Il faudra attendre la décision de la Cour suprême du Canada pour savoir ce qu’il adviendra de la taxe fédérale sur le carbone. Pour mieux comprendre l’enjeu, on démêle le tout avec Alain Webster, professeur titulaire au département d’économique de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.

La Cour d’appel de l’Alberta a statué, lundi, que la taxe fédérale sur le carbone n’est pas constitutionnelle, contrairement à ce qu’avaient déterminé les tribunaux de la Saskatchewan et de l’Ontario, l’an dernier. D’entrée de jeu, qu’est-ce que la « taxe carbone », exactement ?

Sans la taxation du carbone, les entreprises ont le droit d’émettre de façon illimitée des gaz à effet de serre sans qu’aucun coût ne soit assumé ni par elles, ni par les consommateurs. Donc, plutôt que de fonctionner avec un principe de pollueur-payeur, on fait payer à tout le monde les coûts économiques et environnementaux, ce qui est éthiquement inacceptable et économiquement embêtant. Avec la taxe carbone, le consommateur assume une partie du coût environnemental du bien qu’il consomme. Autrement dit, on prend le coût associé à l’émission de CO2 lors du processus de fabrication et on l’incorpore au prix du bien. Plus le prix environnemental est élevé, plus ça a un impact sur le coût à l’achat. Avec une stratégie de carbone, l’idée est d’inciter un changement dans le comportement et les habitudes des consommateurs.

Le Québec et la Colombie-Britannique, notamment, ont déjà instauré un mécanisme de réduction des gaz à effet de serre sur leur territoire. Sont-elles soumises à la loi fédérale ?

La loi s’applique aux provinces qui n’ont rien de mis en place pour contrer les émissions de CO2 (Alberta, Saskatchewan, Ontario, Manitoba, Nouveau-Brunswick). Cette loi les force à imposer une tarification du carbone. La Colombie-Britannique et le Québec n’y sont pas soumis parce qu’ils ont eux-mêmes fait ce choix depuis longtemps.

Certains pays utilisent cette taxe pour générer plus de revenus pour l’État. Au Québec, on a un système de permis interchangeables et de réinvestissement dans les initiatives de lutte contre les changements climatiques. Est-ce que la « taxe carbone » fédérale a un objectif économique ou environnemental ?

On ne fait pas ça pour que l’État génère plus de revenus. L’État ne fait pas un sou de plus. On fait ça pour réduire les GES. L’objectif est très clair : en 2050, il faut être carboneutre. Et chacun des États doit se demander comment le faire au coût le plus simple possible. La stratégie prise par le Canada — et elle reflète bien, selon moi, le manque de marge de manœuvre qu’il avait en regard des provinces —, c’est de verser un remboursement aux consommateurs.

Quel impact sur les provinces — et principalement sur le Québec — pourrait avoir une décision de la Cour suprême déclarant la loi fédérale inconstitutionnelle ?

La loi fédérale vient jouer dans le pouvoir d’intervention des provinces. Le Québec a été l’une des premières à mettre le sien en place, et on a été reconnus à l’échelle internationale en matière de lutte contre les changements climatiques ; on n’a aucune leçon à recevoir du fédéral. Mais d’un autre côté, se faire dire que l’Ontario et l’Alberta n’ont plus de tarification, ça voudrait dire qu’on imposerait un coût à nos consommateurs ici, mais pas à ceux des autres provinces. Le coût sera d’abord environnemental et il sera assumé par les générations suivantes. Si on abolit la taxe carbone, ce n’est pas non plus une bonne nouvelle économique pour le Québec parce que ça mettrait beaucoup de pression sur les entreprises d’ici en termes de concurrence. L’équilibre n’est vraiment pas facile. Il faut trouver comment maintenir cette tarification à l’échelle canadienne, mais en laissant une large place aux provinces. C’est une question de responsabilité politique, mais dans certains cas, il y en a qui ont une vision à très court terme.