L’humoriste Philippe Bond a clamé publiquement qu’il a toujours eu des relations consentantes avec des femmes. Une enquête de La Presse démontre le contraire.

« T’es une petite agace, tu me veux »

Huit femmes ont témoigné à La Presse avoir subi une forme ou une autre d’inconduite sexuelle aux mains du populaire humoriste Philippe Bond, entre les années 2006 et 2015. Quatre de ces femmes témoignent à visage découvert.

Cinq des femmes qui nous ont raconté des inconduites sexuelles de M. Bond étaient des collègues qui l’ont côtoyé dans le cadre d’émissions de télévision ou de radio. Les trois autres n’évoluaient pas dans le milieu artistique, elles l’ont croisé en marge de ses performances sur scène.

Une autre salariée en télévision nous a affirmé avoir été brièvement séquestrée dans le véhicule de M. Bond, en 2007, sans gestes sexuels.

Le spectre des comportements reprochés à Philippe Bond, 43 ans, est vaste. Il est question de commentaires sexuels déplacés, de touchers non désirés, de baisers forcés, d’une fellation imposée dans une cabine de toilette pour femmes et de relation sexuelle sans consentement.

Soulignons ici que Philippe Bond ne fait l’objet d’aucune accusation criminelle. La Presse a fait une demande d’entrevue à l’humoriste, qu’il a déclinée. L’avocat de M. Bond avait offert une rencontre à certaines conditions, auxquelles La Presse a refusé d’accéder pour des motifs de déontologie journalistique.

Lisez « Philippe Bond se retire de la vie publique »

Citation d’Alain Nguyen, avocat de l’humoriste : « M. Bond l’a déjà affirmé via sa déclaration sur les médias sociaux et le réitère vigoureusement : ses relations intimes ont toujours été consentantes et il n’a jamais agressé sexuellement qui que ce soit. Toute publication laissant entendre le contraire constituera [sic] une dissémination de fausseté et de rumeurs véhiculées par des sources biaisées et/ou ayant un intérêt à nuire à M. Bond. »

Mais selon notre enquête, en 2007, après une fête de fin de production de l’émission à sketchs Juste pour rire : les gags – dont il était un des comédiens –, Philippe Bond a admis des comportements répréhensibles, sans jamais en préciser la nature.

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Philippe Bond, dans l’émission à sketchs
Juste pour rire : les gags

À la suite de cette soirée, M. Bond, alors âgé de 28 ans, a en effet écrit un message d’excuses à ses collègues féminines présentes. Voici un extrait de la missive, obtenue par La Presse : « Cette lettre s’adresse à toutes celles que j’ai pu offencées [sic] lors du dernier party des gags. Ce soir là j’ai dépassé les bornes et je m’en excuse. Désolé de ce que j’ai pu dire ou faire. »

IMAGE OBTENUE PAR LA PRESSE

Message d’excuses de Philippe Bond à des collègues féminines présentes à une fête de fin de production de l’émission à sketchs Juste pour rire : les gags, en 2007

Dans sa lettre, Philippe Bond ne détaille pas ce qu’il a « dit » ou « fait » à cette fête au défunt studio Juste pour rire, boulevard Saint-Laurent.

Mais La Presse a recueilli les témoignages de quatre femmes qui ont subi les frasques de l’humoriste ce soir-là. Parmi leurs griefs : touchers non désirés, avances sexuelles insistantes, baisers forcés et une séquestration dans la voiture de M. Bond.

Marie-Michelle Émond, alors productrice déléguée de l’émission, nous a déclaré : « On a fait le tour de la question avec les filles qui ont été approchées, serrées, agressées. On a aussi appris des choses sur ce qui s’était passé ailleurs : on a découvert qu’il était harcelant avec des comédiennes avec qui il tournait sur le plateau. »

Rappelons que le 1er juillet dernier, l’humoriste Thomas Levac a déclaré que « Philippe Bond, c’est un violeur », lors de l’enregistrement d’une balado du Festival d’humour émergent en Abitibi-Témiscamingue. Cette déclaration a fait surface le 12 juillet, provoquant une tempête de réactions dans les réseaux sociaux.

