Histoire de dénoncer la place accordée aux automobiles dans l’espace public, des entrepreneurs ont commencé à installer des bureaux à même des cases de stationnement et à travailler dans la rue dans plusieurs villes du monde.

L’idée est née sur Twitter le 25 avril, quand Victor Pontis, un entrepreneur de San Francisco, a écrit : « Je vais placer un bureau et travailler dans une case de stationnement pendant quelques heures pour montrer que l’espace alloué aux véhicules peut être mieux utilisé. Souhaitez-moi bonne chance. »

Depuis, l’idée a été reprise sur les réseaux sociaux, sous le mot-clic #wepark, un nom qui évoque la société d’espaces de cotravail WeWork et le mot « stationner » (park, en anglais).

Popularisé dans les réseaux des entreprises en démarrage, le geste a été repris à San Francisco, à Los Angeles, à Boston et ailleurs dans le monde, à Tel-Aviv et à Brisbane. En France, Valentin Décarpentrie, 21 ans, a aussi travaillé dans une place de stationnement de Toulouse avec son bureau pour Ikigai, entreprise qu’il a cofondée.

En entrevue avec La Presse, M. Décarpentrie souligne que c’est la dimension écologique qui l’a accroché.

« Est-ce normal qu’en 2019 on choisisse encore de construire des stationnements plutôt que de privilégier l’espace public ? » se demande-t-il. 

« Tous les scientifiques sont d’accord : le temps qu’il nous reste pour agir en faveur du climat se compte en mois. Les villes ne font rien pour réduire la pollution automobile. » — Valentin Décarpentrie

Le 1er mai, et une seconde fois le 3 mai, M. Décarpentrie et des collègues ont donc occupé une place de stationnement près des locaux de son entreprise. Il a payé son stationnement, comme l’aurait fait un automobiliste qui aurait voulu y laisser sa voiture.

Les passants ont été plutôt favorables à son initiative, fait-il remarquer. « Ils ont trouvé que c’était cool qu’on organise un truc comme ça et que c’était un bon coup de buzz pour mon entreprise. Quand un automobiliste a voulu se garer, je lui ai montré le ticket que j’avais acheté, et il est parti ! »

Le concept #wepark est simple, rapide et pas cher, souligne M. Décarpentrie. « Tout le monde peut le faire ! En fait, je pense que les esprits sont déjà éveillés ; aujourd’hui, il faut être aveugle pour ne pas voir que la situation est critique. »

Honte de l’avion

Les mouvements citoyens, dit-il, sont plus que symboliques : ils peuvent avoir une incidence. Il cite en exemple le « flygskam » (la honte de prendre l’avion), un mouvement lancé en Suède qui vise à encourager les gens à éviter de prendre l’avion afin de diminuer leur empreinte carbone. « Le flygskam a fait baisser le trafic aérien de 4,5 % en Suède, une première décroissance en 10 ans pour le pays, alors il n’y a aucune honte à ce que les entreprises en démarrage veuillent faire bouger les choses en France aussi. »

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à l’ONU, l’humanité doit engager des transitions « rapides » et « sans précédent » pour éviter le pire scénario des changements climatiques. Les émissions mondiales de carbone doivent chuter d’environ 45 % d’ici 2030, sans quoi un « dérèglement catastrophique » est envisagé et pourrait menacer la vie sur Terre.

Même si l’importance d’agir est connue, les comportements tardent à changer. À Montréal, l’utilisation de la voiture pour aller au travail ne fléchit pas. 

65 % : Proportion approximative de travailleurs qui choisissent d’aller travailler en voiture, selon la Communauté métropolitaine de Montréal. Au centre-ville, c’est le contraire : les deux tiers des gens s’y rendent en transports en commun.

Est-il légal de placer une table sur une case de stationnement ? Cela enfreint-il les règlements municipaux ? Nous avons posé la question à la Ville de Montréal il y a quelques jours, mais nous n’avions toujours pas reçu de réponse au moment de publier ces lignes. 

Certaines villes prennent les devants. Amsterdam a annoncé cette semaine qu’elle bannira les véhicules à essence et à diesel d’ici 2030. Le Danemark veut interdire la vente de véhicules à essence sur son territoire d’ici 2030. Et, depuis le début de 2019, il est impossible de stationner sa voiture au centre-ville d’Oslo : les 700 cases qui s’y trouvaient ont été transformées en miniparcs et en pistes cyclables. Les piétons sont de plus en plus nombreux : les commerçants rapportent une hausse de 10 % de l’achalandage par rapport à la même période l’an dernier.