Dans le cadre d'une rencontre virtuelle au sommet, à Washington, les dirigeants d’une quarantaine de pays parleront climat, jeudi et vendredi, à l’invitation de leur homologue Joe Biden. Le président veut donner une forte impulsion à une transition écologique mondiale, qui laissera derrière ceux qui ne sont pas assez ambitieux, accentuant ainsi la pression sur le Canada. Explications.

Réorienter l’action climatique

Promesse de campagne de Joe Biden, ce Sommet des dirigeants sur le climat a pour objectif ambitieux de « réorienter l’agenda climatique mondial », explique Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada et chargé de cours à l’Université de Montréal. Les accords négociés par les experts des gouvernements sont une chose, dit-il, mais « parfois on a besoin des chefs d’État qui décident », et c’est le souhait du président états-unien. D’autant plus que la 26e conférence des Nations unies sur le climat (COP26) a été reportée l’an dernier en raison de la pandémie et que sa tenue cette année demeure incertaine. « Il faut essayer de régler le plus de choses possible à l’avance [pour] contribuer au succès de la COP », estime Eddy Pérez.

Leadership états-unien

Cette rencontre est l’occasion pour les États-Unis de reprendre le leadership perdu sous la présidence de Donald Trump, croit Eddy Pérez. « Ce que Biden propose, c’est de dire : “On a les outils, allons-y ; si c’est la volonté politique qui manquait ces dernières années, provoquons-la” », résume-t-il. Conscient que son pays ne peut agir seul, le président Biden entend peser de tout son poids pour que la relance économique post-pandémie soit verte et juste pour forcer les autres pays à suivre la tendance. « Le message envoyé, c’est : “Nous, on investit des milliards de dollars dans une relance et il faut que, d’ici la COP26, il puisse y avoir un virage” », estime Eddy Pérez, qui a également travaillé au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans le passé.

Pression sur le Canada

Ottawa, qui montrait dans les dernières années plus d’ambition que son voisin, se retrouve maintenant sous pression pour en faire davantage. « Son plus grand partenaire économique est en train de lui dire : “Rejoins-moi, l’économie que je suis en train de bâtir s’éloigne du pétrole” », affirme Eddy Pérez. Le Canada se retrouve donc coincé entre le poids économique et politique de son voisin et celui de sa propre industrie pétrolière et gazière. « Le Canada doit prouver qu’il est capable de sortir de sa dépendance à la production d’énergies fossiles », qui sera responsable de l’augmentation de ses émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines années, ajoute-t-il.

Nouvelles cibles de réduction

Tout comme Washington, Ottawa annoncera lors de ce sommet sa nouvelle cible de réduction des GES. À leur arrivée au pouvoir en 2015, les libéraux avaient repris la cible des conservateurs, soit une réduction de 30 % des émissions de 2005 pour l’année 2030. En décembre dernier, le gouvernement Trudeau avait indiqué que la nouvelle cible s’établirait quelque part entre 32 % et 40 %. « Moi, je pense que ça ne sera pas acceptable aux yeux du président Biden, [qui] veut créer un petit groupe de pays qui s’engagent à réduire d’au moins 50 % d’ici 2030 », estime Eddy Pérez. Si les libéraux annoncent une cible supérieure à 40 %, ils devront expliquer comment ils comptent y parvenir, eux qui ont toujours affirmé être réticents à annoncer des cibles qu’ils ne peuvent atteindre, souligne-t-il.

Les entreprises s’en mêlent

Washington fait l’objet de pression du milieu des affaires pour augmenter considérablement ses ambitions climatiques. Dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière la coalition « We Mean Business », qui rallie quelque 300 entreprises comme Walmart, Coca-Cola, McDonald’s, Unilever ou Siemens, a appelé le président Biden à adopter une cible d’au moins 50 % sous le niveau de 2005 d’ici 2030. Au Canada, il n’existe aucune initiative du genre. Loblaw n’en voit « pas la pertinence », tandis que Metro ne souhaite « pas faire de commentaire », ont-elles répondu à La Presse, qui a contacté une dizaine des plus grandes entreprises du pays, la semaine dernière. Rogers, Tim Hortons, Canadian Tire et Alimentation Couche-Tard n’ont pas répondu. Le Canadien National et les Aliments Maple Leaf appellent les entreprises à l’action, mais pas le gouvernement.

Regards tournés vers la Chine et l’Inde

L’attention sera portée aussi sur les autres grands émetteurs de GES, dont la Chine, au premier rang, qui représente à elle seule plus du quart des émissions mondiales et le double de celles des États-Unis, qui suivent au deuxième rang. « C’est sûr qu’on s’attend à ce que la Chine apporte quelque chose, comme une annonce pour accélérer la réduction de ses émissions pour 2030 », affirme Eddy Pérez. Pékin vise actuellement la carboneutralité « avant 2060 ». Quant à l’Inde, qui arrive au troisième rang des émetteurs de GES, « on s’attend à une révision de son plan climatique pour qu’il se situe dans une trajectoire de 1,5 °C », cible de l’accord de Paris.