La pénurie de main-d’œuvre qui sévit au Québec a fait exploser le nombre d’agences qui agissent comme intermédiaires pour offrir du personnel aux entreprises. Plus de 3000 agences sont inscrites au registre de la CNESST.

« La compagnie, ce qu’elle fait, c’est qu’elle achète un nombre de travailleurs, c’est vraiment plate à dire, mais […] l’important, c’est d’avoir 30 travailleurs tel jour, peu importe qui », explique Mylène Coderre-Proulx, candidate au doctorat en développement international à l’Université d’Ottawa et spécialiste des enjeux de la migration de travail temporaire au Québec.

Il existe deux types d’agences : les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (TET) et les agences de placement de personnel.

« Les agences de recrutement, elles font affaire avec des partenaires dans les pays d’origine. Donc l’objectif, c’est d’aller chercher, par exemple au Guatemala, des travailleurs qui vont venir avec des permis de travail », explique-t-elle.

« De manière générale, ils ont une relation de dépendance mutuelle dans le sens que l’employeur dépend de ces travailleurs-là pour la survie ou la croissance de son entreprise, et de l’autre côté, les travailleurs dépendent de cet emploi pour améliorer les conditions de vie de leur famille. »

Au Québec, en 2022, il y avait plus de 23 060 TET dans le secteur agricole seulement, dont 17 400 Guatémaltèques. « Le Québec a beaucoup, beaucoup augmenté dans les dernières années […] Pour vous donner une idée, en 2017, on était à 10 225. Alors en cinq ans, il y a eu une augmentation de 13 000 et c’est juste pour un secteur », souligne Mme Coderre-Proulx.

Avant de partir, les TET contractent souvent des dettes élevées : pour payer leurs documents d’immigration ou leur examen médical obligatoire, souligne-t-elle.

Il existe aussi des dettes « illicites ». Les TET doivent parfois payer quelques milliers de dollars dans un système de référence informel dans leur pays d’origine pour être dirigés vers un employeur au Canada, dit-elle.

« Le travailleur, s’il a été congédié environ un mois après son arrivée, je ne veux pas m’avancer sur son cas précis, mais il y a de très bonnes chances que la contrainte de la dette était vraiment là », explique-t-elle. « Habituellement, ça prend au moins un contrat de travail pour se sortir de l’endettement. »

Agences de placement

Les agences de placement de personnel vont plutôt concentrer leurs activités autour des personnes qui sont déjà sur le territoire québécois ou canadien.

« Et là, ça implique, si on veut, une diversité de travailleurs : immigrants, sans-statut, visiteurs, travailleurs comme le cas du Guatémaltèque qui a quitté son emploi d’attrapeur de poulets, c’est une diversité », énumère-t-elle au sujet d’une certaine partie de ces agences.

Dans la grande région de Montréal, des autobus qui transportent les employés de ces agences font tous les jours l’aller-retour à partir des quartiers où vivent une grande proportion d’immigrants ou de réfugiés.

« Les employeurs en faisant face à la pénurie de main-d’œuvre, se retournent vers des tierces parties. Ça les décharge, mais à partir de ce moment-là, ça leur enlève aussi toute la responsabilité à l’égard des travailleurs », dit-elle.

« C’est le propre d’avoir autant d’intermédiaires. Personne [n’a de compte à rendre] ; en tout cas, l’employeur ne se sent pas [tenu de rendre des comptes], l’agence de placement, c’est parfois difficile de suivre ses pratiques, tout le monde se lance un peu la balle. Qui a commis la faute ? Donc ça, c’est sûr que c’est problématique. »

Quel conseil donne-t-elle aux employeurs de bonne foi ? « C’est de superviser les pratiques de l’agence avec qui elles font affaire », répond-elle.