple, l’eau en bouteille, la fabrication de boissons, de certains produits minéraux et chimiques, de pesticides, ou l’extraction de pétrole et de gaz.

En comparaison, l’Italie exige 2000 $ par million de litres et le Danemark, 10 000 $ par million de litres, a dénoncé Isabelle Melançon.

Le Règlement du Québec sur la redevance exigible pour l’utilisation de l’eau vise toutes les industries qui prélèvent ou utilisent 75 000 litres d’eau et plus par jour.