Une camionnette s’immobilise devant une série d’immeubles de Cowansville.

C’est ici, dans un complexe d’appartements modestes de la rue des Érables, qu’aurait brièvement vécu William Humberto Garcia Castillo, dont les mésaventures ont déclenché une enquête de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), en 2022.

L’homme au volant nous interpelle. Il demande pour quel « travail » nous cherchons.

« Je cherche un M. Garcia, lui répond-on.

— Je pensais que tu cherchais des travailleurs pour travailler.

— Pourquoi ? Avez-vous des gens ?

— Oui […]. Pour quel job ? »

Après ce bref échange, le conducteur reprend sa route sans s’identifier.

À l’intérieur, personne ne répond à la porte de l’ancien logement de M. Garcia Castillo, lors de notre passage, fin octobre.

Lors d’un interrogatoire réalisé par la CNESST à l’été 2022, le travailleur étranger temporaire (TET) indique qu’« il aurait constaté la présence de 15 à 20 migrants de différentes nationalités qui se trouvent dans la même situation que lui et qui travaillent au noir via l’agence Travailleurs.ca. Ils doivent tous payer un logement et les frais afférents à cette agence de placement ».

C’est ce que relate une déclaration sous serment au soutien d’un mandat de perquisition rédigée par l’enquêtrice de la CNESST qui a rencontré M. Garcia Castillo à l’aéroport.

Les allégations contenues dans ce document judiciaire public de février 2023 n’ont pas subi l’épreuve des tribunaux.

En revanche, la CNESST a indiqué que le 25 octobre 2023, deux « décisions de révocation » de permis ont été envoyées à l’agence, avec « effet immédiat ». Un geste rarissime.

« À partir de cette date, l’agence ne peut plus effectuer des activités de placement de personnel ou de recrutement de TET », a indiqué la CNESST dans une déclaration écrite qu’elle nous a fait parvenir.

Depuis le 1er janvier 2020, toutes les entreprises qui offrent des services de placement de personnel ou de recrutement de TET doivent être titulaires d’un permis délivré par la CNESST pour exercer leurs activités au Québec.

917

Nombre de titulaires de permis d’agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires inscrits au registre en ligne de la CNESST

2377

Nombre de titulaires de permis d’agence de placement de personnel inscrits au registre en ligne de la CNESST

Source : CNESST

À noter que certains permis n’ont pas été renouvelés ou sont suspendus.

Les actionnaires de l’agence Travailleurs.ca – dont le siège social est situé dans une usine d’armoires de Saint-Pie, en Montérégie – n’ont pas répondu aux questions de La Presse.

« Nous ne sommes pas au courant de l’existence d’un dossier judiciaire alléguant vos différents points », a indiqué son président Martin Paquette, par courriel le 7 novembre. « Dans les circonstances, nous ne pouvons pas fournir de réponses à vos questions avant de pouvoir consulter lesdits documents. »

Congédié

La Presse n’a pas été en mesure de retrouver M. Garcia Castillo, mais on sait que son histoire débute en mars 2022. M. Garcia Castillo arrive alors au Québec muni d’un permis de travail fermé qui l’autorise à travailler pour un seul employeur au Canada : l’entreprise d’attrapage de volailles Équipe Sarrazin de Granby.

Il est congédié fin avril pour avoir eu des comportements déplacés et agressifs envers ses collègues, ont indiqué à la fois son ancien employeur et son syndicat, les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce.

« C’est une personne qui avait des problèmes d’attitude et qui menaçait tout le monde dans les appartements », a raconté en entrevue Michel Beaudin, vice-président d’Équipe Sarrazin, une entreprise qui capture plus du tiers de la volaille abattue au Québec. Le travail de ses équipes de TET consiste à saisir de leurs mains des poules ou des dindes pour les mettre en cage avant leur transport par camion à l’abattoir.

Le 29 avril, jour prévu de son départ vers le Guatemala, un véhicule passe pour conduire M. Garcia Castillo à l’aéroport. « Quand on est allés le chercher, il n’était plus là. Les copains nous ont dit : “Il s’est poussé” », se souvient M. Beaudin. « On a acheté son billet [d’avion] et il s’est enfui », a-t-il ajouté.

À l’époque, Michel Beaudin n’en fait pas grand cas. Depuis 2006, il estime qu’entre 150 et 200 TET embauchés par Équipe Sarrazin se sont évaporés dans la nature, parfois plusieurs dizaines à la fois. « Vous devez avoir entendu parler des coyotes ? », lance-t-il en expliquant que des passeurs aident des TET à traverser la frontière américaine.

Il dit cependant n’avoir jamais entendu parler de l’agence de recrutement Travailleurs.ca.

Trois mois plus tard, le consulat général du Guatemala reçoit un appel d’un agent d’information à l’aéroport. William Humberto Garcia Castillo veut rentrer chez lui.