Le lendemain, M. Bond niait toute agression dans un statut Facebook destiné à ses 309 000 abonnés : « Toutes les relations que j’ai eues ont été consentantes, JAMAIS je n’ai été un agresseur, JAMAIS je ne le serai et je n’accepterai JAMAIS d’en être accusé sans me défendre. »

C’est cette sortie sur Facebook de Philippe Bond qui a poussé plusieurs femmes à raconter leurs interactions malheureuses avec l’humoriste au fil des années. Huit femmes dont nous avons recueilli les témoignages affirment n’avoir jamais donné leur consentement à certains touchers, baisers ou relations sexuelles, notamment.

Philippe Bond est actuellement en tournée pour son spectacle Merci. Il coanime l’émission C’t’encore drôle tous les midis à Énergie, propriété de Bell Média, en saison régulière. Il a remporté l’Olivier de l’année en 2012.

« Il m’a mis son pénis dans la bouche »

Lisa Matthews avait 20 ans quand elle a croisé la route de Philippe Bond – qu’elle rencontrait pour la première fois – en 2007. Elle a pris des verres avec lui dans le lounge de l’hôtel du Casino du Lac-Leamy, à Gatineau, avec d’autres personnes.

« Il était très cool jusqu’au moment où je me suis rendue à la salle de bain, nous a-t-elle déclaré. Il m’a poussée dans une toilette, il a barré la porte et il m’a mis son pénis dans la bouche. »

Toujours en 2007, Mathilde Laurier, comédienne dans Juste pour rire : les gags, était accoudée au bar lors de la fête de fin de tournage quand quelqu’un lui a tapé sur l’épaule : « Je me revire et c’est Philippe qui me frenche, la langue dans le fond de la gorge. Je l’ai repoussé. Mon amie me demande ce qui se passe, j’ai répondu : ‟Je n’en ai aucune idée”… »

Directrice de plateau en télévision, Corinne Paquin a relaté avoir eu des relations consentantes deux fois avec M. Bond, à partir de 2006, selon ses souvenirs. Mais la troisième fois a été « un peu brutale », dit-elle : « Il a commencé à me donner de bonnes claques puis il m’a sodomisée d’un coup, au complet, sans me prévenir. »

En 2011, une animatrice de radio a accepté d’aller prendre un verre chez Philippe Bond, dans les Laurentides : « Il a pris ma main pour la mettre sur son pénis en érection, je n’étais vraiment pas bien, je suis allée m’enfermer dans la salle de bain et j’ai appelé ma mère. »

Cégépienne en 2006, Sophie*, 20 ans, a assisté à un spectacle d’humour au bar Le Dagobert de Québec. M. Bond en faisait partie. Sophie était accompagnée d’une amie, qui s’est aussi confiée à La Presse. Les deux jeunes femmes sont convaincues, ce soir-là, d’avoir été droguées à leur insu. Elles ne soupçonnent pas Philippe Bond de ce méfait.

Mais Sophie dit s’être réveillée dans la chambre d’hôtel de l’humoriste, désorientée. Elle affirme avoir subi des gestes à caractère sexuel dans la douche où elle dit avoir été traînée de force, habillée. « Arrivée chez moi, j’étais toute mouillée, et je n’avais plus de sous-vêtements. »

Seize ans plus tard, désormais mère de famille, Sophie déclare : « Il était très insistant. Il était dominant, il m’a attrapée fort, en me disant que je voulais. Pour Philippe Bond, c’est comme si on devait toutes être intéressées par lui. »

Les témoignages recueillis dans notre enquête couvrent les années 2006 à 2015. Mais dans le milieu artistique, Philippe Bond suscite à ce jour de la méfiance : selon des informations colligées par La Presse, des femmes humoristes refusent par exemple systématiquement de se trouver dans la même pièce que lui.

Ce fut le cas en octobre 2021, à l’approche d’un spectacle-bénéfice pour Catherine Fournier, alors candidate à la mairie de Longueuil. Philippe Bond était parmi une demi-douzaine d’humoristes annoncés pour la soirée. Mais selon nos sources, des femmes (et au moins un homme) œuvrant en humour ont alors discrètement fait savoir à la candidate que M. Bond traînait une réputation de comportements inacceptables envers des femmes.

L’humoriste Sylvain Larocque, qui était candidat dans l’équipe de Mme Fournier (il a été élu conseiller), animait et organisait cet évènement au Théâtre de la Ville, à Longueuil : « J’ai reçu un appel de l’administration du parti, a expliqué M. Larocque, mardi soir. Ils avaient un malaise avec les rumeurs entourant Philippe. Je l’ai appelé pour lui dire que le parti était mal à l’aise de l’inviter à ce spectacle. Il a répondu qu’il comprenait. »

Interrogée à savoir si c’est elle qui a pris la décision de révoquer l’invitation à Philippe Bond, la mairesse Catherine Fournier a répondu à La Presse par un mot : « Oui. »

* Prénom fictif, à sa demande

De Québec à Gatineau, un modus operandi similaire

De Québec à Gatineau, alors que sa carrière commençait, Philippe Bond se jetait sur des femmes qu’il surprenait avec des avances agressives.

La Presse a parlé à deux femmes qui décrivent des contacts sexuels non consensuels avec l’humoriste, au cours des années 2006 et 2007. L’une d’elles a accepté de témoigner à visage découvert. L’autre a demandé de rester anonyme, mais son témoignage est corroboré par une amie que nous avons interviewée.

À Gatineau, Lisa Matthews avait 20 ans quand elle a reconnu un humoriste bien connu dans le secteur des bars du Vieux-Hull, en 2007 : Louis-José Houde, qui revenait de présenter son spectacle Suivre la parade. M. Houde était accompagné de deux personnes que Mme Matthews ne connaissait pas. Il s’agissait du directeur de tournée de M. Houde, Pierre-Luc Beaucage, et de Philippe Bond, qui assurait alors la première partie de Suivre la parade.

Avec une amie, Nicole Thompson, elle a fraternisé avec eux au bar Aux 4 Jeudis. Quelqu’un a proposé de finir la soirée dans le lounge du lobby de l’hôtel du Casino du Lac-Leamy, où logeait le trio. Lisa et Nicole ont accepté : « On a jasé d’anecdotes de tournée, c’était très drôle. Le grand gaillard qui s’appelle Pierre-Luc, je crois, était très drôle, Louis-José Houde aussi. Philippe Bond faisait le clown et il était très agréable. »

Mme Matthews s’est levée pour aller aux toilettes. Il était tard, 2 h ou 2 h 30 du matin, se souvient-elle. En arrivant aux toilettes, elle a eu la surprise de constater que Philippe Bond l’y avait suivie : « Il y a plusieurs petites cabines. Il m’a suivie, il m’a poussée à l’intérieur, il m’a assise sur la toilette et il a verrouillé la porte. »

(Une visite des toilettes en question effectuée par La Presse mardi a corroboré la description des lieux faite par Mme Matthews en entrevue.)

Mme Matthews raconte avoir été choquée : « Je pensais qu’il niaisait », dit-elle. Elle affirme lui avoir demandé ce qu’il faisait là. Réponse de l’humoriste, selon Mme Matthews : « T’as envie de moi. »

La jeune femme dit avoir protesté, en disant à M. Bond que, non, elle voulait juste aller à la toilette : « Le personnage drôle qui déconnait au bar, super funny, versus ce qu’il était dans la salle de bain, ce n’était plus le même gars. Son regard était méchant, il était très imposant, très agressif. »

Lisa Matthews affirme que l’humoriste lui a dit que oui, elle avait envie de lui : « Je le sais, t’es une petite agace, tu me veux. »

C’est alors, selon le récit de Lisa Matthews, aujourd’hui âgée de 35 ans, que Philippe Bond a sorti son sexe de son pantalon avant de l’enfouir dans sa bouche : « J’ai figé, dit-elle. Il m’a pogné la tête et il m’a dit : ‟Aweye, tu vas me faire venir, ma tabarnak.” Il a éjaculé rapidement. »

Lisa Matthews raconte que M. Bond est alors sorti de la cabine et s’est lavé les mains avant de quitter la salle de toilettes. Sous le choc, la jeune femme est revenue vers le groupe, qui ne se doutait de rien. Elle dit que Philippe Bond l’a ignorée dans les minutes qui ont suivi.

Lisa Matthews a raconté l’épisode à une seule personne : Nicole Thompson, son amie qui l’accompagnait ce soir-là.

Mme Matthews, en entrevue, a dit croire s’être confiée à son amie seulement deux semaines plus tard. Mais Nicole Thompson, en entrevue avec La Presse, a offert une chronologie différente : « Elle me l’a dit dans l’auto, le soir même. Elle était en panique. Dans mon souvenir, Lisa m’a dit : ‟Il m’a forcé à le sucer quand j’étais à la toilette.” »

Nicole Thompson se souvient d’avoir vu M. Bond se lever lui aussi, quand son amie marchait vers les toilettes : « Je ne pensais pas qu’il s’en allait dans la salle de bain des femmes, je n’ai pas vu de danger. »

Lisa Matthews affirme être allée à la police de Gatineau deux semaines plus tard pour s’enquérir de ses recours. Mais elle dit ne pas avoir été prise au sérieux par des policiers qui, selon elle, s’inquiétaient surtout de la carrière de M. Bond : « Quand j’ai vu le genre de questions des policiers, je suis partie. Ça allait être ma parole contre la sienne. Ça ne me tentait pas de me sentir encore plus dégueulasse. »

En entrevue, mardi, elle a dit songer à retourner porter plainte à la police : « Les mentalités ont évolué », croit Lisa Matthews.

Le témoignage de Lisa Matthews recoupe ce que d’autres femmes nous ont raconté comme modus operandi de l’humoriste. Selon des femmes interviewées séparément – et qui ne se connaissent pas –, M. Bond semblait présumer par défaut que celles qu’il abordait avaient envie de lui.

« C’est quelqu’un qui a deux personnalités »

Âgée de 20 ans, Sophie* finissait son cégep à Limoilou quand elle est allée assister à un spectacle d’humour au bar Le Dagobert de Québec, au printemps 2006. Elle était avec une amie Marie*. Philippe Bond faisait partie du spectacle.

Les deux femmes, interviewées séparément par La Presse, affirment avoir été droguées, ce soir-là. Elles se souviennent d’être rapidement devenues groggy après avoir consommé un shooter. Elles ont été séparées, dans le bar. Précisons qu’elles n’accusent pas l’humoriste Bond de les avoir droguées.

Mais Sophie ignore comment elle s’est retrouvée dans la chambre d’hôtel de Philippe Bond, cette nuit-là. Elle était désorientée. « Je n’ai pas souvenir de tout ce qui s’est passé. Je me souviens qu’il est allé dans la douche, où il m’a embarquée, habillée. Je ne sais pas si je suis restée dans la chambre 30 minutes, deux heures ou trois heures. »

Sophie ne se souvient pas d’avoir eu une relation sexuelle avec M. Bond. Mais elle se souvient que son amie, Marie, a appelé l’humoriste par le téléphone de l’hôtel Le Capitole : « Il lui a raccroché au nez. » Marie a confirmé avoir fait ce premier appel, puis un deuxième : « Au deuxième appel, je lui ai dit : ‟Tu mets Sophie dans un taxi et tu la renvoies chez elle.” »

Sophie se souvient qu’après avoir raccroché, Philippe Bond était fâché. Il l’a insultée, dit-elle, en la traitant d’« agace » et en lui jetant 20 $ pour son taxi.

