La Cour supérieure du Québec a ordonné vendredi à la Ville de Longueuil de cesser immédiatement des travaux qui sont réalisés dans l’habitat essentiel d’une espèce menacée.

La juge Guylaine Baugé a donc donné raison à deux groupes environnementaux qui réclamaient la suspension temporaire des travaux de prolongement du boulevard Béliveau, susceptibles « d’altérer des milieux humides dans le secteur du projet ». Ceux-ci sont essentiels à la rainette faux-grillon, qui a le statut d’espèce menacée au Canada et vulnérable au Québec.

Par voie de communiqué, Longueuil a indiqué qu’elle respectera l’injonction interlocutoire provisoire d’une durée de 10 jours.

Le chantier a été autorisé par le ministère québécois de l’Environnement en vertu de simples déclarations de conformité, une procédure moins contraignante qu’une demande d’autorisation ministérielle. Québec n’a pas tenu compte cependant d’un avis faunique du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) qui était défavorable au projet soumis par la ville.

Rappelons que le 22 octobre dernier, le Centre québécois du droit de l’environnement (CCQDE) et la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) ont déposé une demande d’injonction interlocutoire provisoire pour faire stopper ces travaux, qui sont réalisés dans l’habitat essentiel désigné légalement pour cette espèce.

Dans la décision rendue en milieu d’après-midi, vendredi, la juge Baugé « ordonne à la défenderesse Ville de Longueuil, ainsi qu’à ses employés, représentants, mandataires, sous-traitants, et toute personne agissant en son nom ou pour son compte, de suspendre les travaux de prolongement du boulevard Béliveau, à Longueuil, et tous autres travaux connexes sur les infrastructures souterraines d’aqueduc et d’égouts, pour valoir jusqu’au 8 novembre 2021, à 17 h. »

Le tribunal a conclu qu’à défaut d’ordonner une suspension des travaux pour une période de 10 jours « l’habitat essentiel de la rainette risque d’être irrémédiablement corrompu, avec pour conséquence la mise en péril de cette espèce. »

« Malgré l’état avancé des travaux, cette décision donne un sursis à la rainette face à l’inaction des différents paliers gouvernementaux », affirme la directrice du CQDE, Geneviève Paul. « La balle est maintenant dans le camp du ministre de l’Environnement du Canada qui doit impérativement enclencher la procédure menant à un décret de protection de l’habitat essentiel de l’espèce à Longueuil. La disposition du filet de sécurité prévue par la Loi sur les espèces en péril l’oblige, sans discrétion aucune, à faire une recommandation en ce sens », ajoute Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec.

De son côté, la Ville de Longueuil signale que dans le cadre de ce projet, elle « s’est toujours préoccupée de trouver un équilibre entre deux objectifs : la préservation de l’environnement d’une part et, d’autre part, la nécessité de travaux pour réduire les risques quant à la sécurité des citoyens et au volume de circulation dans le secteur. »

Une promesse de Steven Guilbeault

En parallèle, la SNAP Québec et le CQDE ont également déposé un recours judiciaire en Cour fédérale afin que le ministre fédéral de l’Environnement recommande à Ottawa l’adoption d’un décret pour protéger l’espèce et son habitat à Longueuil.

Une demande similaire avait été faite en en 2014 par Nature Québec et le CQDE afin de forcer l’ancienne ministre de l’Environnement, Leona Agglukkaq, à recommander un décret pour protéger l’espèce et son habitat à La Prairie, sur la Rive-Sud du Montréal. Par la suite, la Cour fédérale avait sévèrement blâmé l’ancienne ministre conservatrice lui donnant alors six mois pour recommander un décret d’urgence, qui a finalement été adopté par le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau en 2016.

Au cours de la dernière campagne électorale fédérale, le nouveau ministre de l’Environnement Steven Guilbeault avait promis qu’un futur gouvernement libéral allait protéger les espèces en péril partout au Canada en utilisant les mécanismes prévus à la Loi sur les espèces en péril (LEP). « Nous sommes déjà intervenus avec un décret d’urgence en 2016. Alors si le passé est garant de l’avenir… » avait-il déclaré à La Presse.

Par ailleurs, plusieurs documents obtenus par La Presse démontrent que Québec connaissait depuis 2003 l’importance de ce secteur pour la rainette faux-grillon. Dans une lettre datant du 20 mars 2003, le ministère de l’Environnement du Québec écrivait à la Ville de Longueuil qu’il « ne voyait pas d’un bon œil le remblayage des zones humides et la relocalisation des espèces fragiles et menacées ».

Le 14 avril 2003, Québec écrivait à la ville que « compte tenu de l’état d’avancement de votre projet et que les milieux humides seraient enclavés par les prolongements des boulevards Béliveau et Roberval, et malgré tout l’intérêt que présentent ces milieux, nous sommes prêts à accepter de recevoir une demande de l’autorisation en vue de vous permettre de réaliser des travaux dans le secteur indiqué ».

25 %

Selon un récent rapport, moins du quart des populations de rainettes faux-grillon qui subsistent à ce jour « seraient capables de se maintenir à moyen terme si les conditions demeuraient telles quelles ».

Source : ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs