Les boîtes de récupération de matières qui ne sont pas acceptées dans la collecte sélective se multiplient dans les établissements publics, qui les paient au prix fort, mais qui ignorent si elles ont un réel bénéfice environnemental.

L’entreprise états-unienne TerraCycle, qui offre ce service, se targue de « recycle[r] le non-recyclable », mais des spécialistes de l’industrie ont de sérieuses réserves à son égard.

« Ils disent qu’ils font bien des belles choses, mais on n’a aucune, aucune preuve de leur part ; ils ne nous en fournissent pas », lance Francis Fortin, président-directeur général de Chamard stratégies environnementales, firme-conseil en gestion des matières résiduelles qui compte de nombreuses grandes entreprises et municipalités québécoises parmi ses clients.

Pour certaines matières pratiquement impossibles à recycler, « TerraCycle a souvent été une des seules options sur le marché », explique M. Fortin, qui recommande toutefois « de moins en moins » l’entreprise à ses clients, faute de transparence.

Ce sont les seuls avec qui on y va à l’aveugle.

Francis Fortin, PDG de Chamard stratégies environnementales

TerraCycle affirme que les matières récupérées dans ses « boîtes zéro déchet », qui se détaillent entre 55 $ et 502 $ sur son site internet, servent à fabriquer différents biens, comme du mobilier de jardin.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE TERRACYCLE

Des boîtes zéro déchet de TerraCycle

Mais le réel recyclage des matières récupérées par TerraCycle n’est pas prouvé, affirme ÉcoEntreprises Québec (EEQ), l’organisme qui représente les entreprises fabriquant et vendant sur le marché québécois contenants, emballages et imprimés et qui finance la collecte sélective.

« Selon nos recherches, TerraCycle n’a pas démontré que la matière récupérée est acheminée à des fins de recyclage pour les marchés québécois », a déclaré à La Presse sa directrice de l’écoconception et de l’économie circulaire, Geneviève Dionne.

Elle qualifie TerraCycle d’entreprise « dont le modèle d’affaires vise à générer des profits sans aucune traçabilité ni transparence » et qui va à l’encontre du principe d’économie circulaire.

La traçabilité des matières et la transparence sont d’ailleurs au cœur de la réforme de la collecte sélective que prépare Québec, après des années d’exportation de nos matières dites recyclables en Asie, où nul ne sait ce qui en advenait.

Quel gain ?

En ne sachant pas ce qu’il advient des matières que TerraCycle récupère, il est impossible de déterminer s’il y a un gain environnemental au terme du procédé, notent les intervenants consultés par La Presse.

Même si elles sont recyclées, leur transport sur de grandes distances peut en annuler les bénéfices.

« Au niveau des gaz à effet de serre, on n’est vraiment plus dans un gain, illustre Francis Fortin. Ça coûte quelque chose, au niveau environnemental, de les recycler. »

« Si la matière est destinée à des acheteurs américains, l’empreinte environnementale peut même s’avérer plus grande que la solution proposée », déplore aussi Geneviève Dionne.

« L’entreprise ne rend pas publique sa performance réelle », constate également Marc Olivier, professeur chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel et professeur à l’Université de Sherbrooke.

Les tarifs de [TerraCycle] sont tellement élevés et la destination des matériaux expédiés semble tellement incertaine que tous se méfient.

Marc Olivier, professeur chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel

La récupération des masques chirurgicaux offerte par TerraCycle, et quelques entreprises québécoises, revient à 10 000 $ à 20 000 $ par tonne métrique, affirmait le vice-recteur adjoint au développement durable à l’Université de Sherbrooke, Patrice Cordeau, lors du lancement d’un projet-pilote de recyclage des masques en Estrie, en février.

À titre comparatif, l’enfouissement des matières résiduelles au Québec coûte une centaine de dollars par tonne.

Différents observateurs pointent aussi l’incohérence de faire du « sous-recyclage » en mélangeant différentes matières pour en faire des produits comme du mobilier de jardin qui, eux, ne seront pas recyclables à la fin de leur vie utile.

Ces questionnements ont poussé le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, Benoit Charette, à demander à Recyc-Québec « d’analyser la question plus en profondeur, compte tenu des préoccupations soulevées par plusieurs », a déclaré sa porte-parole Geneviève Richard.

Recyc-Québec indique avoir entrepris les démarches pour réaliser une analyse du cycle de vie sur le recyclage des masques chirurgicaux, seule façon « de hiérarchiser » les différentes solutions, en tenant compte de l’extraction des matières, de la fabrication, de l’utilisation, du transport et de la disposition des produits concernés.

Secret industriel

TerraCycle refuse de divulguer publiquement l’identité des « tierces parties » qui transforment les matières qu’elle récupère en différents produits finis, invoquant des raisons de compétitivité.

Elle serait toutefois « plus qu’heureuse » de la dévoiler à quiconque accepte de signer un engagement de non-divulgation, a assuré le PDG Tom Szaky, dans un entretien avec La Presse.

Il affirme aussi que « n’importe quelle agence crédible [d’un pays donné] est la bienvenue » pour mener un audit des activités de son entreprise.

TerraCycle assure qu’elle n’incinère pas ces matières pour en faire de la vapeur, de la chaleur ou de l’électricité, et qu’elle ne les enfouit pas.

« Nous sommes philosophiquement opposés à l’enfouissement et à l’incinération », a déclaré M. Szaky.

Il affirme que la meilleure assurance que TerraCycle peut donner concernant ses activités est le fait qu’elle existe depuis 20 ans et qu’elle « travaille avec des milliers d’entreprises ».

Des boîtes populaires auprès des organismes publics

Des ministères, municipalités, écoles et autres organismes publics à la recherche d’une façon écologique de disposer de leurs matières résiduelles versent des milliers de dollars à TerraCycle, sans obtenir de garanties en retour.

Hydro-Québec a acheté pour 59 000 $ de boîtes de récupération « zéro déchet » de TerraCycle depuis 2020, mais s’en remet à la bonne foi de l’entreprise pour s’assurer que les matières récupérées sont traitées écologiquement.

« C’est le fournisseur qui nous assure qu’il recycle le contenu des boîtes de récupération selon les normes de l’industrie », a répondu à La Presse un porte-parole de la société d’État, Cendrix Bouchard.

Les boîtes commandées par Hydro-Québec servent à récupérer des « équipements de sécurité et de protection (tels que des masques) » et permettent de « cesser l’enfouissement » de ces matières, avait préalablement indiqué la société d’État dans un document obtenu par le biais de la Loi sur l’accès à l’information.

La société d’État refuse toutefois de divulguer combien de boîtes elle a obtenues pour le montant payé, affirmant qu’il « s’agit de renseignements de nature commerciale que nous traitons de manière confidentielle ».

Pour les masques et les gants

De nombreux autres organismes publics se sont rués sur les boîtes de récupération de masques chirurgicaux et de gants de protection jetables, dont l’utilisation a explosé avec la pandémie.

Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) en a commandé pour 1056 $, en octobre dernier, révèle une facture obtenue elle aussi par le biais de la Loi sur l’accès à l’information.

« Les matières récupérées sont densifiées et recyclées en palettes de livraison ou en dormants de chemins de fer », a indiqué à La Presse Yohan Dallaire Boily, porte-parole du MAPAQ, mais « il n’y a pas eu de service de traçabilité d’effectué avec l’entreprise », a-t-il reconnu.

L’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal, en a commandé pour 5200 $, ce qui a permis de collecter 22 720 masques, affirme le porte-parole Marc-Olivier Fritsch, qui affirme avoir été rassuré par l’entreprise.

« Nous sommes en contact régulier avec TerraCycle, qui répond à toutes nos questions, notamment en matière de traçabilité », a-t-il indiqué.

Les masques et autres équipements de protection individuelle récupérés par TerraCycle au Canada parcourent des milliers de kilomètres en vue de leur traitement : ils sont d’abord envoyés à Fergus, en Ontario, pour y être triés, puis au New Jersey, pour leur « prétraitement », et sont finalement « recyclés » en Illinois, a expliqué à La Presse le président-directeur général de TerraCycle, Tom Szaky.

Emballages de collations

TerraCycle offre des boîtes « zéro déchet » pour une multitude d’autres matières.

Environnement Canada a par exemple acheté il y a un an pour 16 712 $ de boîtes de récupération d’emballages de collation, qui ont été installées dans différents bureaux du Ministère situés dans six provinces, dont le Québec, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique.

TerraCycle affirme que ces matières-là ne sont pas envoyées aux États-Unis ; elles sont acheminées à ses installations de Fergus, où elles sont triées, nettoyées pour éliminer les résidus alimentaires et transformées en granules de plastique, qui sont ensuite incorporées dans la fabrication de différents biens par des « tierces parties ».

Environnement Canada n’est toutefois pas en mesure de vérifier ces prétentions, qui n’ont pas été confirmées de manière indépendante, ni le gain environnemental de faire voyager ces matières résiduelles sur d’aussi grandes distances.

Le Ministère affirme qu’« en signant le contrat, l’entreprise a convenu — et a l’obligation — d’assurer les services qui y sont prévus », a déclaré dans un courriel à La Presse Mark Johnson, porte-parole du Ministère, vantant par ailleurs la « solide réputation » de TerraCycle.

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) du Québec a pour sa part dépensé 4250 $ auprès de TerraCycle depuis 2019 pour des « bacs de plastique pour le recyclage des déchets produits dans les travaux d’analyse d’ADNe [ADN environnemental] », indique une facture obtenue par l’entremise de la Loi sur l’accès à l’information.

Cette somme a permis de recycler 2,6 mètres cubes de « gants de nitrile, embouts, sachets de plastique », a affirmé dans un courriel le porte-parole du Ministère, Eric de Montigny, s’abstenant toutefois d’indiquer si le MFFP a obtenu des garanties en ce sens ou sait ce qu’il advient des matières récupérées.

Avec William Leclerc, La Presse