Arrivée chez elle, Sophie était mouillée, elle avait mal partout et elle n’avait plus ses sous-vêtements, se souvient son amie Marie, qui était déjà arrivée chez Sophie.

La colocataire de Sophie, Esther*, a confirmé à La Presse l’état de déroute dans lequel elle a trouvé sa coloc, en fin de matinée. « Elle est sortie de sa chambre, confuse, pleine de bleus. C’est une femme forte, mais on voyait qu’elle était désemparée, il lui était arrivé quelque chose et elle ne comprenait pas ce qui s’était passé. »

Sophie, traumatisée, n’a jamais fait ses examens de fin de session. La psychologue du cégep de Limoilou, dit-elle, a intercédé en sa faveur auprès de la direction et elle s’est fait créditer ses cours, pour pouvoir aller à l’Université à Montréal.

Sophie a passé des moments difficiles, après cette soirée : « Pendant un an, je n’ai pas été bien, psychologiquement. J’ai eu du soutien de mon entourage », dit-elle, encore secouée, 16 ans plus tard.

De Philippe Bond, Sophie dit aujourd’hui ceci : « C’est quelqu’un qui a deux personnalités. En public, il est charismatique, sympathique. Mais avec les femmes, il est vraiment cru, il m’a traitée de salope, m’a lancé mes vêtements après le deuxième appel de mon amie… »

Notons que Marie, l’amie de Sophie, connaissait Philippe Bond. Elle avait eu, quelques mois auparavant, une relation sexuelle avec l’humoriste.

M. Bond, raconte-t-elle, était venu cogner à la porte de la chambre d’un autre humoriste, dont elle était l’amante. Celui-ci était absent quand Marie a répondu à la porte : « Philippe s’est jeté sur moi, il m’a poussée vers le lit et il a commencé à me baiser. Je ne sais pas ce qui lui a donné l’idée que j’avais envie de lui. Je ne l’avais pas invité. Mais il s’est garroché sur moi et il a fait sa petite affaire… »

Marie insiste pour dire qu’elle n’est pas une victime, qu’elle n’a pas été traumatisée comme son amie Sophie l’a été par sa rencontre avec Philippe Bond. Mais elle affirme que l’humoriste ne s’est jamais embarrassé de savoir si elle était consentante : « Je n’ai pas dit “non”, mais je n’ai pas dit “oui”. »

Ce soir du printemps 2006, quand Marie cherchait son amie Sophie au Dagobert, elle est allée dans les toilettes des femmes. Elle n’y a pas trouvé Sophie. Mais Marie affirme que Philippe Bond est arrivé derrière elle : « Il a commencé à m’embrasser, il m’a poussée dans une cabine qui était libre et il a commencé à me baiser. Encore là, il ne m’a pas demandé si ça me tentait. »

Quand La Presse a demandé à Marie pourquoi elle avait eu le réflexe d’appeler la chambre de Philippe Bond à l’hôtel Le Capitole, en espérant y trouver son amie Sophie, Marie a eu cette réponse : « Je me suis dit : ‟Je le connais, il est bien capable de l’amener à sa chambre malgré son état.” »

Avec la collaboration de Mylène Crête, La Presse

* Prénoms fictifs à la demande de ces trois femmes

« J’ai dépassé les bornes »

Automne 2007. Comme le veut la tradition en télévision, l’équipe de Juste pour rire : les gags s’est réunie pour célébrer la fin des tournages. L’émission à sketchs muets est distribuée dans une centaine de pays.

Parmi les convives : Philippe Bond, diplômé de l’École nationale de l’humour en 2002. Il est présent à la fête en tant que comédien de l’émission.

« Je suis arrivée vers 18 h, et déjà, il était allumé, en feu, raconte Corinne Paquin, alors directrice de plateau de la populaire émission. Ça m’avait frappée. Je me suis dit : “Il ne sera pas reposant.” »

Son intuition était fondée : le comédien a tellement multiplié les frasques lors de cette soirée qu’il s’en est excusé par écrit, peu après les faits. M. Bond a admis avoir « dépassé les bornes » ce soir-là, dans une lettre transmise à ses collègues et que La Presse a obtenue.

En voici un extrait : « Désolé de ce que j’ai pu dire ou faire. Je suis conscient des actes que j’ai commis et je suis loin d’être fier de tout ça. »

Que s’est-il passé ce soir-là exactement ?

Dans son message, l’humoriste ne précise pas la nature de ses comportements. Mais quatre femmes présentes à la fête de clôture – appelé « wrap party » dans le milieu télévisuel – ont raconté séparément à La Presse leur expérience avec l’humoriste : baisers forcés, avances insistantes, attouchements et séquestration dans son véhicule.

Attouchements

Deux de ces femmes ont accepté de nous parler à visage découvert.

La comédienne Mathilde Laurier discutait avec son amie accessoiriste quand elle a senti la main d’un homme sous son chandail : « Je me retourne, et c’est Philippe [Bond] derrière moi. Je lui demande : ‟Qu’est-ce que tu fais, man ?” »

La comédienne rit nerveusement en réaction au geste, mais elle trouve que ça n’a rien de drôle.

Le manège recommence deux, puis trois fois, nous a raconté Mathilde Laurier. « Il a remis ses mains dans mon chandail, proche de mes seins. Je me suis mise à courir autour de la table en criant », un geste visant à attirer l’attention de ses collègues.

Plus tard, Mathilde Laurier est accoudée au bar du défunt studio Juste pour rire, boulevard Saint-Laurent, avec une autre collègue. Quelqu’un tape sur son épaule. « Je me revire et c’est Philippe qui me frenche, la langue dans le fond de la gorge. Je l’ai repoussé. Mon amie me demande ce qu’il se passe. J’ai répondu : ‟J’en ai aucune idée.” »

Une autre femme, qui a requis l’anonymat pour ne pas revivre publiquement ces évènements difficiles, affirme aussi avoir été embrassée de force pendant le même party.

Corinne Paquin raconte elle aussi avoir passé des moments fort désagréables en compagnie de M. Bond lors de cette même soirée. Alors directrice de plateau, elle affirme avoir refusé les avances sexuelles de l’humoriste à deux reprises. « Il butinait. J’étais à la salle de bain, la porte s’ouvre et c’était lui. Je l’ai chassé de là. Plus tard, je suis allée fumer une cigarette au loading dock [quai de chargement], il m’a plaquée contre le mur et j’ai réussi à me débarrasser de lui quand un ami est arrivé. »

Un an plus tôt, en 2006, Mme Paquin avait rencontré Philippe Bond lors d’une autre fête de clôture des Gags. Elle a eu une première relation consentante avec lui. Puis une deuxième. La troisième fois, par contre, a été « un peu brutale », se rappelle-t-elle. « Il a commencé à me donner de bonnes claques, puis m’a sodomisée d’un coup, au complet, sans me prévenir. Je me suis cogné la tête dans le mur. Je suis retombée sur le lit, j’ai pleuré et il est parti. »

Elle n’a revu l’humoriste qu’en 2009. Après cette rencontre, « il m’a appelée dans le milieu de la nuit, à un numéro que je ne lui avais jamais donné », dit-elle.

Prise dans la voiture

Une autre femme – à qui La Presse a accordé l’anonymat puisqu’elle ne souhaite pas revenir publiquement sur des évènements qui ont été pénibles pour elle – raconte être montée à bord du véhicule de Philippe Bond, qui devait la mener chez elle après la fameuse fête de 2007. « Arrivé devant chez moi, il n’a jamais voulu me laisser descendre du véhicule », confie-t-elle.

Alors assistante à la réalisation des Gags, la jeune femme se revoit assise sur la banquette arrière. Le rétroviseur lui renvoie le visage du comédien, qui lui fait un clin d’œil qu’elle décrit comme « coquin ».

La passagère soutient que Philippe Bond a ensuite brûlé deux feux rouges à grande vitesse pour l’empêcher de sortir du véhicule.

Quand la voiture s’arrête enfin à une importante intersection, elle a « débarqué de l’auto en courant ».

À la suite des évènements, la jeune femme dit avoir fait une déposition dans un poste de quartier du Service de police de la Ville de Montréal, dans Villeray, mais celle-ci n’aurait pas été prise au sérieux.

La femme a dû retravailler avec Philippe Bond par la suite. Les échanges sont demeurés « strictement professionnels », dit-elle, et il n’aurait jamais été question des évènements de 2007.

Une enquête et une lettre

La productrice déléguée de Juste pour rire : les gags de l’époque, Marie-Michelle Émond, confirme avoir été mise au courant de nombreuses allégations d’inconduites sexuelles lors d’une enquête interne au lendemain du « wrap party » de 2007. Elle était présente à la fête, mais n’a eu vent des dérapages qu’a posteriori.

« On a fait le tour de la question avec les filles qui ont été approchées, serrées, agressées, a déclaré Mme Émond. On a aussi appris des choses sur ce qui s’était passé ailleurs : on a découvert qu’il était harcelant avec des comédiennes avec qui il tournait sur le plateau. »

L’équipe de production a alors abordé directement Philippe Bond au sujet des témoignages qui s’accumulaient contre lui. « C’est un comédien, donc c’était la face publique d’une production connue mondialement. On ne pouvait pas continuer dans ces conditions-là avec lui à moins qu’il décide de se faire aider d’une façon ou d’une autre. »

La lettre d’excuses rédigée par l’humoriste a été photocopiée et remise par Mme Émond à une dizaine d’employées présentes au « wrap party », tenu au studio Juste pour rire.

Mathilde Laurier était l’une des destinataires. Elle dit aujourd’hui avoir « le privilège de ne pas être affectée psychologiquement » par les comportements de M. Bond. « Je n’ai pas de séquelles, mais ça m’a mise en colère. »

La défense de l’humoriste sur Facebook l’a convaincue de réagir à visage découvert, notamment en pensant à ses amies et collègues. « La productrice m’avait dit : “Je ne veux pas minimiser ce que tu as vécu, mais ton cas, c’est le moins pire.” »

Corinne Paquin a accepté de prendre la parole pour éviter que des comportements similaires se répètent. Elle indique avoir perdu de nombreux contrats puisqu’elle ne voulait plus, d’aucune façon, collaborer avec Philippe Bond.

En 2007, la productrice Émond et son équipe étaient prêtes à « réévaluer le dossier » de Philippe Bond s’il confirmait avoir demandé ou obtenu de l’aide psychologique.

« Il est parti avec ça, dit Marie-Michelle Émond, et il n’est jamais revenu. »

Silence radio

En 2011, une animatrice radio raconte avoir vécu de l’« abus » de la part de Philippe Bond. Elle a requis l’anonymat, puisqu’elle craint les répercussions d’un témoignage sur sa carrière.

« Il me faisait toujours des calls : “Christi que t’es belle”, “Wow, t’es sexy ce matin”. Il m’a invitée à quelques reprises à aller prendre une bière. J’ai tout le temps dit non. » La communicatrice, alors au début de la vingtaine, finit par dire oui. Elle se dit impressionnée par le personnage : « Il a 32 ans, c’est Phil Bond. »

L’humoriste habite dans les Laurentides, à plus d’une heure de chez elle. C’est lui qui transporte sa collègue en voiture. Il la rassure : « C’est loin, tu peux dormir chez nous, j’ai une chambre d’ami. Tu auras ton espace. »

Mais à son arrivée, raconte-t-elle, le lit et le plancher de la chambre d’ami sont recouverts de textes de ses spectacles. « Il me dit : “J’avais oublié ça, tu vas dormir avec moi”, en partant à rire. »

Philippe Bond se serait alors mis en pyjama et aurait rejoint sa collègue sur le divan pour regarder un film. « Il a pris ma main pour essayer de la mettre sur son pénis en érection. Je n’étais vraiment pas bien. Je suis allée m’enfermer dans la chambre de bain et j’ai appelé ma mère. »

« Je n’étais vraiment pas bien »

La Presse a parlé à la mère de l’animatrice, qui a confirmé avoir reçu un appel de sa fille ce soir-là. « Elle m’a dit : “Je ne suis vraiment pas bien. Je me sens vraiment mal.” Je lui ai répondu : “Prends tes cliques et tes claques et va-t’en.” »

« Figée » et « incapable de [s]’en aller », sans véhicule pour quitter, la jeune femme reste à coucher. « Je me mets le plus loin possible de lui, le long du lit. Il a essayé de m’embrasser, mais je ne voulais pas. J’ai essayé de dormir. À un moment, je me suis retournée pour prendre une autre position, et là, il m’a embrassée. Il m’a dit : “Je le savais que j’allais réussir à t’embrasser.” Je n’étais vraiment pas bien. »

Le retour en voiture est « malaisant », dit-elle. Dans la station de radio où elle travaille, le contact avec Philippe Bond, qu’elle croise chaque jour, devient dès lors difficile, voire impossible, poursuit l’animatrice. « Je n’étais pas bien d’aller travailler. Il ne m’a jamais parlé, il ne m’a jamais regardée. C’était de l’intimidation. Il m’ignorait volontairement. Il avait profité de sa notoriété du gars de 32 ans. »

Une amie de l’animatrice a assuré à La Presse avoir été mise au courant, à l’époque, du fil des évènements.

La communicatrice a recroisé Philippe Bond il n’y a pas si longtemps. Il s’est présenté à elle comme s’ils ne se connaissaient pas.

« Je n’ai pas changé tant que ça, a réagi la jeune femme, en entrevue. J’ai la même face. Soit qu’il faisait vraiment le cave et qu’il faisait semblant de ne pas se souvenir de moi, soit il a fait ça à tellement de filles qu’il ne se souvient plus de nos visages. »

Valérie Claing, secrétaire de production de l’émission Les 400 coups, pilotée par M. Bond sur les ondes de TVA, a confié à La Presse s’être fait taper les fesses par l’animateur. C’était en 2015. « Ce n’est pas quelque chose d’intense, mais tout ce qui est en lien avec le consentement, ça reste mon corps, ça reste privé. Il n’avait pas le droit de faire ça. Je ne me suis pas sentie bien. Je n’ose pas imaginer ce que c’est quand c’est une agression plus grave. »

Réactions

Philippe Bond ne fait pas partie de notre programmation et nous n’avons aucun projet avec lui à terme. Groupe Juste pour rire tient à souligner qu’elle possède un Code de conduite et une politique contre le harcèlement rendant répréhensibles les mauvaises conduites. Elle ne tolère aucun comportement de la sorte.

Charles Décarie, président-directeur général du Groupe Juste pour rire

Nous prenons acte des allégations. Conformément à nos politiques internes, les allégations sont traitées avec le plus grand sérieux. Notre milieu de travail est construit sur des principes d’équité, de respect et de collaboration et chaque allégation est prise au sérieux et traitée promptement.

Déclaration de Bell Média, propriétaire d’Énergie, où Philippe Bond est coanimateur de C’t’encore drôle